Si à l’origine le vin ne faisait l’objet d’aucune restriction du fait de son faible degré d’alcool, depuis vingt quatre ans, il était réglementé à l’égal des autres boissons alcooliques telle que la vodka ou le champagne. Si on ne faisait aucune distinction du genre jusqu’alors, depuis peu, c’est une véritable distinction qui s’opère.
La loi Evin adoptée le 10 janvier 1991 par le ministre en charge des affaires sociales, Claude Evin, était considérée comme bien trop sévère.
Ce texte célère, qui encadre la publicité pour les boissons alcooliques représentait un frein, selon certains députés, pour l’économie et la culture du vin, pourtant troisième secteur français à l’export.
Alors entre assouplissement et protection de la santé publique, c’est un véritable bras de fer qui s’était engagé et qui vient de se conclure ce mardi 24 novembre 2015.
En effet, l’assemblée a enfin tranché et aujourd’hui les grands vainqueurs de la bataille sont les défenseurs du vin qui préconisent un assouplissement ou du moins une distinction entre publicité et information œnologique.
Une législation bien trop rigoureuse
La loi Evin, célèbre pour fixer un encadrement strict de la publicité et l’information du public sur les risques liés à la consommation était jusqu’à mardi, en débat pour sa rigueur envers le vin. Bonne nouvelle diront certains, mais la loi Evin on n’y comprend plus rien ! Petit rappel de la loi et son évolution.
Si la publicité des boissons alcoolisées est autorisée sur différents supports tels que la presse écrite (à l’exception de la presse destinée à la jeunesse) ou encore internet, lorsque celle-ci est autorisée, son contenu reste limité au regard de l’article L3323-4 du code de la santé publique. Ce dernier dispose qu’est interdite la mise en scène du produit. L’image doit être limitée au produit lui même, le texte doit se borner aux mentions prévues par la loi, et le conseil de modération doit être systématiquement présent, ce que l’on peut aisément comprendre.
On autorise seulement une présentation objective et informative, donc à contrario, toute représentation favorable d’une boisson alcoolisée, toute mise en valeur d’un produit, même du terroir serait prohibée d’où l’incertitude qui demeurait concernant le vin.
Cependant, il faut énoncer que la frontière entre information et incitation est difficile à percevoir ce qui fait qu’il y ait souvent débat sur la question mais la jurisprudence, alliée précieux du législateur a toujours interprété de façon extrêmement restrictive la loi Evin. Toute évocation d’une boisson alcoolisée est considérée par les juges de la cour de cassation comme de la publicité, cette notion interprétée trop librement.
Ainsi, s’agissant de la publicité concernant le vin, comme il a été dit précédemment, les restrictions suivaient le même principe que les alcools forts, ce qui est regrettable.
Dans une affaire qui s’intéressait à la campagne publicitaire des vins de Bordeaux, les juges de la cour de cassation dans leur décision du 23 février 2012, avaient condamné une affiche publicitaire « vantant les mérites du vin ». En effet le slogan scandait « Les bordeaux, personnalités à découvrir ».
Le juge fondait la promotion et la consommation du vin avec la convivialité ce qui incitait à la consommation malgré l’insertion du message sanitaire. Contrariant, notamment pour le conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) qui mettait en avant la qualité du produit afin de favoriser ses ventes. Cette solution est critiquable car il ne faut voir qu’une opération marketing, une mise en valeur d’un produit local.
Cette décision avait ainsi jeté un trouble pour les viticulteurs qui font la publicité de leur produit, car concrètement ils étaient dans le flou concernant ce qui peut être dit et ce qui est attentatoire à la santé publique. Avec ce type de décisions, il est aisé de penser que l’avenir de la publicité et du commerce vinicole était limité.
Ainsi, pour ne plus considérer le vin comme une boisson lambda mais comme un alcool représentatif de notre patrimoine, le Sénat avait enfin pris un amendement en 2014 pour donner au vin une classe privilégiée.
La volonté de reconnaître au vin une dimension singulière
Le 19 février 2014, un amendement pris dans le cadre du projet de loi d’avenir sur l’agriculture avait été validé par la commission des affaires économiques du sénat reconnaissant au vin une dimension privilégiée.
