Alors que Nonce Paolini, président de TF1, s’apprête à laisser sa place en février prochain, à Gilles Pélisson, actuellement président du Comité des Rémunérations de TF1 et membre du Comité d’Audit de TF1 entre autres fonctions, il annonce le 29 octobre dernier que le groupe entre en négociation exclusive pour racheter la société de production française Newen.
Créée en 2008, la société est un acteur majeur de l’audiovisuel en France puisqu’elle produit plus de 1300 heures de programmes par an au sein de ses quatre filiales (Telfrance, CAPA, Be Aware et 17 juin media). Newen détient notamment dans son catalogue des programmes à succès tels que Candice Renoir, Braquo, Plus belle la vie, les Maternelles, Harry ou encore Versailles, la série la plus chère de l’histoire de la télévision française, diffusée pour la première fois le 16 novembre sur Canal Plus. Newen réalise près des trois quarts de son activité avec France Télévisions.
Mais alors qu’advient-il de ces programmes si la société est rachetée par le groupe privé TF1 ? Le cas pour lequel la transaction est aujourd’hui la plus médiatisée est bien entendu la série Plus Belle la Vie qui pourrait bien se transformer en cauchemar pour les addicts du soap si celui-ci venait à disparaître des écrans de France 3.
Les nouveaux défis de TF1 en quête de nouvelles recettes
L’annonce du rachat de Newen par TF1 survient alors même qu’on apprend la nomination de Gilles Pélisson à la tête du groupe audiovisuel français.
Mais pourquoi cet accord soudain ? Tout d’abord, TF1 est riche, très riche. Le groupe détient une trésorerie nette de 709 millions d’euros notamment grâce à la vente d’Eurosport pour 966 millions d’euros. Avec cet argent, les dirigeants se sont donc fixés comme défis de nouvelles acquisitions dans le numérique et dans la production de contenus. Newen cherchait un partenaire financier pour investir et s’exporter, TF1 avait besoin de se renforcer dans la production au moment où la télévision traditionnelle perd du terrain. Avec ce rachat, TF1 devient propriétaire de programmes de télévision qu’elle pourra revendre à d’autres chaines de télévision françaises ou étrangères, et même à de nouveaux acteurs comme Netflix. TF1 pourra voir dans la vente de ces programmes une nouvelle source de rémunération à l’heure où les contenus valent de l’or.
La ministre de la culture, Fleur Pellerin, a qualifié cet accord de « beau projet ». Elle a conscience que le monde des médias est en pleine mutation et qu’il faut faire face aux géants étrangers. Elle souhaite dans cette optique faire « émerger des champions français » de l’audiovisuel.
Ce mouvement de concentration verticale touche tout le secteur des médias audiovisuels. Pour exemple, Vivendi a récemment investi dans la société de production Banijay-Zodiak, l’un des principaux concurrents de Newen.
La règle de l’indépendance contraire à l’émergence de « champions français » de l’audiovisuel
Le souhait de la ministre a été exaucé puisque le 9 novembre, nous apprenions la finalisation du rachat par TF1 à 70% de Newen. Le premier groupe privé de télévision gratuite en France devient alors un des principaux fournisseurs de programmes de ses concurrents à savoir les chaînes du service public ainsi que Canal Plus. Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, estime alors que le problème reste entier puisque, dit-elle, « la question de la protection des investissements publics n’est pas résolue ». En effet, les investissements du groupe France Télévisions proviennent essentiellement de la redevance et la présidente n’estime pas normal que ces investissements puissent faire « l’objet d’une telle tractation » et servir à augmenter le cours de la bourse de TF1.
De plus, il faut savoir que puisqu’elle est soumise à la règle de l’indépendance, France Télévisions n’a pas le droit de produire en interne plus de 5% de ses programmes. Du fait de cette règle, France Télévisions ne pourrait donc pas racheter Newen même si elle le voulait car la société produit beaucoup pour elle, mais TF1 le peut car la société produit peu pour le groupe privé. Dans ce cas il devient ironique que TF1 puisse produire des programmes pour France Télévisions alors que le groupe ne peut pas le faire lui même. Ici deux logiques entrent en conflit : la règle de l’indépendance et la volonté de faire émerger des « champions français » de l’audiovisuel. C’est pourquoi Fleur Pellerin entend faire évoluer cette règle de l’indépendance pour permettre à France Télévisons, entre autres, de retrouver la maitrise des ses droits et de ses capacités de productions et ainsi permettre au groupe de rester concurrentiel, notamment face aux Etats-Unis où cette règle de l’indépendance a été supprimée.
