Si l’on vous dit Abdellatif Kechiche, Adèle Exarchopoulos ou Léa Seydoux, vous répondez ? La vie d’Adèle !
Le 9 octobre 2013, apparaissait sur grand écran, le fabuleux destin d’Adèle, jeune adolescente en pleine découverte de l’amour.
Le chef d’œuvre d’Abdellatif Kechiche, acclamé par le public et la critique, gagnant de la palme d’or au festival de cannes, édition 2013, mettait en scène la naissance et la mort d’une histoire d’amour homosexuelle entre deux jeunes femmes. Rien de choquant me direz vous ? Et pourtant, le film aux 16 récompenses et aux 21 nominations a suscité bien des controverses. En effet, les scènes de sexe filmées en gros plan ne justifient pas que le film soit interdit seulement aux moins de 12 ans.
Ainsi, après deux ans de tranquillité, la justice a décidé de retirer le visa d’exploitation de La vie d’Adèle jugeant que la mesure de classification est insuffisante.
La force obscure du système de classification des œuvres cinématographiques
Si aujourd’hui en France la liberté d’expression prime, il y a des domaines où celle ci peut être entravée par une autorisation préalable. C’est le cas notamment du cinéma qui se voit appliquer des règles particulières au nom de la protection de l’enfance ou de la dignité humaine.
En effet, si à l’origine, la création cinématographique bénéficiait d’une totale aisance, depuis 1916, la loi interdit de diffuser un film en salle sans un visa d’exploitation, en vertu de l’article L211-1 du code du cinéma et de l’image animée.
Ce précieux sésame ne peut être délivré que par le ministre de la culture, après avis de la commission de classification des œuvres cinématographiques, du centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Le visa d’exploitation est obligatoirement accompagné d’une mesure de classification et les membres de la commission du CNC disposent alors de cinq options, prévues par l’article 3 du décret du 23 février 1990.
Ainsi, le film peut être soit tout public, soit assorti d’une interdiction de représentation aux mineurs de moins de douze ans, de seize ans ou de dix huit ans. Par ailleurs, la commission peut également proposer une interdiction complète du film, ce qui n’a pas été fait depuis 1980.
A préciser qu’un avertissement peut venir compléter une classification pour alerter le spectateur sur un aspect particulier du film qu’il souhaite voir.
Par ailleurs, à ce jour, il est évident d’observer la force de ce système capable d’interdire ou d’autoriser la représentation d’une œuvre cinéma. Pour autant doit on parler de censure cinématographique ? Une réponse positive comme négative serait facile à argumenter mais les cas de censure effective en France sont restés rare et le système n’est pas contesté du moins il ne l’a jamais été devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Mais aujourd’hui avec l’évolution de la morale de la société française, la mission de la commission de classification des œuvres cinématographiques devient compliquée surtout concernant les films traitant de la sexualité.
En effet, avec les récentes suspensions de visa d’exploitation des films comme Love ou encore Nymphomaniac, il devient difficile de distinguer ce qui doit être interdit aux moins de 16 ans ou aux moins de 18 ans. Pourtant le code du cinéma et la jurisprudence démontrent qu’un film qui comporte des scènes de sexe non simulées pourra être interdit aux moins de 16 ans, aux moins de 18 ans ou être classé X.
Cependant, dans La Vie d’Adèle, les scènes de sexe entre les actrices principales sont des scènes simulées selon leurs propres dires. Donc, la mesure de classification qui lui a été accordée en 2013 semble tout à fait plausible. Pour autant, aujourd’hui, elle n’est plus satisfaisante et on veut l’étendre aux moins de 16 ans minimum.
Face à ce flou et à la suspension du visa d’exploitation du film de Gaspard Noé Love, la ministre de la culture, Fleur Pellerin a demandé au président de la commission de classification, Jean-François Mary, de lui présenter des propositions d’ici janvier 2016 afin d’améliorer ce système qui aujourd’hui n’est plus adapté à la société.
