Aujourd’hui, en France, malgré un essor de cette pratique de plus en plus important, il existe un vide juridique quant au sport électronique, cette pratique consistant à organiser des compétitions de jeux vidéo, obligatoirement multijoueur, par le biais de l’intervention d’associations organisatrices événements électroniques, nationales ou internationales, et qui collaborent avec les éditeurs, les clubs et les joueurs.
Ainsi, pour la première fois, l’article 38 du projet de loi Pour une République numérique, portée par Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat chargée du numérique, propose de reconnaître le sport électronique et de l’assimiler à un véritable sport, permettant son encadrement juridique.
Ce projet a eu pour particularité de faire l’objet d’une consultation publique, où les internautes pouvaient interagir avec le texte, faire des observations et suggérer des modifications, et a notamment retenu les propositions du Syndicat des éditeurs des logiciels de loisirs (SELL) concernant la création d’un cadre juridique pour les compétitions de jeux vidéo.
Le projet de loi, au niveau de son article 38, intitulé « Les compétitions de jeux vidéo e-sport », propose donc de mettre en place un régime particulier applicable à celles-ci, et de le soumettre au Parlement dans un délai de trois mois.
Par ailleurs, il y a également un article 42 qui concerne la précision du cadre juridique accordé à cette pratique.
C’est la raison pour laquelle ce texte est débattu devant les parlementaires, à partir du 16 janvier 2016 pour permettre au gouvernement, dans les 6 mois, de prendre une ordonnance rendant définitive la nouvelle réglementation des compétitions de jeux vidéo.
Une réglementation indispensable
Cette réglementation apparait indispensable étant donné que, malgré leur popularité croissante, ces compétitions évoluaient dans un vide juridique, leur existence n’étant pas reconnu en droit français.
De plus, une définition précise et un encadrement des compétitions de jeux vidéo devenait également nécessaire du fait des risques possibles en matière de dérégulation des jeux de cercle électronique, mais aussi pour permettre d’assurer la santé publique ainsi que la lutte contre la fraude et le blanchiment.
C’est précisément sur ce point que doit intervenir le projet de loi Pour une République Numérique.
En effet, celui-ci, dans l’intitulé de son article 42, apporte une véritable réglementation, allant d’un cadre juridique adapté à un renforcement des droits de la personne et de la propriété intellectuelle en passant par la reconnaissance de droits similaires aux fédérations sportives en cause.
Ces mesures permettent donc une véritable visibilité du sport électronique d’un point de vue médiatique, mais ont aussi pour conséquence d’éviter que ce secteur ne soit assimilé aux jeux d’argent en ligne, réglementés, quant à eux, par le Code de la sécurité intérieure.
Ce dernier, crée par l’ordonnance n° 2012-351 du 12 mai 2012, pose le principe de prohibition générale des loteries, dont la notion est précisée à l’article L322-2 de ce code : « « Sont réputées loteries et interdites comme telles : les ventes d’immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort, ou auxquelles ont été réunies des primes ou autres bénéfices dus, même partiellement, au hasard et, d’une manière générale, toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l’opérateur de la part des participants. ».
Or, comme l’a constaté l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), les compétitions de jeux vidéo comportent une part de hasard, même infime.
Par ailleurs, la loi n 2014–344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a introduit un article L. 332–2–1 dans le code de sécurité intérieure, qui a étendu l’interdiction pesant sur les loteries à tous les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire des joueurs Ces jeux sont connus sous le nom «jeux d’adresse pure ou d’habileté ».
Par conséquent, il était nécessaire de préciser, de ce point de vue, leur cadre juridique, sachant que, en France, les trois jeux d’argent en ligne autorisés sont les paris sportifs, les paris hippiques et le poker.
Cette réglementation envisagée du sport électronique pose aussi la question de son assimilation à un sport traditionnel, au sens de la loi de 1901 sur la liberté associative.
La question de l’assimilation à un sport traditionnel
Jusqu’ici, sur le sujet, la jurisprudence était la seule source d’information juridique et procédait à une appréciation au cas par cas.
Dans la plupart des décisions du Conseil d’Etat, il ressort que les compétitions de jeux vidéo ne pouvaient pas s’apparenter à un sport, leur but étant purement ludique.
Cependant, depuis plusieurs années, des associations organisent des compétitions, forment des équipes et distribuent des licences, fonctionnant donc comme de vraies fédérations sportives, mais le vide juridique ne leur permet pas d’être reconnues en tant que associations sportives.
Pourtant, plusieurs points communs entre les compétitions de jeux vidéo et le sport peuvent être relevés : l’entrainement, le spectacle, le divertissement, la performance, l’existence de fans, et la présence de sponsors, de clubs et de joueurs.
Néanmoins, c’est la question de la performance physique qui demeure en suspens et qui a justifié, jusqu’à présent, les demandes d’agrément, auprès du Ministère des sports, discrétionnaire en la matière, des organisateurs de compétitions de jeux vidéo.