En outre, il avait été décidé l’absence de distinction entre le vin des autres alcools considérés comme dur car cela emportait des conséquences économiques négatives pour la filière vinicole.
La volonté du sénat était alors de créer une vraie différenciation, entre les vins français et les alcools notamment issus de processus industriels, afin de permettre l’accès à la publicité pour les produits issus de l’agriculture à condition bien sûr, d’être assortis d’un message d’incitation à la modération. Cette commission avait en effet énoncé que « Le vin, produit de la vigne et les terroirs viticoles font partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager de la France ». Il doit alors être perçu comme un symbole d’identité nationale.
Selon l’idée de la commission, il ne fallait pas l’interdire mais plutôt défendre l’éducation de sa consommation. Il s’agissait là, de la défense d’une culture, d’un patrimoine.
Roland Courteau, alors sénateur de l’Aude s’était exprimé dans le magazine rue89bordeaux en énonçant que « Le vin fait partie de l’art de vivre à la française. C’est d’abord notre identité et notre histoire. C’est une richesse incomparable que le monde entier nous envie. C’est le rayonnement de la France. A vouloir dénigrer cette évidence, on se tire une balle dans le pied ».
Ainsi, après dix ans de bataille, c’est une toute autre décision qui est rendue. En effet, la cour de cassation a rendu le 1er juillet 2015, une décision en faveur des acteurs de la vigne, ce qui marque une certaine évolution. Effectivement, si les professionnels du vin jusqu’alors ne pouvaient pas mettre en valeur leurs produits, désormais, c’est toute une autre dynamique. La cour de cassation a autorisé la diffusion de la campagne publicitaire « Portraits de vignerons », portée par le CIVB.
La cour énonce « que les personnages figurant sur les affiches, expressément désignés comme des membres de la filière de production ou de commercialisation des vins de Bordeaux, ne sont pas assimilables au consommateur […], que l’impression de plaisir qui se dégage de l’ensemble des visuels ne dépasse pas ce qui est nécessaire à la promotion des produits et inhérent à la démarche publicitaire proprement dite, laquelle demeure licite ».
Cette décision de la cour de cassation fait parfaitement écho avec le débat qui a lieu depuis 2014 et qui vient de se finaliser par une modification de la loi.
La croisade entreprise par les députés pour assouplir la loi Evin et clarifier la notion d’information œnologique
Depuis 2014, c’est une véritable polémique qui entoure la loi Evin. Elle est au cœur de vifs débats entre ceux qui se positionnent comme défenseurs du vin et de ses acteurs et ceux qui militent pour garantir la santé publique.
Ce débat houleux prend naissance dans la loi Macron où il était déjà question d’un amendement qui viserait à distinguer la publicité de l’information oenotouristique. Il était alors énoncé que « Ne sont pas considérés comme une publicité ou une propagande au sens du présent chapitre les contenus, images, représentations, descriptions, commentaires ou références relatifs à une région de production, […] au savoir-faire, à l’histoire ou au patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique disposant d’une identification de la qualité ou de l’origine ».
Ainsi, dès la loi Macron, c’est bien l’idée d’une protection d’un produit du terroir qui ressort. Pour autant, cet amendement qui avait au préalable été voté n’avait finalement pas été retenu par le conseil constitutionnel, qui avait énoncé pour motiver sa décision, un défaut de forme en affirmant qu’il s’agissait d’un « cavalier législatif » et qui ne pouvait trouver son fondement dans le projet de loi sur l’économie et la croissance.
Si l’on croyait le débat terminé, c’est sans compter le dépôt d’un amendement similaire par le sénateur Roland Courteau dans le cadre, cette fois, du projet de loi sur la santé ce qui semble plus cohérent puisque c’est la santé publique qui est également au cœur des discussions.
C’est toujours le même motif qui est avancé par les députés et les sénateurs. En effet, on veut par ce nouvel amendement, défendre le patrimoine gastronomique et la culture française, car le vin qu’on soit d’accord ou non représente une tradition, l’image de la France.
Pour se faire, il est nécessaire de fixer un filtrage entre les contenus qui illustrent une publicité pour l’alcool et les contenus qui relèvent d’une information qui vise à mettre en lumière les richesses de la France. Par ailleurs, il faut préciser que cet assouplissement est souhaité également au nom de l’emploi et du développement économique d’un marché toujours plus porteur, qui représente aujourd’hui plus de 500 000 acteurs.