La passion amoureuse d’Adèle justifie l’interdiction aux mineurs de 12 ans
C’est Aurélie Filippetti (alors ministre de la culture) qui avait décidé à l’époque d’accorder au film d’Abdellatif Kechiche, un visa d’exploitation interdisant la représentation aux mineurs de 12 ans assorti d’un avertissement. Le visa d’exploitation 131739 énonçait en effet que « Plusieurs scènes de sexe réalistes sont de nature à choquer un jeune public ».
En 2013, il semblait alors que le CNC venait de créer une nouvelle catégorie de film contenant des scènes de sexes simulées et réalistes motivant alors une interdiction aux moins de 12 ans, au contraire donc des œuvres contenant des scènes de sexe non simulées ou explicites interdites aux moins de 16 ans.
Pour autant, ces scènes de sexe simulées et bien que réalistes n’ont pas été les seules raisons de cette mesure de classification.
En effet, si on se réfère aux propos de Gauthier Jugensen, membre de la commission du CNC et rédacteur à Allociné, la décision de classer le film aux moins de 12 ans se justifie par le sujet de l’œuvre qui traite d’une histoire d’amour passionnelle entre deux jeunes femmes. Ce dernier afin d’étayer son propos avait alors effectué une comparaison avec le film d’Alain Giraudie, L’inconnu du Lac, interdit aux moins de 16 ans et qui mettait en scène une vision brutale du sexe dont l’objectif était d’exciter le téléspectateur ce qui pose une différence fondamentale avec La vie d’Adèle. Par ailleurs, précisons que dans le film d’Alain Giraudie, les scènes de sexes sont non simulées.
Ainsi, Gauthier Jugensen déclare « L’inconnu du lac est un film sur la sexualité, tandis qu’Adèle raconte la découverte de l’amour d’une façon plus générale ».
C’est alors la narration d’une œuvre et son traitement qui est pris en compte dans la décision du CNC et du ministre de la culture, mais à la vue des propos de Jugensen, on peut aisément penser que l’excitation du spectateur face à une scène de sexe peut être analysée afin de classer le film dans une catégorie.
Pour autant, il est difficile de comprendre cette décision dans son ensemble car si l’on observe le film avec attention, on ne peut manquer les différentes scènes de sexes plus ou moins longues, étant précisé que la plus longue dure un peu plus de 7 minutes et qu’elle met en scène des positions aux configurations diverses. D’autre part, n’oublions pas qu’Abdellatif Kechiche représente en gros plan les sexes des acteurs. En effet, on y voit le sexe rasé et du coup le clitoris des actrices principales mais aussi un sexe masculin en érection.
Alors oui, certes l’œuvre La vie d’Adèle est une brillante et magnifique histoire d’amour mais elle présente tout de même une certaine vision érotique et un enfant de 12 ans peut être choqué par ces images crues du point de vue des scènes réalistes et explicites mais aussi du point de vue de la durée de la scène.
C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, la cour administrative d’appel de Paris a suspendu le visa d’exploitation du film dans sa décision du 8 décembre 2015.
L’annulation du visa d’exploitation du film La vie d’Adèle par la justice
C’est désormais un vent de puritanisme qui souffle sur la France depuis déjà quelques années ! André Bonnet, fondateur de l’association Promouvoir, proche des milieux catholiques traditionnalistes devient la bête noire du cinéma français. En effet, depuis quelques années, l’association se fait remarquer en accumulant les actions contre les films qu’elle juge choquant.
Nymphomaniac vol.1 et vol.2 ou encore Love ont été reclassés suite à une plainte de l’association qui estimait que ces films étaient pornographiques. De ce fait, suite aux plaintes déposées pour chacun des films cités, Nymphomaniac Vol.1, interdit initialement aux moins de 12 ans s’est vu octroyé le 28 janvier 2014 par une ordonnance du tribunal administratif de Paris, une interdiction aux moins de 16, le vol.2 quant à lui a subi une interdiction aux moins de 18 ans. Gaspard Noé a aussi vu son film interdit aux moins de 18 ans.
