Le 3 septembre dernier Vincent Bolloré a officiellement pris le contrôle du groupe audiovisuel Canal+. Personne ne l’avait vu venir et pourtant cet homme d’affaire breton s’est peu à peu fait une place en effectuant des rachats successifs de plusieurs actions sur le marché. Après avoir mis un pied dans l’univers des médias et de la communication en arrivant à la présidence du conseil d’administration de l’agence Havas, Vincent Bolloré devient actionnaire puis président du conseil de surveillance de Vivendi. Le groupe Canal+ se trouvant être une filiale de Vivendi, Vincent Bolloré s’est progressivement hissé aux commandes du groupe audiovisuel, dont désormais il est le propriétaire, après avoir été président de son conseil de surveillance.
Il n’est pas sans savoir que la survenance de cet homme d’affaire aux multiples facettes à la direction de Canal+ a suscité d’innombrables critiques et mécontentements, de par ses choix plus que radicaux ayant bouleversé le fonctionnement et l’environnement même du groupe audiovisuel.
Les subversions au sein du groupe Canal+
L’arrivée de Vincent Bolloré à la présidence du groupe audiovisuel a entrainé un véritable séisme. En effet, de nombreux personnages emblématiques dans la direction de Canal+ se sont vus remerciés suite à l’accession de l’homme d’affaire au poste de président du groupe. A titre d’exemple, Vincent Bolloré a énoncé que le président du directoire, Bertrand Méheut, « était important mais pas éternel à la tête de Canal+ ». Ce dernier a donc rapidement été remplacé par Jean-Christophe Thiery, n’étant autre que le dirigeant du groupe Bolloré Média. Le nouveau propriétaire de Canal+ a donc su s’entourer des bonnes personnes afin d’effacer tout obstacle potentiel, remettant ainsi en cause le pluralisme des idées au sein du groupe audiovisuel.
Outre cette restructuration du personnel, Vincent Bolloré a tenté de supprimer un programme culte de la chaîne : Les Guignols de l’info, rumeur apparue en juillet 2015 alors qu’il n’était que président du conseil de surveillance. Selon les dires l’homme d’affaire souhaitait mettre un terme à ce programme en raison de l’abus de dérision qui en découlait. Plusieurs médias avaient soutenu qu’il s’agissait d’une décision d’ordre politique. Face à de nombreuses indignations et révoltes, notamment du public, l’émission des Guignols a été maintenue mais se trouve être désormais en crypté.
Cet événement témoigne ainsi de l’indépendance éditoriale douteuse du grand groupe audiovisuel depuis l’arrivée de Vincent Bolloré. En effet, ce dernier arguait il y a quelques mois qu’il s’était toujours employé à dépolitiser les sociétés qu’il avait sous son contrôle. Sa parole a été toutefois ici remise en cause tant la suppression d’une telle émission satirique suppose l’implication d’intérêts privés, probablement de politiciens, à savoir que Vincent Bolloré entretient des relations d’amitié avec plusieurs d’entre eux. Mais des intérêts privés ne doivent en aucun cas venir perturber le droit pour le public d’être informé, de manière satirique ou non d’évènements sociétaux, la satire permettant souvent de mieux réaliser l’état actuel de la société.
La volonté de Vincent Bolloré de brider certains programmes ne s’est pas limitée à cela, il a en effet censuré par la suite un documentaire relatif à un réseau bancaire, devant être diffusé sur la chaîne.
La censure brutale du documentaire relatif au Crédit mutuel
Si l’émission culte des marionnettes a été maintenue, il n’en a pas été de même pour un documentaire présentant une enquête sur la banque mutualiste. D’après les sources du magazine Society, en date du 24 juillet, ayant fait une enquête sur le nouveau propriétaire de Canal+, la diffusion d’un documentaire traitant de la filiale suisse du Crédit mutuel a fait l’objet d’une annulation. L’enquête n’a pu être diffusée sur la chaîne alors même que sa programmation avait été validée deux mois plus tôt par le comité éditorial et la direction juridique de Canal+. L’information a été confirmée par le site Mediapart, étant co-auteur du documentaire.
Ce revirement n’est pas anodin, en effet, le documentaire devant être diffusé sous le nom « Evasion fiscale », traitait comme son nom l’indique de la révélation du système de fraude fiscale mis en place par le Crédit mutuel au travers de l’une des ses filiales suisses. Le président de la banque mutualiste n’étant autre qu’un des principaux partenaires financiers de Vincent Bolloré a donc fait en sorte que ce documentaire ne soit pas dévoilé au grand jour. C’est bien évidemment sans peine que Vincent Bolloré est parvenu à faire déprogrammer le documentaire probant. Le fait d’annuler la diffusion de cette enquête a donc résulté d’intérêts réciproques présents entre les deux hommes d’affaire. En effet, le magazine Society, toujours, avait avancé l’hypothèse que Vincent Bolloré ne souhaitait pas « mettre en porte-à-faux ses amis » du Crédit mutuel.
Cependant, des liens d’intérêts voir même d’amitié ne doivent en aucun cas justifier de la suppression d’un film documentaire, qui plus est d’une enquête visant à informer le public des manœuvres frauduleuses d’une banque, dont ils pourraient en être les clients.
