Le 22 septembre 2015, le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) a annoncé la sélection du film Mustang afin de représenter le cinéma français pour l’attribution par l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS) de l’Oscar du film en langue étrangère. Réalisé par Deniz Gamze Ergüven, ce film a ainsi devancé Dheepan de Jacques Audiard, récompensé de la Palme d’Or au Festival de Cannes de 2015, La loi du Marché de Stéphan Brizé, La Belle Saison de Catherine Corsini et Marguerite de Xavier Giannoli.
Bien que les qualités de ce film soient indéniables au regard des appréciations obtenues de la part des critiques et des spectateurs (notes moyennes de 8,1/10 sur Rotten Tomatoes, 7,6/10 sur IMDB et 4,0/5 [presse] et 4,3/5 [spectateurs] sur Allociné), il apparaît cependant curieux qu’un film entièrement réalisé en Turquie et en langue turque soit choisi pour représenter le cinéma français.
Un film conforme aux critères de l’Académie des Oscars
L’Oscar du meilleur film en langue étrangère est une catégorie qui récompense des films produits en dehors des Etats-Unis et dont la langue principale n’est pas l’anglais. L’Académie invite alors chaque pays à soumettre un film dès lors que ce-dernier respecte les critères établis par elle.
Afin d’être éligible, il est nécessaire de respecter au moins trois conditions supplémentaires cumulatives. En premier lieu, le film doit avoir fait sa première sortie mondiale dans le pays soumettant le long-métrage à la compétition. En deuxième lieu, cette sortie doit avoir eu lieu dans une période entre le 1er octobre 2014 et le 30 septembre 2015. Et en dernier lieu, le contrôle artistique du film doit avoir été exercé de façon prépondérante par des résidents de ce pays.
En l’espèce, Mustang est sorti en salle le 17 juin 2015 en France. Il a été réalisé par une jeune cinéaste franco-turque dénommée Deniz Gamze Ergüven, coécrit par cette dernière et la scénariste et réalisatrice française Alice Winocour et finalement supervisé par le producteur français Charles Gillibert de la société de production française CG Cinema. Il en résulte que Mustang semble être en conformité avec les critères de sélection de l’académie.
Cela étant, même si les critères sus-mentionnés permettent à la France de soumettre Mustang en son nom, certains éléments peuvent créer une incompréhension, notamment au regard de l’appréciation du CNC.
Un film non conforme aux critères du CNC
Afin de soutenir la production et la préparation des oeuvres cinématographiques françaises, le CNC a pour mission d’attribuer des aides financières à des sociétés de production (L. 111-2, 2° du Code du cinéma et de l’image animée), dont il lui revient de fixer les conditions générales d’attribution (D. 311-1 du code du cinéma et de l’image animée). Ainsi pour en bénéficier au titre des oeuvres d’initiative française, ces entreprises doivent notamment être établies en France et avoir des présidents, directeurs ou gérants ainsi que la majorité des administrateurs de nationalité française ou ressortissant de pays de l’Union européenne (art. 211-3 Règlement général des aides financières). Aussi, les oeuvres cinématographiques doivent être réalisées, dans une proportion minimale, avec le concours d’auteurs, d’acteurs principaux et de techniciens collaborateurs de création de nationalité française ou ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (art. 211-7 du Règlement général des aides financières du CNC). En outre, le film doit répondre à des exigences mises en place sous forme de barèmes qui concernent notamment la langue de tournage ainsi que les lieux de tournages (art. 211-9 du Règlement général des aides financières du CNC).
En l’espèce, Mustang n’a pas bénéficié d’aides au titre des aides financières attribuées aux films d’initiatives françaises. En effet, bien que CG Cinema soit une entreprise de production française, tous les acteurs sont de nationalité turque. S’y ajoute que le film a été entièrement tourné en turque et en Turquie avec une équipe technique composé de Français et d’Allemands, certes, mais aussi de Turques à rôle prépondérant (notamment le producteur exécutif, le directeur artistique et le co-chef opérateur). Cela étant, il a pu bénéficier de soutiens financiers de la part du CNC au titre des aides aux cinémas du monde.
Il semble alors intéressant qu’une commission de sélection composée de l’actrice Nathalie Baye, le réalisateur Michel Hazanavicius et de l’actrice et réalisatrice Mélanie Laurent, nommés par la ministre de la culture et de la communication Fleur Pellerin au titre de « personnalités qualifiées » (art. A. 210-11 du Code du cinéma et de l’image animée), du Délégué général du Festival de Cannes Thierry Frémaux, du Président d’Unifrance Jean-Paul Salomé, du Président de l’Académie des César Alain Terzian et finalement du Président de la commission d’avance sur recettes du CNC Serge Toubiana, puisse arriver à la conclusion que Mustang est le meilleur choix pour représenter le cinéma français alors qu’il ne répond pas au critères d’attribution du CNC. La décision pourrait également être analysée au regard du principe de l’exception culturelle française. Ce dernier serait-il alors devenu obsolète ou ferait-il preuve d’une schizophrénie française quant à son identité nationale cinématographique? En tout état de cause, pour arriver à cette fin, l’équipe du film a fait preuve d’astuce.
