Le 5 janvier 2016, la société de production Pretty Pictures annonce l’annulation de la sortie en salles du film Made in France. La sortie initiale de l’œuvre était prévue le 18 novembre 2015 mais a été repoussée en raison du contexte peu favorable qui régnait en France. En effet, le 13 novembre 2015, les attentats à Paris ont éclaté. L’état islamique s’est livré à des actes de grande violence qui ont entraîné la mort de nombreuses personnes. Ces évènements tragiques ont affecté et affectent encore aujourd’hui la France entière.
Le film dont il est question, réalisé par Nicolas Boukhrief, raconte l’histoire de Sam, un journaliste indépendant qui infiltre les milieux intégristes de la banlieue parisienne. Il se rapproche de quatre jeunes qui ont reçu pour mission de créer une cellule jihadiste et de semer le chaos au cœur de Paris. Made in France devait à l’origine être distribué en salles le 18 novembre, mais sa sortie a été repoussée au 20 janvier 2016.
Le 5 janvier 2016, les producteurs du film annoncent par un communiqué que Made in France ne sera pas distribué au cinéma. Pretty Pictures annonce que « suite à des difficultés de programmation en salles, liées au sujet du film, nous vous informons que Made in France de Nicolas Boukhrief sortira via TF1 Vidéo vendredi 29 janvier en exclusivité e-cinéma sur toutes les plateformes de VoD ».
La décision du producteur de modification de l’exploitation
Au cours de processus de création d’une œuvre cinématographique, il est important de distinguer les différentes étapes mais également les différents participants. La création du projet débute par la mise au point d’une idée originale de l’auteur. Ce dernier doit recherche un financement pour mener son projet à bien. C’est le producteur qui choisi un projet. Il va passer un contrat de production avec l’auteur de l’œuvre et ainsi, l’accompagner dans l’écriture du scénario et trouver le financement du projet.
Tout au long du contrat, les parties ont des obligations distinctes. Tandis ce que l’auteur doit garantir au producteur l’exercice paisible des droits cédés (article L132-26 du Code de la Propriété Intellectuelle), ce dernier doit assurer à l’œuvre une exploitation conforme aux usages de la profession (article L132-27 du Code de la Propriété Intellectuelle). S’agissant de l’obligation générale du producteur, les termes du Code sont très vagues et il n’est pas mention de ce qui est « conforme aux usages de la profession ».
En l’espèce, l’annulation de Made in France a été annoncée par la société de production en charge du projet, et est présentée comme étant du fait de cette société elle-même. S’il en est réellement ainsi, on peut se demander si l’auteur a été consulté avant le retrait effectif de l’œuvre des établissements cinématographiques. Si l’auteur n’a pas été consulté il lui est possible de faire un recours reposant sur l’article L132-27 du Code de la Propriété Intellectuelle.
La jurisprudence affirme sur ce point que « le producteur doit faire preuve de diligence pour avoir essayer d’exploiter l’œuvre. Il a l’obligation de fournir ses meilleurs efforts pour exploiter l’œuvre. Dans le cas d’espèce, un contrat de distribution avait déjà été conclu dans la mesure où le film devait être projeté en salles le 18 novembre 2015. En cas de litige entre Pretty Pictures et l’auteur réalisateur Nicolas Boukhrief, la société de production devra donc justifier de l’annulation de l’exploitation en salles du film par le refus de certains établissements cinématographiques de projeter le film.
Le juge, en pratique est plus favorable à l’auteur de l’œuvre qui est considéré comme la partie faible au contrat, cependant, après avoir écouté les deux parties et en vue des circonstances, il sera peut être amené à être plus clément envers le producteur.
L’anéantissement du contrat de distribution
Du côté du distributeur, on peut d’autant plus s’interroger, dans la mesure où l’annulation de la sortie en salles de Made in France constitue l’objet même du contrat passé entre ce dernier et le producteur. En effet, afin d’assurer l’exploitation d’une œuvre cinématographique, le producteur doit conclure plusieurs contrats.
Un contrat de distribution en vue d’assurer la projection de l’œuvre dans les établissements cinématographiques, et un contrat de diffusion en vue de la diffusion de l’œuvre sur les plateformes de vidéo à la demande (VoD), et sur les chaînes privées puis publiques (on parle de télédiffusion). Le producteur va également passer un contrat en vue de l’éventuel merchandising de l’œuvre mais aussi quant-à sa fixation de l’œuvre en format DVD.
