La question du nombre d’acteurs sur le marché des télécoms national se pose régulièrement depuis la libéralisation du secteur. Il faut donc s’intéresser à l’historique de ce marché, en effet on ne peut occulter que la libéralisation n’est que récente et l’opérateur historique France Télécoms devenu Orange reste l’acteur dominant sur le marché.
Si le monopole s’est justifié à l’époque au regard du manque à combler d’abord au niveau des infrastructures de réseaux éminemment coûteuses puis quant à l’offre de téléphonie tout d’abord fixe, puis mobile en passant par les offres haut débit pour en arriver aujourd’hui à la 4G et au très haut débit.
Le premier à bénéficier de cette ouverture de marché sera d’abord SFR puis Bouygues et dernièrement Free, quant au rachat de SFR par Numéricable qui n’avait pas d’activité d’opérateur téléphonique ne constitue pas l’entrée d’un nouvel opérateur mais plutôt d’un changement de gouvernance d’un opérateur existant, ce dernier ne s’est toutefois pas fait sans heurts et l’autorité de la concurrence a sanctionné sévèrement Numéricable pour ne pas avoir respecté ses engagements.
Le marché comporte donc aujourd’hui quatre acteurs Bouygues, Orange, SFR-Numéricable et enfin Free.
L’offre s’est donc fortement diversifiée et ce secteur d’activité tient aujourd’hui une place de premier ordre non seulement dans l’économie nationale mais également mondiale.
La question se pose donc en ces termes, un tel secteur d’activité devenu crucial pour l’économie de la nation doit-il être régulé, et si oui de quelle manière et comment le droit peut-il dicter des comportements bénéfiques pour cette économie ?
Le droit de la concurrence directement hérité des lois « antitrust » américaines semble être la réponse adéquate. Cependant au regard de ce rachat possible et des différentes conséquences qui pourraient s’y rattacher nous tacherons d’examiner cette situation sous deux angles distincts d’un côté la liberté d’entreprendre qui a valeur constitutionnelle et de l’autre le droit du consommateur.
En effet, l’objectit du droit de la concurrence tel qu’il est prévu non seulement en France mais également au niveau européen est principalement de protéger le consommateur contre les effets néfastes d’un marché faussé par diverses pratiques (abus de position dominante, ententes).
Mais également contrôler les concentrations d’entreprises, ce dont il s’agit en l’espèce.
Un rachat possible sous conditions strictes
Les négociations entre Orange et Bouygues si elles devaient aboutir ne serait-ce qu’au niveau financier (le prix du rachat) et donc donner un contrat de « vente » les deux parties n’en feront alors plus qu’une. Orange détenant aujourd’hui près de 36% du marché de la téléphonie mobile et près de 40% du marché du haut et très haut débit l’opérateur historique verrait donc ces parts de marché augmenter considérablement ainsi en ajoutant les parts de marché de Bouygues. Cette addition n’étant que purement théorique puisque ce rachat pourrait avoir pour effet une fuite, d’une part de la clientèle de Bouygues ne désirant pas être attachée à Orange, vers d’autres opérateurs. Orange détiendrait donc près de 50% de parts de marché.
Il s’agirait donc d’une consolidation subséquente de sa position dominante.
En France le contrôle des concentrations est assuré par l’autorité de la concurrence qui est une autorité indépendante prenant des sanctions sur le fondement du code de commerce, elle a une compétence générale sur tous les secteurs économiques.
On trouve également une autorité de régulation dite sectorielle : l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes). Cette dernière applique donc le code des postes et des communications électroniques (CPCE). Elle n’a cependant pas de réel pouvoir de sanction elle n’est saisie que pour avis par l’autorité de la concurrence quand une opération intéresse le secteur des télécommunications et le droit de la concurrence.
En outre, en vertu des traités européens, le contrôle des concentrations peut également être porté devant la Commission européenne sous réserve de certains seuils le contrôle dépend alors de l’autorité communautaire. Cependant en l’espèce le rachat d’Orange de son concurrent direct sur le marché français, et dont l’activité a principalement lieu sur le territoire national rend l’autorité nationale compétente pour juger de cette opération.
Ainsi, l’autorité de la concurrence devra donner son feu vert à cette opération en vertu de sa compétence en matière de concentration.
En l’espèce, Orange rachèterait donc un de ces concurrents directs réduisant ainsi le nombre d’acteurs sur ce marché, le risque à craindre est donc une certaine stagnation du marché l’opérateur historique renforçant sa position dominante, il pourrait alors asphyxier le marché, plus un opérateur est puissant plus il a tendance à d’une part cesser d’innover mais encore peut être tenté de monter ses prix.
Ce sont ces risques que l’autorité de la concurrence serait amenée à apprécier.
A priori ce que l’on peut dire c’est que ces risques sont réels et que pour obtenir l’aval de l’autorité de la concurrence, Orange devra montrer patte blanche en prenant des engagements sérieux.
