La société de télévision Diversité TV s’est vu retirée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le 14 octobre 2015, l’autorisation qui lui avait été délivrée pour la diffusion de la chaîne Numéro 23. Voici une décision inédite dans l’histoire de l’audiovisuel français ; c’est la première fois en France que le Conseil décide l’abrogation d’une autorisation de diffusion télévisuelle par voie hertzienne.
L’autorisation de diffusion pour la chaîne Numéro 23 a été délivrée gratuitement à la société Diversité TV dans le cadre d’un appel à candidatures, en juillet 2012, pour le projet « Diversité » sur la télévision numérique terrestre diffusée par voie hertzienne. L’exploitation du service par l’actionnaire majoritaire M. Pascal Houzelot a néanmoins révélé que celui-ci s’intéressait plus à valoriser son activité qu’à assurer ses obligations qui découlaient de l’autorisation.
Cette décision du CSA vient ainsi clore une polémique qui émergeait au mois d’avril, suite à la transmission au Conseil du projet de cession de la chaîne Numéro 23 à la société NextRadioTV.
La sanction juridique de la modification des conditions de délivrance de l’autorisation de diffusion
Lors de l’appel à candidatures en mars 2012, le président de la société Diversité TV a fait valoir « un développement basé sur un actionnariat solide et durable » ainsi qu’un « plan de financement dont l’équilibre prévisionnel est envisagé en 2019, avec une montée en charge (c’est-à-dire une augmentation des actions) progressive ». Par ailleurs, la convention signée entre le CSA et la société pour la délivrance de l’autorisation prévoyait un article 5-2 en vertu duquel « l’éditeur s’engage pendant deux ans et demi à compter de la signature de ne procéder à aucune modification (…) qui aurait pour effet de modifier le contrôle direct de la société ». De plus, l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la communication audiovisuelle permet au CSA de retirer l’autorisation de diffusion « sans mise en demeure préalable, en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l’autorisation avait été délivrée », les changements concernant notamment ceux « intervenus dans la composition du capital social ou des organes de direction et dans les modalités de financement ».
Pourtant, dès le début de l’année 2013, M. Pascal Houzelot a fait entrer dans la société sept nouveaux actionnaires, ce qui a permis une augmentation de capital de 15%. Plus précisément, ce qui a posé problème, c’est le pacte d’actionnaires signé entre la société UTH et la société Diversité TV dès le mois d’octobre. Celui-ci a permis une nouvelle augmentation de capital au profit de la société Diversité TV, dont 15% étaient détenus par la société UTH. Dans les faits, cette situation donnait à la société UTH un droit de véto sur les décisions prises par la société dans l’exercice de l’activité. Dès lors, le CSA a considéré que l’exploitation du service révélait une modification substantielle des données au vu desquelles l’autorisation de diffusion avait été délivrée. Pour lui, ces éléments étaient de nature à remettre en cause les choix qu’il avait opéré lors de l’appel à candidatures.
Par ailleurs, ce plan d’actionnaires a été dissimulé au CSA malgré de nombreuses relances de sa part. Ce pacte n’a été transmis au Conseil qu’en mai 2015, postérieurement à la demande d’agrément du projet de cession de la chaîne à la société NextRadioTV. Une telle dissimulation, ainsi que les conditions de cession de la chaîne Numéro 23 à la société titulaire des chaînes BFMTV et RMC Découverte, ont révélé une tentative d’abus de bien public, que sont le fréquences hertziennes, entachée de fraude. D’une part, le CSA a estimé que le pacte d’actionnaires avait été conclu avec la société UTH dans l’unique perspective d’une cession de capital totale et anticipée. D’autre part, le projet de cession s’élevait à un montant de 88,3 millions d’euros ; néanmoins, la situation financière de la société Diversité TV, les pertes actuelles ainsi que le plan d’affaires prévisible ne justifiaient pas un tel montant. Pour le premier semestre de l’année 2015 par exemple, le taux d’audience de la chaîne s’élevait à seulement 1%. Dès lors, le CSA a considéré que ce qui justifiait un tel montant de la part des parties à la cession, c’était la valorisation de l’autorisation administrative de diffusion délivrée par le Conseil. Pourtant, il ressort de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel (décision DC du 26 juin 2003) et le Conseil d’Etat (arrêt du 21 mars 2003), que le principe de gratuité d’occupation du domaine public hertzien a « vocation à poursuivre l’impératif fondamental du pluralisme et non asseoir la valeur financière » de la personne morale titulaire d’une telle autorisation. Le CSA a alors estimé que l’actionnaire majoritaire avait, dès le lancement de la chaîne, cherché à valoriser à son profit l’autorisation de diffusion dans la seule perspective de cession à nouvel actionnaire; ceci étant constitutif d’un abus de droit, à caractère frauduleux et contraire au pluralisme. Dès lors, aucune autre mesure que l’abrogation de l’autorisation délivrée ne pouvait permettre de pallier à cette situation.
