L’année 2015 poursuit donc le fort mouvement de concentration du secteur des médias, provoquant une recomposition du paysage capitalistique du monde médiatique.En effet, ce processus au cours duquel quelques individus ou organisations accroissent progressivement leur contrôle sur les médias de masse, sur l’industrie culturelle ainsi que sur les groupes de communication vient de connaître une nouvelle étape.
La création du fonds d’investissement Media One s’inscrit dans cette logique d’investissement massif et illustre ce bouleversement du paysage médiatique français.
Un acteur d’un genre nouveau
En effet, d’après les informations du Figaro, en date du 5 octobre 2015, le triumvirat Niel-Pigasse-Capton ambitionne de révolutionner le paysage médiatique avec la création d’un fonds d’investissement d’un genre nouveau : un SPAC (Special Purpose Accurancy Company).
Ainsi, pour la première fois en France, cet instrument boursier inventé aux Etats-Unis dans les années 1990, va servir de méthode d’investissement.
Sa spécificité est double puisque, d’une part, c’est un mécanisme exigeant que l’on investisse 75% des sommes récoltées dans l’acquisition d’une première cible de taille, et, d’autre part, à chaque acquisition, les actionnaires peuvent poursuivre l’aventure ou sortir du fonds.
Ce fond sera baptisé Média One et devrait faire l’objet d’une cotation en bourse, courant novembre ou décembre, après avoir levé plusieurs fonds auprès d’investisseurs professionnels, tels que des banquiers, des assureurs ou encore des fonds souverains ou des familles fortunées.
Chacun des trois fondateurs mettra personnellement quelques millions d’euros sur la table, et Pierre-Antoine Capton endosserait la responsabilité opérationnelle de la nouvelle entité, qui devrait réunir d’emblée entre 300 et 500 millions d’euros.
Le PDG de Free, sixième fortune de France, son complice, le banquier Matthieu Pigasse, directeur-général de la banque Lazard, et le producteur Pierre-Antoine Capton, fondateur de Troisième Œil Productions, première société de production indépendante de France, marquent donc leur volonté de lancer une initiative d’envergure et s’inscrivent dans la droite ligne du tourbillon d’achat de médias observée récemment.
Une expansion du mouvement de concentration des médias français
Dans cette logique, ce n’est pas la première fois que Xavier Niel et Matthieu Pigasse investisse le marché des médias, puisqu’alliés avec Pierre Bergé, ils avaient racheté le groupe Le Monde, fin juin 2010, puis le magazine hebdomadaire Le Nouvel Observateur, devenu L’Obs, quatre ans plus tard.
De son côté, Pierre-Antoine Capton a créé Troisième Œil Productions, qui réalise notamment la quotidienne de France 5 « C à vous », présentée par Anne-Sophie Lapix, ainsi que les magazines hebdomadaires « Les Carnets de Julie » et « Ça balance à Paris », et qui réalise aujourd’hui une quarantaine de millions d’euros de chiffre d’affaires, étant le premier groupe de production indépendant de France et au sixième rang des producteurs audiovisuels.
Les trois fondateurs de Média One estiment que la période est propice aux acquisitions dans le monde des médias, la valeur des différents actifs (télévision, radio, presse, …) étant très faible, ce qui facilite les rachats massifs.
Par cet investissement, ils ont la volonté de suivre la trace de Patrick Drahi, homme d’affaires franco-israélien, fondateur du consortium luxembourgeois Altice, une multinationale spécialisée dans les télécommunications et les réseaux câblés, et qui est le principal actionnaire de l’opérateur françis SFR-Numéricable, qui a acquis à prix bradés le journal Libération, le magazine l’Express avant de jeter son dévolu sur le groupe radio NextRadioTV.
Autre poids lourd de l’industrie française, Vincent Bolloré a pris le contrôle de Vivendi et est devenu l’actionnaire majoritaire du groupe audiovisuel Canal Plus, et enchaîne les rachats de sociétés de production et de salles de spectacle, tandis que Marc Ladreit de Lacharrière rachète, quant à lui, des sociétés de contenus numériques pour permettre à son groupe Webedia de devenir le plus important de l’Internet français.
