Dématérialisé et connecté : voilà à quoi ressemblera le shopping de demain selon un sondage IFOP paru le 6 janvier dernier. En cette période de soldes et malgré un plébiscite certain des achats en ligne depuis les dernières années, les magasins physiques connaissent une affluence constante et recueillent toujours la confiance des français.
Pour autant, dans une société hyper-connectée, le commerce ne cesse de se réinventer et les entreprises cherchent à exploiter au mieux les possibilités offertes par le numérique. Conscients de ces changements, de nombreux acteurs du commerce en ligne ou pureplayers, comme Matériel.net, Showroomprivé ou plus récemment Boulanger, ont ainsi revu leur philosophie en s’implantant dans certaines grandes villes afin de diversifier leur activité et de mieux répondre aux attentes de leurs clients.
Par ailleurs, concomitamment à ce mouvement, les boutiques physiques n’échappent pas à cette révolution numérique et se modernisent progressivement. A ce titre, l’IFOP prévoit qu’à l’horizon 2030, les magasins traditionnels seront « moins nombreux et fortement connectés ». Véritable aubaine pour les entreprises, cette vague de numérisation permet le développement de nouvelles techniques de marketing qui viennent bouleverser les relations entre clients et commerçants.
Le pistage des clients en magasin conditionné par l’anonymisation des données collectées
A l’instar de certains autres secteurs d’activité comme celui de la culture, le commerce de demain reposera principalement sur une modernisation des infrastructures, des locaux destinés à accueillir les clients, eux-mêmes « hyper-connectés » et « hyper-informés ». Équipés de nombreux capteurs et autres outils numériques, ces magasins connectés seront des espaces privilégiés d’échange d’informations avec la clientèle, principalement via smartphones. En ayant recours à de tels dispositifs technologiques, les entreprises pourront, et peuvent d’ores et déjà, établir un véritable suivi du client afin d’appréhender au mieux son comportement et plus encore, ses habitudes de consommation. Pour autant, cette pratique qui permet d’adapter une offre en fonction des préférences de l’acheteur est courante dans l’e-commerce et repose, notamment, sur l’analyse des cookies laissés par l’internaute.
Dans les magasins connectés, des balises ou beacons sont ainsi installées à différents endroits stratégiques comme aux entrées des bâtiments. Celles-ci viennent jalonner le parcours du client en communiquant avec son smartphone et facilitent non seulement le traçage des déplacements mais également le décompte du nombre de visiteurs dans le magasin sur une période donnée.
Cette pratique, appelée géo-marketing, donne alors de précieux renseignements sur le comportement du consommateur face à tel ou tel article et permet, par exemple, d’adresser directement à celui-ci des publicités ou promotions ciblées correspondant à un besoin supposé. A cet égard, l’étude IFOP révèle qu’un français sur deux « trouverait intéressant de recevoir des offres promotionnelles en temps réel en passant dans les rayons d’un magasin ».
Toutefois, reposant nécessairement sur la collecte massive et le traitement de données, l’utilisation de ces outils doit être strictement encadrée. Dès lors qu’une donnée peut être reliée à un client identifié, elle devient une donnée personnelle et doit ainsi répondre aux exigences de la loi du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, afin de garantir le respect de la vie privée des individus.
Par conséquent, il appartient, d’une part, à tout commerçant qui souhaiterait s’équiper de beacons d’effectuer une déclaration auprès Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). D’autre part, les données collectées par ces balises doivent impérativement être rendues anonymes. Le traitement d’une donnée ne peut donc avoir pour finalité l’identification d’un individu. C’est la raison pour laquelle ces données doivent être supprimées dès lors que le client a quitté le magasin.
Par ailleurs, le recours au géo-marketing ne peut pas et ne doit pas avoir pour effet d’entrainer un profilage excessif.
L’identification constante des individus tout au long du processus commercial
Si ces outils marketing novateurs permettent un accroissement considérable de la pertinence des politiques commerciales développées par les entreprises, l’analyse du comportement des individus amène à se poser la question de l’identification du client, tant au moment de son entrée dans le magasin qu’à celui du paiement.
S’appuyant sur les données échangées entre le smartphone du client et les équipements prévus à cet effet, il devient envisageable pour les commerçants d’anticiper les attentes de celui-ci et de faire naître de nouvelles envies personnalisées.
En recoupant toutes les données laissées par une personne au cours de sa visite dans le magasin connecté, un « profil client » peut donc être élaboré. A ce titre, le sondage IFOP vient mettre en évidence les réticences suscitées par l’utilisation des données personnelles dont la finalité serait la dite personnalisation des offres. Ainsi, 65% des français estiment que « le ciblage des offres promotionnelles par les marques représente une mauvaise chose et pointent le caractère intrusif de cette démarche ».