L’association Promouvoir, adepte de ces procédures ne pouvait pas s’arrêter en si bon chemin ! Par conséquent, le 25 septembre 2013, Promouvoir a demandé à la justice française de statuer en référé pour suspendre le visa d’exploitation se référant aux scènes de sexe de sept minutes jugées choquantes.
Le tribunal administratif de Paris avait alors, le 17 février 2014 rejeté la requête de l’association car l’urgence n’était pas caractérisée du fait que le film n’était pas exploité depuis plusieurs semaines. Cependant, si la requête en référé n’avait pas trouvé oreille attentive à l’époque, l’association Promouvoir pouvait toujours contester le visa en saisissant le tribunal administratif de Paris au moyen de la voie « normale ».
Chose faite puisqu’elle vient d’obtenir de la cour administrative d’appel, l’annulation du visa ministériel autorisant la projection du film aux mineurs de 12 ans pourtant accompagné d’un avertissement.
Dans sa décision du 8 décembre 2015, la cour d’appel a estimé que La vie d’Adèle comportait « plusieurs scènes de sexes réalistes de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». Cependant, comme nous l’avons dis précédemment, lors de l’attribution du visa en 2013, le CNC avait déjà inséré un commentaire avertissant le jeune public, des images choquantes se trouvant dans le film, précisant que la sexualité est traitée de manière extrêmement réaliste. La cour a alors énoncé pour motiver sa décision, qu’une interdiction aux moins de 12 ans même assortie d’un avertissement semble insuffisante « pour dissuader les spectateurs les plus sensibles de voir le film ». Les juges ont ainsi ajouté que la ministre « ne pouvait sans commettre d’erreur d’appréciation accorder un visa d’exploitation comportant une interdiction limitée aux mineurs de 12 ans ».
De ce fait, la cour a décidé de laisser deux mois à la ministre Fleur Pellerin, pour décider d’une nouvelle mesure de classification étant précisé que le niveau de restriction devra être supérieur. Toutefois, la cour n’a pas indiqué si le film doit être interdit aux moins de 16 ans ou aux moins de 18 ans.
Pour autant, l’association Promouvoir se défend de tout acte de censure. André Bonnet a énoncé lors d’une émission sur RTL le 10 décembre 2015, qu’il n’est que question d’une restriction de diffusion aux plus jeunes, précisant que « La censure consiste à empêcher le public d’accéder à une œuvre, et ici il est simplement question de faire en sorte que les mineurs ne soient pas confrontés, et d’ailleurs sans le savoir à l’avance, à des images à caractères pornographique ». Malgré cela, il est tout à fait clair qu’il s’agit d’un acte de censure indirecte puisque la perte de visa d’exploitation empêche la diffusion du film.
Face à cet univers peu commode pour les cinéastes qui traitent de la sexualité, aujourd’hui, nous sommes en droit de nous poser une question. Doit-on considérer qu’une scène de sexe reste une scène qui doit être systématiquement interdite à tous les mineurs ? Convient il de différencier les scènes de sexe réalistes des scènes de sexes simulées, non simulées ou pornographiques ? Le problème est qu’il n’y a pas dans notre droit de distinction précise en ce domaine ce qui explique l’appréciation des juges totalement libre. C’est pour cela qu’il faut définir les contours et frontières des scènes représentant la sexualité. Selon Le Monde, Fleur Pellerin souhaite contester la décision de la cour devant le conseil d’Etat, qui devrait ainsi donner une définition des scènes jugées réalistes.
D’autre part, aujourd’hui, on pointe du doigt la sévérité de la décision de justice envers La vie d’Adèle alors que c’est la France qui s’est montrée la plus tolérante depuis deux ans. En effet, dans les autres pays d’Europe et du monde, il a été interdit au moins de 18 ans comme en Pologne, au Royaume-Uni ou encore aux Etats-Unis ce qui est tout à fait compréhensible. Un mineur de 12 ans n’a pas assez de recul pour apprécier des images traitées de la manière dont elles le sont dans La vie d’Adèle et ces pays ont pris toutes les mesures nécessaires pour protéger le jeune public.