Quant au groupe Figaro, il a répliqué en rachetant CCM Benchmark, un des groupes leaders de l’Internet français dont l’activité est l’édition de sites web pratiques et de magazines sur Internet, spécialisés principalement dans le partage de connaissance, pour un montant estimé entre 110 et 130 millions d’euros.
Enfin, à l’étranger, le plus important groupe de presse allemand Springer, créé en 1946 à Hambourg par Axel Springer, notamment propriétaire du quotidien Bild, a multiplié les acquisitions de taille avec notamment SeLoger et récemment avec Business Insider.
Aujourd’hui, les groupes médias traditionnels, tels que Lagardère (Europe 1, Virgin Radio, RFM, Journal du Dimanche, Paris Match, …) ou TF1 ne jouent plus le rôle de consolidateur et, au contraire, sont désormais dans une logique de cession d’actifs, comme l’illustre notamment la vente d’Eurosport, au groupe Discovery, par le second nommé.
Des risques de plus en plus importants
Cette politique de rachats massifs par des capitaines d’industrie ou des hommes d’affaires issus du monde de la finance, mouvement également marqué par des mesures radicales, illustre donc un bouleversement du monde médiatique français, marqué par une crise structurelle de longue durée, mais prouve aussi la nécessité d’une adaptation notamment au numérique, la meilleure manière étant de constituer de nouveaux groupes multimédias capables de traverser cette période de transition.
Il s’agit tout à la fois de sauver les acteurs majeurs de la liberté d’information, le fameux quatrième pouvoir de la République, mais également de les accompagner dans l’ère nouvelle de la numérisation, ce qui a notamment conduit au rachat de Dailymotion, jusqu’ici propriété de YouTube, par le groupe Vivendi.
Cependant, ce mouvement de concentration des médias, désignant le contrôle d’un groupe sur tout un secteur d’activité, comporte également sa part de risques.
Effectivement, on peut penser que cette vague de rachats des médias puisse faire peser un risque d’homogénéisation, voire de pensée unique, ainsi que d’une perte du pluralisme de l’information.
En ce sens, la question de la transparence de l’information peut se poser, et de son indépendance politique, certains hommes d’affaires propriétaires de médias ne cachant pas leur orientation politique.
Désormais, en France, quelques grands groupes se partagent l’essentiel des médias, tels que le Groupe Lagardère, Bouygues ou encore Dassault, à l’instar de ce qui se pratique dans certains pays étrangers, et les neufs principaux groupes de presse réalisent un chiffre d’affaires situé entre 2,2 milliards d’euros et 280 millions d’euros.
La création du fonds d’investissement Média One, qui a pour ambition de devenir l’un des géants médiatiques dans le paysage européen, égalant des groupes tels que Vivendi ou Lagardère, illustre donc cette concentration récente des médias français, mais, doit également faire face à de nombreuses interrogations.
Sources:
– BELOUEZZANE S., DELCAMBRE A., PIQUARD A. «Niel, Pigasse et Capton créent un fonds pour racheter des médias», lemonde.fr, publié le 6 octobre 2015, consulté le 20 octobre 2015, < http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/10/05/niel-pigasse-et-capton-creent-un-fonds-pour-racheter-des-medias_4782974_3236.html>.
– TARABORELLI E.,«Niel, Pigasse et Capton créént un fonds d’investissement pour racheter des médias», l’express.fr, publié le 6 octobre 2015, consulté le 20 octobre 2015, < http://www.lexpress.fr/actualite/medias/niel-pigasse-et-capton-creent-un-fonds-d-investissements-pour-racheter-des-medias_1722842.html>
– CLEMENT R., «Niel, Pigasse et Capton veulent créer un fonds pour racheter des médias», challenges.fr, publié le 5 octobre 2015, consulté le 20 octobre 2015, <http://www.challenges.fr/media/20151005.CHA0154/niel-pigasse-et-capton-veulent-creer-un-fond-pour-racheter-des-medias.html>.
– RENAUD En., «Pigasse, Niel et Capton lèvent 500 millions pour racheter des médias», publié dans l’édition du Figaro du 6 octobre 2015, consulté le 20 octobre 2015, <http://premium.lefigaro.fr/medias/2015/10/05/20004-20151005ARTFIG00320-pigasse-niel-et-capton-levent-500millions-pour-racheter-des-medias.php>