Depuis sa nomination à la tête du groupe Vivendi et de la chaîne Canal Plus, Vincent Bolloré ne cesse de faire polémique, et notamment concernant l’indépendance éditoriale de la chaîne.
Pour rappel, Vincent Bolloré reprend en 1981 l’entreprise familiale, le groupe Bolloré. Il fera de cette entreprise un conglomérat international spécialisé dans les secteurs de l’énergie, de l’agriculture, de la logistique, du transport, de la publicité avec le groupe Havas mais également dans les médias avec le journal gratuit Direct Matin et l’institut de sondages CSA. Après avoir cédé les chaînes de télévision Direct 8 et Direct Star contre des actions Vivendi, maison mère de Canal +, Vincent Bolloré devient le premier actionnaire de Vivendi en 2012. Puis il est nommé président du conseil de surveillance de ce même groupe en remplacement de Jean-René Fourtou, le 24 juin 2014.
Depuis le début de l’été 2015, la chaîne Canal + fait l’objet d’un grand changement au niveau des programmes montrant ainsi la prise de contrôle de la chaîne par Vincent Bolloré qui assume ses choix.
Une ligne éditoriale menacée
La mainmise de Vincent Bolloré sur la chaîne Canal Plus est fortement contestée. Elle a commencé par plusieurs évictions dans la hiérarchie de la chaîne, remaniant l’organigramme du groupe audiovisuel.
Ainsi, dès cet été, le directeur général du groupe, Rodolphe Belmer, était remercié et remplacé par Maxime Saada. Ara Aprikian, patron des chaînes en clair du groupe (D8, D17 et iTélé) et le producteur de l’émission « Le Grand Journal », Renaud Le Van Kim ont également été poussés vers la sortie par les dirigeants de Canal +. La chaîne iTélé a aussi été touchée avec le départ de Cécilia Ragueneau et Céline Pigalle, respectivement directrice générale et directrice de la rédaction de la chaîne.
Début septembre 2015, Vincent Bolloré prend la tête du conseil de surveillance du groupe Canal + et nomme un proche au poste de président du directoire, Jean-Christophe Thiery, qui remplace alors Bertrand Méheut, présent à Canal + depuis treize ans.
Mais les changements ne s’arrêtent pas là puisque Vincent Bolloré avait envisagé de supprimer l’émission culte des « Guignols de l’Info », ce qui a provoqué un véritable scandale auprès des personnes travaillant au sein de la chaîne. Face à ce tollé, Vincent Bolloré a alors décidé de faire passer l’émission en crypté à 20h50, ce qui a pour conséquence de réduire son audience.
Tous ces changements ne sont pas anodins. Concernant celui de l’émission des « Guignols de l’Info », cela pourrait ressembler à la censure d’un programme qui se fonde sur la satire. En effet, il n’est pas nouveau que Vincent Bolloré a certaines connivences avec des personnalités politiques que l’émission pourrait éventuellement déranger. Des reportages ont également été déprogrammés suite à ses amitiés avec des personnalités. Vincent Bolloré a empêché ainsi la diffusion sur Canal + d’un documentaire d’investigation sur le Crédit Mutuel et ses présumées manœuvres fiscales, en invoquant ses liens avec le patron de la banque, Michel Lucas. De même pour le documentaire « Hollande-Sarkozy, la guerre secrète » qui a été déprogrammé par la direction de la chaine suite aux liens de Vincent Bolloré avec Nicolas Sarkozy. Autant de sujets sensibles qui touchent aux liens entre Vincent Bolloré et des personnalités politiques ou non.
Indéniablement, tout cela fait poser des questions sur l’indépendance éditoriale de la chaîne Canal + avec l’arrivée de Vincent Bolloré à sa tête. Les nombreux départs des personnes clés de la chaîne ainsi que la déprogrammation de reportages dénotent un certain manque de pluralisme. Un cas que n’a pas ignoré le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) puisque il s’est autosaisi de l’affaire et a auditionné Vincent Bolloré sur la nouvelle ligne éditoriale de la chaîne Canal +.
Un rappel à l’ordre de la part du CSA
Il n’est pas habituel que des dirigeants de groupes audiovisuels soient auditionnés par le CSA pour rendre compte de leur bilan. Vincent Bolloré n’est donc pas une exception et n’y échappe pas. Suite au grand ménage effectué au sein de la chaîne Canal +, le CSA s’est autosaisi de l’affaire et a auditionné l’homme d’affaires le 24 septembre 2015 pour l’interroger sur l’indépendance éditoriale de la chaîne.
Au vu des nombreux changements au sein des équipes dirigeantes de la chaîne, l’intervention de Vincent Bolloré dans les multiples déprogrammations, et la modification des noms des chaînes de D8, D17 et iTélé en C8, C17 et CNews, le CSA a rappelé que « son autorisation était nécessaire à la mise en œuvre de plusieurs des modifications en question ».