Le réalisateur soutien la décision d’interdire le film aux moins de seize ans
« Je ne veux pas que ma fille de 12 ans voie « Adèle », les adolescents n’ont jamais été le public visé ». Abdellatif Kechiche, le réalisateur de La vie d’Adèle soutien fortement la décision d’interdire son film aux moins aux mineurs de 16 ans. Il a donc déclaré dans Le Monde que cette décision est saine et justifiée. Ainsi, il a énoncé « Je n’ai jamais pensé que mon film pouvait être vu par des gamins de 12 ans, et je déconseille personnellement à ma fille de le voir avant qu’elle ait 14 ou 15 ans ».
Si le distributeur du film, Wild Bunch est contrarié par la suspension du visa d’exploitation, Abdellatif Kechiche expose sa colère face à ce dernier qui n’a selon lui pas respecté sa volonté en cherchant absolument à viser un public jeune.
Cependant pourquoi avoir attendu deux ans pour exprimer son mécontentement ? Abdellatif Kechiche énonce dans Paris Match qu’à la sortie du film, il était pris déjà pris dans une polémique avec les actrices qui pointaient du doigt les conditions de tournage, laissant alors toute la liberté au distributeur de gérer le visa d’exploitation.
Après tout, c’est au réalisateur de savoir quel public peut voir ou non son film, étant précisé que le conseil est une partie intégrante de son travail.
En somme, il semble évident que le film La vie d’Adèle soit interdit aux mineurs de 16 ans à la vue des scènes présentes qui sont de nature troublantes. Et le recours de Fleur Pellerin peut paraître assez déplacé quand on sait que l’auteur lui même est d’accord avec la demande de re-classification de l’œuvre.
SOURCES
ANONYME, « « La Vie Adèle » échappe à l’interdiction aux -16 ans grâce à des scènes de sexe « réalistes » », darkness-fanzine.over-blog.com, publié le 25 Aout 2013, consulté le 22 décembre 2015, <http://darkness-fanzine.over-blog.com/-la-vie-adèle-échappe-à-l-interdiction-aux-16-ans-grâce-à-des-scènes-de-sexe-réalistes-6>
BENAMON (S.), « La vie d’Adèle : Quelle censure, dans quels pays ? », lexpress.fr, publié le 25 octobre 2013, consulté le 22 décembre 2015, <http://www.lexpress.fr/culture/cinema/la-vie-d-adele-quelle-censure-dans-quel-pays_1289672.html>
ANONYME, « L’interdiction aux -12 ans décidée pour La vie d’Adèle en 2013, jugée insuffisante par la cour administrative d’appel de Paris en 2015 », darkness-fanzine.over-blog.com, publié le 9 décembre 2015, consulté le 23 décembre 2015, <http://darkness-fanzine.over-blog.com/2015/12/l-interdiction-aux-12-ans-decidee-pour-la-vie-d-adele-en-2013-jugee-insuffisante-par-la-cour-administrative-d-appel-de-paris-en-2015>
LE ROY (M.), « Pour une remise à plat du système de classification des films », inaglobal.fr, publié le 11 Aout 2015, consulté le 23 décembre 2015,<http://www.inaglobal.fr/cinema/article/pour-une-remise-plat-du-systeme-de-classification-des-films-8429>
ANONYME, « « Love », « La vie d’Adèle » : Pourquoi l’analyse filmique est un genre juridique », theconversation.com, publié le 23 décembre 2015, consulté le 23 décembre 2015, <http://theconversation.com/love-la-vie-dadele-pourquoi-lanalyse-filmique-est-un-genre-juridique-52590>
JARDONNET (E.), « Abdellatif Kechiche juge « plutôt saine » l’annulation du visa d’exploitation de « La Vie d’Adèle » », lemonde.fr, publié le 10 décembre 2015, consulté le 27 décembre 2015, <http://www.lemonde.fr/cinema/article/2015/12/10/le-visa-d-exploitation-de-la-vie-d-adele-annule_4828806_3476.html>