La sanction politique de la valorisation de l’autorisation de diffusion attribuée gratuitement
Cette décision a bien sûr largement été contestée par les présidents des sociétés Diversité TV, UTH et NextRadioTV. Pour M. Pascal Houzelot, cette décision était « disproportionnée ». Le président de la société NextRadioTV, quant à lui, a considéré cette décision comme étant « une petite victoire pour les acteurs historiques qui ne veulent pas que les nouveaux entrants prennent de l’importance dans le secteur ». Pour lui, « ce cartel escompte faire respecter des règles qu’il importe lui-même au secteur audiovisuel, en mettant le CSA sous pression ». Le projet de cession de la chaîne Numéro 23 avait en effet hautement été dénoncé par de grandes sociétés télévisuelles telles que TF1, M6 ou encore Canal+, qui parlaient de « spéculation » sur la valeur d’un droit attribué gratuitement. Pour ces grands de l’audiovisuel, le Conseil devait « analyser cette opération comme relavant d’une fraude caractérisée à la loi ».
Constituant bien plus qu’une simple querelle concurrentielle, cette affaire est devenue symbolique en matière de valorisation du droit d’occupation du domaine public hertzien. Dans le passé, plusieurs acteurs de l’audiovisuel ont déjà cédé au prix fort des chaînes pour lesquelles l’autorisation avait fraichement été attribuée. Par exemple, les chaînes de télévision Direct 8 et Direct Star (D17) ont, rapidement après leur lancement, été cédées par Vincent Bolloré à la société Canal+. Dans le ordre même idée, les chaînes NT1 et TMC ont été revendues par le groupe AB à la société télévisuelle TF1. Dès lors, le contentieux autour du projet de cession de la chaîne Numéro 23 s’est révélé politique. L’affaire Numéro 23 symbolise en effet la question de la valorisation, de la spéculation, du droit d’occupation du domaine hertzien, délivré gratuitement.
La décision du CSA d’abroger l’autorisation de diffusion s’inscrit donc dans une prise de conscience de la nécessité d’un meilleur encadrement des fréquences qu’il attribut. L’autorisation est en effet délivrée sur un principe d’égalité, gratuitement ; l’attribution d’une fréquence ainsi que l’activité de diffusion doit fondamentalement assurer le pluralisme. Plus largement, cette opération a directement été visée par les pouvoirs publics, qui souhaitent lutter contre la valorisation de l’autorisation administrative et limiter ainsi la revente de chaînes fraichement acquises. Dès que le projet de cession de la chaîne à la société NextRadioTV a été porté à la connaissance du public, le gouvernement a en effet proposé avec ferveur un amendement à la loi Macron qui aurait eu pour effet de « prévenir la spéculation sur la revente de fréquence hertzienne ». La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques prévoyait en effet une taxation à hauteur de 20% pour les reventes de chaînes intervenant moins de cinq ans après la délivrance de l’autorisation. Pour les cessions plus tardives, le montant de la taxe est moins élevé, il est de 10% pour les reventes intervenant après cinq ans d’activité, et de 5% pour celles ayant lieu après dix ans. Bien que rejetée par le Conseil constitutionnel comme constituant un cavalier législatif au sein de la loi Macron, la taxation apparaît aux yeux des pouvoirs en place comme une mesure appropriée à la lutte contre les reventes anticipées de chaînes télévisuelles.
Quoi qu’il en soit, la sanction du CSA à l’égard de la société Diversité TV ne doit prendre effet qu’au 30 juin 2016. Ce laps de temps avant l’effectivité de la décision est prévu dans le but d’assurer la continuité du service public en évitant un écran noir pour les spectateurs. Plus particulièrement, il peut permettre à Pascal Houzelot de renoncer aux conditions du pacte d’actionnaires et du projet de cession à NextRadioTV. Dès lors, ce renoncement justifierait l’annulation du retrait de l’autorisation. Cette possibilité montre bien qu’il s’agit d’une décision aussi bien juridique que morale, qui vise directement à lutter contre le phénomène de spéculation des fréquences.
SOURCES
CSA. Ass. Plèn. Décision n°2015-367 du 14 octobre 2015 portant sanction à l’encontre de la société Diversité TV France, consultable sur le site du CSA, < http://www.csa.fr/Espace-Presse/Communiques-de-presse/Numero-23-abrogation-de-l-autorisation >
BAUDRILLER (M.), « Numéro 23 : la grosse colère des patrons de TF1, M6 et Canal Plus », mis en ligne le 17/04/15, consulté le 30/11/15 < http://www.challenges.fr/media/20150417.CHA5062/numero-23-le-gros-coup-de-gueule-des-patrons-de-tf1-m6-et-canal-plus.html>
PIQUARD (A.) et DELCAMBRE (A.), « L’autorisation de diffusion de la chaine Numéro 23 suspendue », mis en ligne le 15/10/15, consulté le 30/11/15 < http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/10/14/le-csa-retire-son-autorisation-a-numero-23_4789584_3236.html>