Le 4 décembre 2015, l’autorité des marchés financiers (AMF) prend une décision inattendue : elle condamne la société Euronext à payer une amende de 5 millions d’euros pour ses pratiques en matière de trading haute fréquence et pour l’utilisation d’algorithmes prévisionnels déstabilisant les marchés.
C’est une décision qui a un fort retentissement dans le milieu boursier, tout d’abord aux vues l’importance de l’amende, puisque rarement l’AMF est aussi sévère, mais également parce que c’est l’une des premières condamnations en matière de trading haute fréquence.
Cette utilisation des algorithmes prévisionnels est une pratique qui s’est fortement développée ces dernières années permettant de passer un très grand nombre d’ordres dans un laps de temps très réduit.
Il est ainsi intéressant d’étudier le fonctionnement du trading haute fréquence pour pouvoir expliquer les raisons qui ont poussé l’AMF à sanctionner Euronext.
• Histoire et fonctionnement du trading haute fréquence.
Le trading haute fréquence est l’exécution à grande vitesse de transactions financières à l’aide d’algorithmes informatiques. Cette pratique prend de l’importance aux États-Unis dans le courant de l’année 2005 et ne cesse de se répandre depuis sur l’ensemble des marchés boursiers. En Europe, ce sont notamment des sociétés, tels que Euronext, qui se sont très vite acclimatées à la pratique et sont devenues des acteurs majeurs des places boursières européennes, grâce notamment au trading algorithmique.
Le phénomène est basé sur deux éléments : des ordinateurs bien plus puissant que ceux trouvés dans le commerce classique et des algorithmes prévisionnels basés sur un ensemble de données et utilisant la statistique. L’algorithme décide des différents aspects de l’ordre, comme l’instant d’ouverture ou de clôture, le prix ou le volume de l’ordre et ceci, bien souvent sans intervention humaine. Ces algorithmes fonctionnent à partir d’un ensemble de données chiffrées portant sur le marché et qui, assemblées, sont impossibles à analyser pour un être humain. Cela peut avoir pour effet de rendre encore plus obscure les pratiques sur les places boursières et ainsi conduire à des manipulations du marché, fait punis à l’article L465-2 alinéa 2 du code monétaire et financier.
Ces manipulations du marché peuvent prendre différentes formes en matière de haute fréquence. Ainsi cela peut consister à passer massivement des ordres complètements inexistants dans le but d’induire la concurrence en erreur et de lui faire perdre du temps dans l’analyse de ces ordres qui ne seront pas exécutés.
On trouve également la technique du « layering ». C’est une méthode où l’algorithme analyse les informations du marché dans un laps de temps minime et qui grâce à ces données, passe un très grand nombre d’ordres pour faire monter le cour des actions. Une fois que le prix des actions a augmenté, il s’agit d’en revendre une partie et d’annuler le restant des ordres d’achats. Cela permet ainsi de réaliser une plus-value sur la différence des ordres achetés et vendus. Il est important d’avoir à l’esprit que ces opérations ont lieu en moins d’une seconde. En effet la vitesse actuelle pour passer un ordre est d’environ 113 microsecondes, preuve de l’incapacité de l’être humain à pouvoir analyser ces chiffres.
Ainsi comme le dispose l’article l465-2 du code monétaire et financier, est puni des peines prévues le fait, pour toute personne, de répandre ou de tenter de répandre dans le public, par des voies et moyens quelconques, des informations fausses ou trompeuses sur la situation du marché. C’est à ce titre que l’AMF condamne les pratiques en matière de trading haute fréquence.
• Les sanctions de l’AMF contre les pratiques de trading haute fréquence.
Le 4 décembre 2015, l’AMF décide de sanctionner la société Virtu, ainsi qu’à la société Euronext Paris, à une amende de 5 millions de dollars pour des pratiques de manipulations du marché. Les sociétés avaient notamment inondé le marché d’informations et de faux ordres dans le but de manipuler le cours du marché et d’induire la concurrence en erreur.
Par cette décision, l’autorité vient enfin prendre sérieusement position sur les pratiques dommageables du trading haute fréquence et inflige une amende plus élevée que la somme requise par le Collège de l’AMF qui a instruit le dossier.
C’est en effet très rare que l’autorité prenne des mesures plus importantes que celles requises par le Collège et c’est d’autant plus surprenant en analysant les sanctions prises auparavant par l’AMF en matière de haute fréquence. On trouve notamment celle du 11 mai 2011 contre la société Néerlandaise Kraay Trading sanctionnée, pour des pratiques de manipulation du marché grâce à des algorithmes, à une amende de 10 000 €, somme bien moins dissuasive que celle infligée à Euronext.
Cette décision nous montre belle et bien la volonté de l’AMF, et plus généralement des autorités de régulation financière, d’encadrer et de freiner les pratiques en matière de haute fréquence.
En effet, outre engendrer des gains colossaux et créer des ruptures d’égalité en faveur des sociétés activent en la matière, les algorithmes sont aussi cause d’importantes pertes, généralement bien plus importantes que celles engendrées par l’Homme. Il arrive ainsi qu’un « smart computer » mal programmé, ou comportant une erreur, passe des ordres qui coûtent plus qu’ils ne rapportent, engendrant un effet de masse grâce à sa puissance et sa rapidité. Existe ainsi des exemples tels que le « Flash Crash » de 2010, effondrement boursier ayant duré un peu moins de quatorze minutes et ayant fait perdre jusqu’à près de 100 millions de dollars à certaines sociétés.
Toutefois, dans ce genre de cas, ainsi que dans le où l’algorithme a eu l’effet escompté qui est la manipulation boursière, on peut se poser la question de la responsabilité.
À l’heure actuelle, il n’existe pas de régime spécial en la matière. En effet, lorsqu’une intelligence artificielle cause un dommage dans le cadre de ses interactions avec des humains, on ne peut pas y appliquer le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux puisque la machine a une certaine autonomie et donc un degré plus ou moins élevé d’imprévisibilité. L’European Robotics Coordination Action se rapprocherai plutôt, dans un rapport du 13 décembre 2012, des régimes traditionnels tels que la responsabilité du fait des animaux ou la responsabilité des parents, si on assimile l’intelligence artificielle à l’enfant.
Pourtant l’ordinateur n’est ni l’un ni l’autre. Sans être réellement humain, il est capable de générer des décisions prévues par son codage. Il devient pourtant important d’avoir un régime pour ce phénomène, surtout quand on parle de trading haute fréquence, les sommes en jeux étant particulièrement importantes et donc les dommages pouvant être colossaux en cas de préjudice due à une erreur de l’algorithme.
Malgré les sanctions prisent par l’AMF dans le but de limiter la pratiques, il serait important d’avoir un régime de responsabilité plus large s’appliquant à l’ensemble des technologies de type algorithme prédictif ou intelligence artificielle.
BOISSEAU (F.), « Trading haute fréquence : l’AMF sanctionne lourdement Euronext et Virtu », lesechos.fr, consulté le 14 janvier 2016, publié le 8 décembre 2015, http://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/021541666996-trading-a-haute-frequence-euronext-et-virtu-condamnes-a-5-millions-deuros-1182648.php
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