La conscience de l’équipe du caractère non-français du film
Bien que la réalisatrice bénéficie de la double-nationalité franco-turque, le producteur a ressenti le besoin de préciser qu’ « au fond, ce qui compte, c’est moins la nationalité de la réalisatrice que la question des valeurs. La France porte les siennes au delà de ses frontières précisément pour qu’un film comme celui-ci puisse exister » (Première, « Mustang choisi aux Oscars : ¨Les valeurs du film sont en phase avec celles que défend la France¨ »).
De deux choses, l’une, le besoin du producteur de ce film de souligner le caractère anodin de la nationalité de la réalisatrice permet de mettre en exergue le fait que le doute existait malgré la double nationalité. Et l’autre, bien que la culture politique française soit d’imposer ou de tenter d’imposer ses valeurs droit-de-l’hommiste à des Etats souverains tiers, le long-métrage est une oeuvre artistique avant d’être une oeuvre politique. Ainsi, cet argument ne devrait a priori pas être l’argument principal pour représenter le cinéma français.
En même temps, l’équipe savait que c’était le seul argument dont elle disposait, étant donné qu’avant de soumettre le long-métrage au jury de sélection français, la réalisatrice et le producteur avaient l’intention de soumettre l’oeuvre au jury de sélection pour la Turquie. C’est seulement au regard du contexte politique et des appréciations défavorables des autorités turques, que l’équipe s’est repliée sur son second choix: la France. Il semble alors épineux de vendre le film comme produit cinématographique français suite à cette constatation.
Il en résulte que l’équipe de Mustang a su faire preuve de sophisme et convaincre le jury que les valeurs politiques portées par ce film et auxquelles adhère la France comptaient plus que l’identité nationale du film. A se demander si la France détient le monopole de défense de telle valeurs.
La vaine tentative de comparaison du choix de la France avec celui de l’Irlande
D’aucuns évoquent alors que la question n’a pas lieu d’être eu égard au fait que d’autres pays ont procédé à la sélection de films tournés à l’étranger et en langues étrangères à celle du pays de représentation. L’argument de certains quotidiens français est le film Viva de Paddy Breathnach tourné en grande partie à Cuba et en langue espagnole et sélectionné pour représenter le cinéma irlandais aux Oscars.
L’argument de comparaison avec la sélection irlandaise s’avère contestable. En effet, même si le producteur estime que Mustang n’a été possible uniquement grâce aux différents producteurs français, il convient souligner le caractère international de la production. Mustang a beau avoir été produit par la société de production française CG Cinéma, il a non seulement été coproduit, entre autres, avec la société de production turque Bam Films et les deux sociétés de production allemande Vistamar Filmproduktion et Uhland Film, mais a également bénéficié d’aides financières en application d’un traité franco-allemand et du CNC, non pas au nom de l’aide à la production d’oeuvres nationales, mais au nom de l’aide aux cinémas du monde; et finalement bénéficié de soutiens supplémentaires de la part, notamment, du ministère de la culture de la Turquie et du Doha Film Institute (Quatar), ainsi que d’autres institutions allemandes. Alors que Viva a fait l’objet d’une coproduction nationale et de soutiens nationaux, puisqu’ont participé les sociétés de production irlandaises Treasure Entertainment et Windmill Lane Pictures avec le soutien financier de l’institution publique Irish Film Board et de la chaîne irlandaise Raidió Teilifís Éireann (RTÉ). S’y ajoute finalement que les producteurs irlandais Robert Walpole, Rebecca O’Flanagan et Cathleen Dore, ainsi que le réalisateur Paddy Breathnach n’avaient à aucun moment l’intention de soumettre le film afin qu’il représente Cuba.
Au regard de la croissance des productions cinématographiques à caractère international ces dernières années, la question de la nationalité du film se pose régulièrement. Il n’existe malheureusement pas de grille d’analyse unique permettant de parvenir à une réponse. Il en résulte que les critères varient selon les circonstances, que ce soit pour le CNC, les Oscars ou les festivals, et qu’un film comme Mustang peut représenter le cinéma français aux Oscars.
Sources:
ANONYME, « Sélection du film représentant la France aux Oscars, Mustang réalisé par Deniz Gamze Ergüven », cnc.fr, mise en ligne le 22 septembre 2015, <http://www.cnc.fr/web/fr/actualites/-/liste/18/7662248>
ANONYME, « Mustang choisi aux Oscars : “Les valeurs du film sont en phase avec celles que défend la France” », premiere.fr, mise en ligne le 23 septembre 2015, <http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Mustang-choisi-aux-Oscars-Les-valeurs-du-film-sont-en-phase-avec-celles-que>
ANONYME, « Oscars : le film franco-turc “Mustang” représentera la France », leparisien.fr, mise en ligne le 22 septembre 2015, <http://www.leparisien.fr/cinema/actualite-cinema/oscars-le-film-franco-turc-mustang-representera-la-france-22-09-2015-5117019.php>
ANONYME, « 88th ACADEMY AWARDS RULES », oscars.org, mise en ligne en 2015, <http://www.oscars.org/oscars/rules-eligibility>
REGNIER (I.), « “Mustang” représentera la France aux Oscars », lemonde.fr, mise en ligne le 22 septembre 2015, <http://www.lemonde.fr/cinema/article/2015/09/22/mustang-representera-la-france-aux-oscars_4767377_3476.html>
BROSNAN (S.), « Production Begins on Treasure Entertainment’s “Viva” in Cuba », iftn.ie, mise en ligne 18 décembre 2014, <http://www.iftn.ie/news/?act1=record&only=1&aid=73&rid=4287870&tpl=archnews&force=1>