Ces engagements sont une pratique fréquente en matière de concentration il s’agit donc ici pour Orange de compenser les risques engendrés par son renforcement sur le marché et la disparition d’un de ses concurrents de prendre des engagements visant à contrer les effets potentiellement néfastes pour les consommateurs. Ces engagements doivent être réels et sérieux. Il peut s’agir d’une cession d’une partie de son activité par exemple. Il semblerait dans le cas qui nous intéresse, que Free pourrait récupérer une partie des abonnés de Bouygues, renforçant alors du même coup le dernier entré sur le marché. SFR- Numéricable pourrait lui aussi profiter d’une part du gâteau et récupérer une part de la clientèle.
Présenté comme cela l’opération semble gagnante pour les trois opérateurs restants. La disparition du 4ème entrainerait donc un renforcement des trois autres. Ce qui dans un contexte de crise économique, est loin d’être négligeable.
Les négociations promettent d’être rudes, la question du nombre d’opérateurs semble en fait être une fausse question tant que la vivacité du marché est préservée.
Le contrôle des concentrations, mécanisme nécessaire ?
Pourquoi contrôler le marché ? La motivation souveraine est de protéger les consommateurs de comportement abusif, si ce but est plus que louable, on ne peut que critiquer l’ingérence de l’Etat dans des affaires économiques auquel il n’est a priori pas partie . En ce sens, le ministre actuel de l’économie Emmanuel Macron a pu déclarer lors d’une interview donnée au journal les échos le 21 mai 2015 : « En France, le secteur a atteint un point d’équilibre. L’heure n’est pas à la concentration entre opérateurs, mais à l’investissement. La concentration, c’est moins d’équipements, moins de réseaux et moins d’emplois. » Préserver l’emploi certes mais pourquoi dans un pays comme la France d’économie libérale faire peser autant de contraintes sur les entreprises les effets pervers ne sont-ils pas au final plus nombreux que les effets bénéfiques ? Les économistes ne sont pas tous d’accords sur ce point, il ne s’agit donc pas de répondre superficiellement à cette question mais tout simplement de la poser.
On pourrait imaginer un marché qui s’autorégule par exemple ? L’autorégulation comporte également de gros risques, la crise des marchés financiers de 2008 en est une illustration parfaite. On s’est alors rendu compte que le marché pouvait se tromper et que les conséquences pouvaient être dramatiques pour l’économie mondiale. Le droit est alors intervenu à posteriori pour réglementer plus strictement ce secteur.
Il s’agirait donc de trouver un compromis entre trop de régulation et donc un découragement de l’investissement et trop peu de régulation qui pourrait engendrer une position monopolistique par exemple et donc des prix fixes sans possibilité de faire jouer la concurrence. Il s’agit donc de mettre en balance le consommateur et le marché sachant que les deux sont interdépendants la tâche est loin d’être aisée.
L’émergence souhaitable d’un géant européen
La consolidation du marché des télécommunications dépasse le cadre des frontières, les opérateurs européens se rachètent les uns les autres afin d’asseoir un peu plus leur emprise économique.
Il s’agit donc dans ces derniers développements de dépasser ce simple rachat éventuel de Bouygues par Orange et de prendre un peu de recul.
Le secteur des télécommunications est, à n’en pas douter, un secteur source de richesse (Orange a par exemple réalisé un chiffre d’affaires de 10,284 milliards d’euros au 3ème trimestre 2015), ce secteur est en outre en perpétuelle évolution du fait des avancées technologiques (On parle de la 5G d’ici 5 ans) et nécessite donc des investissements conséquents.
Au regard de ces coûts importants ainsi que de la multiplication des services qui ne peut se faire qu’au profit du consommateur, un opérateur le plus puissant possible pourrait mieux endosser de tels coûts et pourquoi pas imaginer Orange (ou un autre opérateur d’ailleurs) comme un « Airbus » des télécommunications ?
Une entreprise européenne puissante pouvant rivaliser avec les grandes entreprises américaines du type Google permettrait ainsi de redistribuer quelque peu les cartes et de redonner un poids économique au « vieux continent ».
SOURCES :
SCHMITT (F.) et GUEUGNEAU (R.), « Orange et Bouygues : pendant les fêtes, les discussions sur un rapprochement continuent », lesechos.fr, publié le 22 décembre 2015, consulté le 25 décembre 2015, <http://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/021573564329-orange-et-bouygues-vont-continuer-de-discuter-pendant-les-fetes-1186799.php#xtor=CS1-33>
SCHMITT (F.) et GUEUGNEAU (R.), « Orange et Bouygues : les questions qui restent à régler », lesechos.fr, publié le 22 décembre 2015, consulté le 25 décembre 2015, <http://www.lesechos.fr/journal20151222/lec2_high_tech_et_medias/021573655259-les-questions-qui-restent-a-regler-1186824.php>
ANONYME, « Parts de marché des opérateurs mobile en France », lejournaldunet.com, publié le 20 juillet 2015, consulté le 26 décembre 2015,<http://www.journaldunet.com/ebusiness/telecoms-fai/parts-de-marche-du-mobile-en-france.shtml>
ANONYME, «Free pourrait récupérer une partie du réseau et des abonnés de Bouygues Telecom», 20minutes.fr, publié le 21 décembre 2015, consulté le 26 décembre 2015, <http://www.20minutes.fr/high-tech/1753903-20151221-free-pourrait-recuperer-partie-reseau-abonnes-bouygues-telecom>