Ces changements ont nécessairement fragilisé l’indépendance éditoriale de Canal + qui n’a pas échappé à un collectif de journalistes et de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) et qui accusent Vincent Bolloré de la censure de plusieurs reportages.
A cette occasion, le CSA a annoncé la mise en place d’un groupe de travail qui va lui permettre de vérifier les conséquences de ces changements sur la régulation du groupe Canal +. Cette mesure intervient et s’avère nécessaire dans le renforcement de la convention de Canal + en matière d’indépendance par rapport aux intérêts des actionnaires.
Mais le point fort de cette audition est sans doute l’engagement de Vincent Bolloré pour la mise en place d’un comité d’éthique au sein de la chaîne Canal + afin de garantir l’indépendance éditoriale et de l’information, et qui sera placé sous le contrôle du CSA. Il devra également rouvrir le comité d’éthique de la chaîne iTélé de façon élargie et pluraliste. Même si Vincent Bolloré n’a pas été sanctionné, il est tout de même averti par le CSA et devra faire attention à ses stratégies futures concernant le groupe Canal +. Lors de son audition, Vincent Bolloré a affirmé son impartialité politique et ne voit pas un manque d’indépendance éditoriale. Reste à savoir que la chaîne n’a pas de convention où est insérée une clause, contrairement aux autres chaînes, qui prévoit de protéger la liberté éditoriale. Ce sera alors au CSA d’effectuer un contrôle constant sur ce point et s’assurer que le groupe respecte l’indépendance éditoriale et le pluralisme, deux principes fondamentaux dans le monde des médias.
Les propositions de Fleur Pellerin, ministre de la Culture
Après avoir défendu, au micro de France Inter, Vincent Bolloré sur son supposé rôle concernant la ligne éditoriale de Canal + en estimant qu’il n’y avait pas eu d’intervention directe de sa part, la ministre de la Culture, Fleur Pellerin revient sur ses propos. En effet, face aux décisions de Vincent Bolloré, Fleur Pellerin souhaite davantage protéger l’indépendance des rédactions dans l’audiovisuel et réfléchit à une éventuelle évolution de la loi.
Elle a ainsi déclaré selon les informations d’Europe 1 qu’ « aujourd’hui, on voit bien que des intérêts privés peuvent mettre en péril l’indépendance des rédactions. Or le CSA n’a pas les moyens d’agir ». C’est dans cette optique que Fleur Pellerin envisagerait plusieurs mesures. Tout d’abord, elle aimerait rendre obligatoire l’insertion de clauses déontologiques dans les contrats entre les chaînes de télévision et le CSA. C’est déjà le cas pour des chaînes telles que France 2 ou TF1 qui ont signé une convention garantissant l’indépendance, mais pas pour Canal +. L’idée est que ces clauses feraient référence aux principes d’indépendance éditoriale et de pluralisme des opinions. Le CSA serait alors en mesure d’intervenir quand l’indépendance d’une rédaction semble menacée, ce qu’elle n’a pas pu faire pour Canal + lors de l’audition de Vincent Bolloré où aucune sanction n’a été prononcée et l’enquête n’a pas permis de prouver son intervention directe dans les décisions éditoriales comme les déprogrammations de certains reportages.
Fleur Pellerin souhaiterait également la constitution de comités d’éthique au sein des chaînes afin de mieux veiller au respect des principes éditoriaux où le CSA aurait un droit de regard concernant leur composition. Enfin, elle voudrait instituer des lanceurs d’alerte au sein du secteur des médias en prévention de risques éventuels touchant à l’indépendance éditoriale par exemple. Ces quelques propositions pourraient voir le jour début 2016 lors de la présentation d’un éventuel texte de loi.
Les confrontations avec l’actionnaire de Canal + ne font que commencer, et s’annoncent ardues.
SOURCES :
BRIGAUDEAU (A.), « Comment Vincent Bolloré est en train de zapper l’esprit Canal », francetvinfo.fr, mis en ligne le 10 septembre 2015, consulté le 24 octobre 2015, <http://www.francetvinfo.fr/culture/tv/comment-vincent-bollore-est-en-train-de-zapper-l-esprit-canal_1076639.html>
CHAVEROU (E.), « Quand Vincent Bolloré négocie avec le CSA », franceculture.fr, mis en ligne le 24 septembre 2015, consulté le 24 octobre 2015, <http://www.franceculture.fr/2015-09-24-quand-vincent-bollore-negocie-avec-le-csa>
PIQUARD (A.), « Bolloré entendu par le CSA sur l’indépendance éditoriale », Lemonde.fr, mis en ligne le 24 septembre 2015, consulté le 24 octobre 2015, <http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/09/24/le-csa-a-auditionne-vincent-bollore_4770039_3236.html>
PROUST (R.), « Indépendance et pluralisme des médias : les remords de Fleur Pellerin », lopinion.fr, mis en ligne le 14 octobre 2015, consulté le 24 octobre 2015, <http://www.lopinion.fr/14-octobre-2015/independance-pluralisme-medias-remords-fleur-pellerin-29095>