C’est ainsi que l’agrément a été refusé, en 2007, à la fédération française de jeux vidéo en réseau (FFJVR) au motif que ses activités revêtaient un caractère ludique n’entrant donc pas dans le champ du Code du sport.
L’amendement proposé par le projet de loi Pour une République Numérique, tout en consacrant le sport électronique, ne l’assimile pas au sport traditionnel, et c’est la raison pour laquelle la compétence de délivrer ou non l’agrément aux organisateurs des compétitions relèvera du Ministère de la jeunesse, à charge, pour celui-ci, de s’assurer des garanties visant à protéger l’intégrité, la fiabilité et la transparence des compétitions, mais également la protection des mineurs et la prévention des activités frauduleuses ou criminelles et de la santé publique.
Enfin, ces problématiques alimentant le sport électronique traduisent le fait que celui-ci s’inscrit dans un marché qui ne cesse de se développer.
Un marché en pleine expansion
Selon les dernières études en date, l’E-sport représentera 145 millions de spectateurs en 2017, ce qui traduit son développement et son influence de plus en plus importante dans le secteur du multimédia.
Ainsi, on constate que le sport électronique est devenu un marché important dans le monde intéressant notamment les plus grands éditeurs de jeux vidéo.
Selon une autre étude, les revenus directs du sport électronique pourraient être estimés à 765 millions de dollars en 2018, soit une croissance de 41%, dont les premiers bénéficiaires seraient les organisateurs des compétitions, les éditeurs de jeux vidéo et les diffuseurs.
Le développement des compétitions de jeux vidéo est un phénomène mondial, particulièrement en Asie et en Amérique du Nord, avec près de 15 millions de pratiquants.
Les audiences de plus en plus importantes du sport électronique attirent sponsors et annonceurs qui trouvent ici un public nouveau.
En ce sens, le rachat de Twitch, une plate-forme diffusant en streaming et pour l’essentiel en direct des compétitions de jeux vidéo, par Amazon, en 2014, pour un montant d’un milliard de dollars prouve l’importance économique prise par ces compétitions de jeux vidéo.
Autre exemple marquant, l’annonce par Activision-Blizzard, premier éditeur de jeux vidéo au monde, le 5 janvier 2016, du rachat de la Major League Gaming (MLG), une société spécialisée, depuis 2002, dans l’organisation et la diffusion de tournois professionnels de jeux vidéo, pour un montant d’environ 46 millions de dollars.
Ici, l’objectif annoncé de la société américaine est de profiter du développement de cette pratique, devenue une vitrine de leurs produits, afin de devenir « l’ESPN du jeu vidéo », du nom de la chaîne filiale de Disney, qui revendique 20 millions de spectateurs par mois.
Une autre illustration de ce succès croissant est la récente Paris Games Week, organisé chaque année dans la capitale française, qui a accueilli plusieurs compétitions de jeux vidéo, tandis que des stades entiers sont remplis en Corée du Sud, berceau du sport électronique, et consacrent de véritables joueurs professionnels.
L’annonce gouvernementale de procéder à une réglementation du sport électronique en France est donc logique, tant d’un point de vue juridique qu’économique, étant donné que cette pratique connait une croissance exceptionnelle, mais, ne possède pas encore de cadre, ce qui aurait pu poser de nombreux problèmes dans l’avenir.
SOURCES :
Site Internet du Gouvernement, « Projet de loi Pour une République Numérique », republique-numérique.fr, mis en ligne le 26 septembre 2015, consulté le 14 janvier 2016, <http://www.republique-numerique.fr/projects/projet-de-loi-numerique/consultation/consultation/opinions/section-2-travaux-de-recherche-et-de-statistique/les-competitions-de-jeux-video-e-sport>
Site Internet de l’Assemblée Nationale, « République Numérique », assemblée-nationale.fr, mis à jour le 12 janvier 2016, consulté le 19 janvier 2016, <http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3318/CION_LOIS/CL593.asp>
VALLAT (T.), « Le droit de l’E-sport dans le projet de loi numérique: vers la définition d’un cadre juridique pour le sport électronique », village-justice.com, mis en ligne le 23 novembre 2015, consulté le 16 janvier 2016, <http://www.village-justice.com/articles/droit-sport-dans-Projet-Loi,20900.html>
WOITIER (C.), « Activision met la main sur un acteur majeur de l’e-sport », premium.lefigaro.fr, mis en ligne le 5 janvier 2016, consulté le 15 janvier 2016, <http://premium.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2016/01/05/32001-20160105ARTFIG00314-activision-met-la-main-sur-un-acteur-majeur-de-l-e-sport.php>
ROBILLARD (O.), « La France va reconnaître l’e-sport comme un vrai sport », pro.clubic.com, mis en ligne le 6 novembre 2015, consulté le 15 janvier 2016, <http://pro.clubic.com/legislation-loi-internet/actualite-785410-sport-lemaire.html>