Les menaces de France Télévisions quant à sa collaboration future avec Newen
En sachant que le contrat entre Newen et France Télévisions pour la diffusion de Plus belle la vie se termine en mai 2016 (le programme sera libre de droits à la toute fin 2016), plusieurs questions se posaient alors. La série sera-t-elle diffusée sur TF1, la série sera-t-elle carrément supprimée ? Un suspens insoutenable pour les fans qui s’est conclu par un happy end puisqu’on a eu la confirmation qu’il n’y avait aucun risque pour que la série ne soit pas reconduite et qu’elle ne disparaitrait pas de la grille de France 3 si ses dirigeants le souhaitent ; soulagement dans le quartier du Mistral ! Les dirigeants de TF1 précisent en effet « qu’il n’est pas question d’utiliser Newen comme une machine de guerre destinée à déstabiliser la concurrence » et que de plus le soap n’intéresse pas la chaîne.
Mais l’histoire n’est pas si simple pour autant puisque France Télévisions souhaite désormais obtenir des droits sur les œuvres qui appartiennent à l’heure d’aujourd’hui à Newen et notamment pour le cas Plus Belle la Vie. Le 3 novembre, à un colloque NPA Conseil, Delphine Ernotte a dit « Plus belle la vie, que France télévisions finance depuis le début il y a dix ans, appartient juridiquement à Newen mais je ne vois pas pourquoi on ne peut pas dire qu’il appartient aussi à France Télévisions ».
Mais Fabrice Larue, PDG de Newen, ne semble toujours pas enclin à partager les droits en cas de revente ou d’utilisation sur le numérique. En effet, il fait remarquer que le décret « production » n°2015-483 du 27 avril 2015 portant modification du régime de contribution à la production d’œuvres audiovisuelles des services de télévision n’est pas prévu sur les programmes passés. Par ce décret, le gouvernement entend mettre en œuvre la réforme du régime de contribution à la production indépendante suite à la loi du 15 novembre 2013. Il permet ainsi aux chaînes de télévision de détenir des parts de coproduction lorsqu’elles financent à plus de 70% une œuvre sauf que ce n’est pas prévu pour les œuvres antérieures à la loi et Plus belle la vie a bien été créée avant 2013.
Si Fabrice Larue campe sur ses positions, on peut penser sérieusement que Delphine Ernotte soit prête à se désengager de sa collaboration avec Newen. En interne de nombreux bruits courent sur la possibilité pour France Télévisions de se séparer de certains de ses programmes. La présidente a déclaré « C’est dur de se séparer de programmes qui marchent, mais c’est difficilement envisageable en interne de faire produire une série importante par une société possédée par TF1 ». Menace ou réelle intention ? Pour l’instant personne ne sait vraiment mais Newen ne devrait pas sous-estimer les propos Mme Ernotte. En effet, comme nous l’avons déjà fait remarquer, Newen réalise la majorité de son activité avec le groupe France Télévisions, ce ne serait donc pas judicieux pour la société de rester en conflit avec le service public.
SOURCES
ANONYME, AFP « TF1 veut racheter la société de production française de Newen qui produit Plus belle la Vie », huffingtonpost.fr, publié le 29 octobre 2015
ANONYME, AFP « TF1 en négociations pour racheter Plus belle la vie », lexpress.fr, publié le 29 octobre 2015
PIQUARD (A.), « Tractations autour du rachat du producteur Newen par TF1 », lemonde.fr, publié le 6 novembre 2015
ANONYME « TF1-Newen : France Télévisions ne désarme pas », lemonde.fr, publié le 9 novembre 2015 < http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/11/09/tf1-annonce-le-rachat-du-producteur-newen_4806143_3236.html >
REVEL (R.), « Plus belle la vie restera sur France 3 », blogs.lexpress.fr, publié le 9 novembre 2015 < http://blogs.lexpress.fr/media/2015/11/09/plus-belle-la-vie-restera-sur-france-3/ >
ANONYME, AFP « TF1 officialise le rachat de Newen, la société de production de Plus belle la vie » lexpress.fr, publié le 10 novembre 2015