Le contrat de distribution a pour objet de permettre l’exploitation en salles d’une œuvre cinématographique. Dans ce type de contrat, le distributeur pour obligation principale de permettre la projection de l’œuvre dans les établissements cinématographiques, tandis ce que le producteur a l’obligation de mettre à disposition la pellicule du film.
En l’espèce, si la distribution de Made in France a été décrétée sans le consentement de l’autre partie au contrat, il pourrait s’agir d’un manquement aux obligations de Pretty Pictures. Dans cette hypothèse, le distributeur serait en droit de se retourner contre la société de production pour non exécution de ses obligations.
Cependant, James Velaise, président de la société Pretty Pictures a justifié la décision d’annuler la sortie du film au cinéma en affirmant que « quelques cinémas indépendants ont manifesté le désir de le défendre, mais pas en nombre suffisant pour couvrir toutes les grandes agglomérations ». Cela voudrait dire que certains établissements cinématographiques ont refusé de projeter l’œuvre.
Dans cette éventualité, le problème se pose au niveau du contrat passé entre le distributeur et les gérants de cinémas, ce sont ces derniers qui engagent leur responsabilité envers le distributeur dans la mesure où ils n’honorent pas leurs obligations de projeter l’œuvre au sein de leurs établissements. Il peut y avoir litige notamment si le distributeur a versé des sommes en amont de la sortie initialement prévue. S’agissant du contrat de distribution, le distributeur n’a pas d’obligation de distribution dans des établissements cinématographiques précis et n’engagerait donc pas sa responsabilité envers le producteur.
Un débat porté sur l’autocensure
Certaines personnes estiment que l’annulation de Made in France constitue une forme d’autocensure. En effet, la suppression de l’exploitation en salles d’un film du fait de son sujet peut apparaître comme telle. Le contexte de deuil national rend le sujet plus délicat à traité, mais il reste un sujet majeur qui est rendu d’autant plus important par l’actualité.
Certains ont été surpris de la décision de retrait de Made in France des cinémas dans la mesure où la société de production Pretty Pictures après les attentats dans les locaux de Charlie Hebdo c’était placé en défenseur de la liberté d’expression.
En faisant abstraction du contexte, Made in France aborde un sujet sensible qui n’est pas facile à aborder. La question du terrorisme doit pouvoir être discutée librement et c’est en cela que l’œuvre est intéressante. Cependant, l’annulation ne concerne que la projection en salles, le film sera diffusé en VoD et sera donc accessible.
Récemment, l’auteur réalisateur Nicolas Boukhrief s’est exprimé sur l’annulation de son film. Il affirme que « les exploitants ne se sont pas précipités pour prendre un long métrage qui résonnait violemment avec l’actualité. Je ne les juge pas du tout. Au contraire. J’ai moi-même demandé lors des événements de tout de suite le déprogrammer ».
Aujourd’hui, seulement une quinzaine d’exploitants, peut-être moins, très militants et à la tête de salles d’art et d’essai, ont voulu l’avoir à l’affiche. Mais l’auteur affirme que la projection du film dans si peu de salles aurait altérer l’exploitation de l’œuvre.
Le sujet du terrorisme ne doit pas être éludé et l’annulation du film a pu faire débat. Cependant, l’auteur semble en accord avec cette annulation, il n’y aura donc pas de litige entre le producteur et lui-même. Le distributeur pourra éventuellement engager la responsabilité des exploitants d’établissements cinématographiques, mais tout dépend des termes du contrat.
Sources
MCE – mcetv.fr, « MADE IN FRANCE le film sur une cellule terroriste à Paris ne sortira finalement pas au cinéma », <http://mcetv.fr/mon-mag-culture/mon-mag-cinema/made-in-france-film-cellule-terroriste-paris-sortira-finalement-cinema-0601/>, consulté le 14 janvier 2016
France 24 – Actualité internationale, « Le film Made il France ne sortira finalement pas en salles » <http://www.france24.com/fr/20160106-cinema-film-made-in-france-sortie-annulee-vod-attentats-paris>, consulté le 14 janvier 2016
Le JDD – lejdd.fr, « Pourquoi Made in France, le film qui imagine une attaque terroriste à Paris, ne sort plus en salles » <http://www.lejdd.fr/Culture/Cinema/Pourquoi-Made-in-France-le-film-sur-une-attaque-terroriste-a-Paris-ne-sort-plus-en-salles-768739>, consulté le 20 janvier 2016