Le vendredi 2 octobre 2015, France 3 diffuse fièrement un spot publicitaire voulant promouvoir la place des femmes à l’antenne sur la chaîne alors même que le lundi 5 octobre commençait la semaine consacrée à l’égalité professionnelle. Cette publicité se décompose en plusieurs plans où l’on voit notamment un four allumé entrain de fumer, une chambre d’enfant en désordre, un fer à repasser qui prend feu, un chien qui attend désespérément que quelqu’un aille le promener, etc. A l’évidence il manque quelqu’un dans la maison pour effectuer toutes ces tâches quotidiennes. On entend alors la célèbre chanson de Patrick Juvet des années 70 « Où sont les femmes ? ». Réponse : « Elles sont sur France 3. La majorité de nos présentateurs sont des présentatrices ».
Les réactions sans appel sur les réseaux sociaux
Même si cela partait d’une bonne intention, cette vidéo a immédiatement subi de nombreuses critiques et notamment de la part des féministes. Aujourd’hui le moindre faux pas des médias est visé dans la minute sur des réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter. Cette campagne a rapidement été qualifiée de sexiste et inappropriée pour valoriser la place importante des femmes à l’antenne sur la chaîne France 3 ce qui en soi était une bonne nouvelle. La vidéo ayant été publiée sur le compte Facebook de la chaîne, les commentaires ne se sont pas faits attendre : « France 3, pour la prochaine campagne nous voudrions une vidéo encore plus sexiste, est-ce possible ? » ou encore « Une pensée émue [… ] pour ces millions d’hommes dont les chemisiers brûlent. Pour ces millions d’enfants dont les jouets gisent parterre, sans personne pour vous les ramasser ». Sur Twitter des personnalités du monde des médias ont également répondu, ainsi Marie-Ange Cristofari, journaliste France 3 Poitou Charentes a twitté « C’est une blague ou quoi ? (…) C’est quoi cet humour lamentable #sexisme ». Enfin, Pascale Boistard en personne, Secrétaire d’Etat chargée des droits des femmes, est intervenue par le biais de son compte Twitter pour faire remarquer à Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, que cette campagne n’était pas une bonne manière de valoriser l’égalité professionnelle chez les animateurs. Ce a quoi Delphine Ernotte a immédiatement réagi en faisant déprogrammer le spot publicitaire.
L’égalité femmes-hommes au sein des services de communication audiovisuelle
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est traditionnellement le gendarme de l’audiovisuel. Naturellement c’est lui qui, principalement, s’assure du respect de l’égalité hommes femmes au sein des programmes de télévision et de radio et fait en sorte qu’aucun propos sexistes ou dénigrants envers la femme ne soient diffusés (article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication).
Lorsque le CSA constate des propos véhiculant des préjugés sexistes la mise en garde est le premier niveau d’avertissement avant la mise en demeure. En cas de récidive après une mise en demeure, le CSA peut décider des sanctions, comme la suppression d’une tranche de publicité, la lecture d’un communiqué d’excuses lors d’un journal télévisé ou une amende qui peut aller jusqu’à 3% du chiffre d’affaires ; mais ces dernières sanctions s’avèrent très rares. Pour exemple, on se souvient alors des propos tenus par Philippe Candeloro jugés misogynes et de nature à refléter des préjugés sexistes lors des Jeux Olympiques de Sotchi. En mars 2014, le CSA avait alors adressé une mise en garde à France Télévisions en considérant que « le service public se doit d’être exemplaire en matière de promotion de l’image et de la place de la femme ».
L’autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) peut également émettre des recommandations au regard de ses règles déontologiques ou bien intervenir en cas de manquement après la diffusion.
Dans le cas du spot publicitaire de France 3, on aurait pu imaginer une mise en garde de la part du CSA ou encore une recommandation de l’ARPP. Mais la procédure n’a pas eu le temps d’être déclenchée puisque Delphine Ernotte a elle-même demandé la déprogrammation de la campagne. Cette autorégulation a permis d’anticiper une éventuelle mise en garde.