Ainsi, c’est d’abord les sénateurs qui ont adopté à une très grande majorité (287 sénateurs contre 33) l’amendement le 15 septembre. Ils considèrent désormais que ne sera plus considérée comme de la publicité les contenus ou images faisant référence au patrimoine culturel, lié à une boisson alcoolique telle que le vin.
C’est cette même conception de l’information qui a été retenue en commission des affaires sociales, le 9 novembre, par les députés qu’ils soient de gauche ou de droite, étant précisé que nombreux députés étaient des députés médecins. Ces derniers estiment, ainsi qu’un contour aussi stricte de la publicité sur le vin n’est pas justifié du fait que ses bienfaits sont aujourd’hui reconnus.
En effet, il est admis par la communauté scientifique et d’après les enquêtes épidémiologiques que le vin a des vertus pour prévenir des maladies cardiovasculaires, ou du diabète notamment, lorsqu’il est consommé avec modération. Et n’oublions pas qu’en France, le vin représente 31 millions de consommateurs responsables.
Ainsi, toutes ces raisons ont conditionné à l’adoption d’un assouplissement de la loi Evin, voté à une large majorité (102 voix contre 29) le 24 novembre par les députés.
Avec cette modification, le parlement estime que l’information œnologique permettra de développer d’une part l’emploi et le tourisme, et d’autre part, une communication modérée mais libre du vin car jusqu’alors, la pratique de l’autocensure était de coutume dans les rédactions lorsqu’il s’agissait de traiter de sujets sur le vin. Il sera donc admis également, pour les acteurs du vin, de mettre en avant leurs produits et de communiquer sur une consommation modérée du vin.
Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture s’est exprimé suite à cette adoption. Selon lui, cette avancée est « une solution équilibrée qui préserve à la fois la santé publique et les intérêts d’une filière économique importante pour la France ».
Donc, chers acteurs du vin, vous pouvez désormais souffler mais un conseil, faites attention à Marisol Touraine !
La ferme opposition du ministre de la santé, Marisol Touraine
Avec cette modification, on s’attendait par la même occasion à ce que les débats s’amenuisent mais c’était sans compter Marisol Touraine. En effet, cette dernière soutenue par d’autres députés, sénateurs et associations, considère que l’amendement adopté pour modifier la loi Evin est une attaque sans précédent au domaine de la santé publique.
La ministre de la santé s’insurge contre le vote de cet assouplissement qui ne serait pas justifié car la publicité pour le vin, selon elle, n’est pas interdite. En effet, Marisol Touraine a énoncé dans l’émission de Jean Jacques Bourdin sur BFMTV, que c’est « une modification profonde de l’équilibre de la loi. Il est regrettable et triste qu’une grande loi de santé soit défaite ». La ministre, très hostile dénonce un désastre au vu des 50 000 morts par an dus à l’alcool.
L’institut national du Cancer suit la même position en dénonçant, elle aussi les 15 000 morts par an dus à un cancer lié à l’alcool. L’institut énonce que cette modification est un « boulevard promotionnel aux multinationales d’alcool », qui servira selon elle, « bien plus qu’aux viticulteurs ».
Enfin, le père fondateur de la loi Evin, Claude Evin, ancien ministre de la santé, dénonce quant à lui sur la chaine France 3, la crainte de voir de grands industriels profiter de cette ouverture pour promouvoir leurs produits.
Afin de contrer l’avancée législative retenue par les députés, mardi, Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales a introduit un amendement visant à la supprimer. Soutenue par la ministre de la santé, l’amendement a été rejeté par 102 voix contre 32, ce qui représente un échec total.
Pour autant, si les avis sont tranchés sur la question, il semble opportun de dire que tous les arguments dans le cadre de ce débat se tiennent et sont justifiés. En effet, il faut que les acteurs du vin aient cette possibilité de faire connaître les produits du terroir, rayonnement de notre belle France mais il ne faut pas oublier que la santé publique reste l’enjeu premier, l’enjeu fondamental. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la solution miracle n’existe pas.
SOURCES
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