Un droit du public à l’information moqué
Le nouveau propriétaire de Canal+ vise certes à imposer sa façon de penser et ses méthodes, toutefois, il n’a pas bien pris en considération le fait que le droit du public à l’information constitue un droit fondamental. En ce sens ce droit ne peut être arbitrairement mutilé, le droit à l’information du public permettant en quelque sorte aux citoyens de participer à la vie de leur société. Nous vivons effectivement dans une société caractérisée par la liberté d’expression, ce qui sous-entend à la fois le droit pour les médias de s’exprimer librement, soit la liberté d’émettre, mais aussi la liberté de recevoir. La liberté d’expression permet en effet de garantir le pluralisme des opinions et ainsi le droit à la liberté d’information. Le public est donc en droit de recevoir des informations, loyales, c’est pourquoi on ne peut censurer un documentaire pour simple motif que cela met dans l’embarras un de nos proches, homme d’affaire.
Le droit du public à l’information prime et c’est pour cela que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a pour mission de veiller au respect de la déontologie par les groupes audiovisuels, passant par l’honnêteté de l’information et le traitement de l’information. La déontologie renvoie à la liberté de communication, qui est avant toute chose une liberté du public. L’une des missions principales du CSA est en effet de sauvegarder la liberté d’opinion des téléspectateurs. Le Conseil entend aussi préserver la liberté et l’indépendance éditoriale, c’est pour cela qu’il s’était alors autosaisi de l’affaire du documentaire censuré sur le Crédit mutuel, mais sans pour autant aboutir à une sanction effective. Selon la ministre de la Culture et de la Communication, le CSA ne dispose effectivement pas des outils nécessaires pour lutter contre le manque d’indépendance des rédactions en raison d’intérêts privés, car les seuls outils qu’il possède sont les conventions qu’il signe avec les chaînes. Or si la chaîne en question, ce qui est le cas de Canal+, n’a pas signé au sein de sa convention une clause garantissant l’indépendance de sa ligne éditoriale, le Conseil se retrouvera impuissant. C’est ce qui s’est produit en l’espèce et c’est pour cette raison que Fleur Pellerin souhaite rendre obligatoires les clauses déontologiques pour toutes les chaînes.
Mais le droit du public à l’information a triomphé car le groupe France 3 s’est dressé face à Vincent Bolloré et a réussi à obtenir à la rentrée l’autorisation de diffusion du documentaire. France 3 est en effet parvenu à récupérer les droits de diffusion libérés par Rodolphe Berner, ancien directeur de Canal+, juste avant d’être étonnamment évincé par Vincent Bolloré. Cette victoire n’a cependant été que de courte durée. Un coup de théâtre s’en est en effet suivi, mettant à nouveau en péril la programmation du documentaire sur le Crédit mutuel, car l’un des directeurs de la société productrice ; la société Zodiak, est revenu sur ses positions en disant que le documentaire n’était pas libre de droits et que ces derniers appartenaient à Canal+. Il n’est pas sans surprise le fait de savoir que cette personne en question travaillait régulièrement avec le groupe audiovisuel, notamment pour la production de séries qui font tant le succès de la chaîne. Il n’est effectivement jamais conseillé de s’attirer les foudres d’un très gros client. Des intérêts privés sont donc à nouveau venus parasiter la diffusion de programmes audiovisuels.
Le fait d’apprendre que Vivendi détenait 26% du capital de la société Zodiak n’a encore une fois pas suscité notre étonnement. Vincent Bolloré en tant que président du conseil de surveillance de Vivendi a donc la mainmise sur de nombreuses sociétés dans le milieu de la télévision. Cela complexifie d’autant plus la tâche et menace ainsi clairement l’indépendance éditoriale de Canal+. Mais Delphine Ernotte, fraîchement nommée à la présidence de France Télévisions par le CSA, a tenu bon et est parvenue à maintenir la diffusion du documentaire. Merci au service public de ce nouveau revirement !
SOURCES :
PIQUARD (A.), « Comment Vincent Bolloré a pris le pouvoir à Canal+ », lemonde.fr, publié le 2 septembre 2015 <http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/09/02/comment-vincent-bollore-a-pris-le-pouvoir-a-canal_4743043_3236.html>
JACQUES (A.-S.), « Canal+ : Documentaire censuré par Bolloré (Society/Mediapart) », arretsurimages.net, publié le 29 juillet 2015 <http://www.arretsurimages.net/breves/2015-07-29/Canal-documentaire-censure-par-Bollore-Society-Mediapart-id19112>
PSENNY (D.), « Ce que contient le documentaire sur le Crédit mutuel censuré par Vincent Bolloré », lemonde.fr, publié le 28 septembre 2015 <http://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2015/09/28/ce-que-contient-le-documentaire-sur-le-credit-mutuel-censure-par-vincent-bollore_4774558_1655027.html>
DOUKHAN (D.), « Un amendement anti-Bolloré dans les cartons de Pellerin », europe1.fr, publié le 14 octobre 2015 <http://www.europe1.fr/politique/un-amendement-anti-bollore-dans-les-cartons-de-pellerin-2529199>