De plus on voit apparaître des sites indépendants à l’instar de Macholand.fr qui se veut porteur de la lutte contre le sexisme et propose à chaque internaute de poster un constat de publications sexistes que ce soit au travers d’une publicité, d’un manuel scolaire, d’un article de presse, etc. et ensuite de signer des pétitions en ligne. Ce site a déjà permis le retrait de 12 publications sexistes
Les évolutions sont incessantes en terme d’égalité hommes-femmes. Selon une étude réalisée du 19 au 23 mai et du 8 au 14 septembre 2014, sur 16 chaînes, les intervenantes féminines représentaient 36% du total contre 37% en 2013. Dans ce climat de régression, le Parlement a adopté une loi pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, la loi n°2014-873 du 4 août 2014. Le CSA a décidé de mettre en application cette loi dans les médias par une délibération n°2015-2 du 4 février 2015 relative au respect des droits des femmes par les sociétés mentionnées à l’article 20-1-A de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986. Les chaînes de télévision et de radio ont donc de nouvelles contraintes depuis le 1er mars 2015. Elles doivent notamment rendre avant le 31 janvier un rapport comportant des « indicateurs qualitatifs et quantitatifs sur la représentation des femmes et des hommes dans leurs programmes ». D’ici fin 2015, France Télévisions s’est d’ailleurs engagé à ce que 35% de ses experts soient des femmes. Un autre objectif essentiel est d’éviter les clichés et mettre en valeur le rôle de la femme sous peine de sanctions.
La lutte contre les publicités sexistes continue en 2016
Pascale Boistard veut aller plus loin pour la lutte contre les préjugés sexistes. Elle constate que malgré ces mesures le sexisme est toujours présent dans certains programmes audiovisuels et notamment dans les publicités. L’année 2016 sera pour elle synonyme de lutte contre ces contenus porteurs de messages sexistes et dégradants pour la femme. Pour ce faire elle entend passer par la voie législative. Même si elle a conscience que ce combat n’est pas une priorité dans le calendrier parlementaire elle compte bien introduire des dispositions au sein d’un projet de loi plus large. Pour Pascale Boistard le recours à la loi apparaît comme la meilleure solution face à la situation juridique actuelle où le CSA et l’ARPP sont parfois impuissants. Elle dit qu’il « faut renforcer les outils juridiques, en particulier dans les domaines qui échappent au CSA, qui ne peut intervenir que sur les publicités diffusées à la télévision et à la radio ». On peut donc s’attendre à l’avenir à un renforcement du contrôle des messages publicitaires afin que des campagnes comme celles de France 3 ne soient plus diffusées pour le bonheur des féministes et leur absence de second degré.
SOURCES
ANONYME « France 3 : une campagne de pu pro-féministe choque … les féministes », ojim.fr, publié le 7 octobre 2015 <http://www.ojim.fr/france-3-une-campagne-de-pub-pro-feministe-choque-les-feministes/>
LAZIMI (C.), « France 3 : une campagne de pub accusée de sexisme retirée », lexpress.fr, publié le 5 octobre 2015 <http://www.lexpress.fr/actualite/medias/video-france-3-une-campagne-de-pub-sexiste_1722666.html>
LECOEUVRE (S.), « Les médias doivent désormais compter le nombre de femmes à l’antenne », lefigaro.fr, publié le 25 février 2015 < http://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/actu-tele/2015/02/25/28001-20150225ARTFIG00223-les-emissions-doivent-desormais-compter-le-temps-de-parole-des-femmes.php>
WIEDER (T.), « Le gouvernement part en campagne contre les pubs sexistes », lemonde.fr, publié le 29 octobre 2015<http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/10/29/le-gouvernement-part-en-campagne-contre-les-pubs-sexistes_4798895_823448.html?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#link_time=1446106142>