Dès lors, si un profil regroupant les préférences d’un client peut valablement être constitué, celui-ci ne doit en aucun cas être vecteur de différenciation entre les individus. Concrètement, le contenu de ce profil ne serait être un motif licite justifiant, par exemple, le refus de vente d’un produit spécifique à une personne visée ou à la vente du dit produit à une autre, en raison d’un profil plus favorable.
Au-delà de la personnalisation des offres, la problématique de l’identification du client se retrouve également à la phase du paiement. En effet, force est de constater le développement croissant de nouveaux moyens de paiement venant remettre en cause le caractère anonyme de certaines transactions.
Ainsi, tout client peut aujourd’hui régler ses achats en espèces, notamment si celui-ci souhaite conserver l’anonymat. N’étant pas directement lié à un compte au moment du paiement, la transaction ne nécessite a priori aucune identification de sa part.
A contrario, les magasins de demain connaitront une multiplicité de moyens de paiement qui, par nature, nécessiteront l’identification de l’acheteur. En effet, des modes de paiement plus perfectionnés et plus sécurisés pourront sans doute faire leur apparition. C’est notamment l’exemple de l’entreprise Visa qui cherche à développer le paiement reposant sur la biométrie. La transaction serait alors validée par une reconnaissance faciale et par empreintes palmaires. Dès lors, ces nouveaux moyens impliquent de facto l’identification de l’individu et devront à ce titre se conformer à la loi du 6 janvier 1986 ainsi qu’aux recommandations de la CNIL.
L’adaptation nécessaire des droits des personnes à un environnement hyper-connecté
Si la numérisation des points de vente physiques entraine systématiquement la collecte et l’échange de données, celle-ci soulève de nouvelles interrogations sur la nature des données et l’utilisation à des fins marketings qui peut en résulter. L’anonymisation des données devient ici un enjeu majeur dans le cadre d’une protection effective de la vie privée des clients.
En l’absence de toute identification, un client, s’il doit toutefois pouvoir prendre connaissance de la finalité des données collectées et de l’identité du responsable du traitement, ne pourra pas s’opposer au traitement de celles-ci.
Par ailleurs, au regard des développements précédents, force est de constater que la multiplication des équipements connectés dans les magasins tend à faciliter l’identification constante du client. A contrario, en présence d’une donnée à caractère personnel, le traitement ne peut valablement être réalisé qu’avec son consentement préalable. De plus, la loi du 6 janvier 1978 reconnait un droit d’opposition et d’accès aux données collectées.
Paradoxalement, si le consommateur est aujourd’hui « hyper-informé », celui-ci se trouve en réalité noyé sous un flux d’informations continu si bien qu’il ne connait pas ses droits ni les implications d’une telle collecte. L’information doit donc être une priorité pour les entreprises qui doivent adapter ces exigences légales à la modernité des technologies déployées. S’agissant par exemple du pistage d’un client dans le magasin, on peut donc penser que cette localisation devrait prévoir un système permettant sa désactivation si cette mesure ne recueille pas le consentement préalable du visiteur.
Plus encore, la dématérialisation de nombreux actes, comme le paiement, pose nécessairement la question de la sécurisation des données collectées. A ce titre, l’article 34 de la loi du 6 janvier 1978 dispose que « le responsable du traitement est tenu de prendre toutes précautions utiles, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour préserver la sécurité des données et, notamment, empêcher qu’elles soient déformées, endommagées, ou que des tiers non autorisés y aient accès ». A défaut, l’article article 226-17 du Code Pénal prévoit de lourdes sanctions pénales pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende en cas de manquement à cette obligation.
Enfin, si ces outils novateurs n’emportent pas, du moins encore, la confiance des clients, il apparait que la mise en balance des intérêts des consommateurs et des entreprises conditionnera sans doute l’évolution des habitudes de consommations des français. Dans une société hyper-connectée où l’apparition et le développement de magasins connectés semblent inéluctables, les entreprises doivent faire de la protection et de la sécurisation des données une priorité afin de mieux préparer le commerce de demain.
Sources :
CNIL, « Mesure de fréquentation et analyse du comportement des consommateurs dans les magasins », cnil.fr, mis en ligne le 19 août 2014, consulté le 12 janvier 2016, http://www.cnil.fr/nc/linstitution/actualite/article/article/mesure-de-frequentation-et-analyse-du-comportement-des-consommateurs-dans-les-magasins/
CNIL, « La numérisation du commerce de détail », cnil.fr, mis en ligne le 31 mars 2015, consulté le 10 janvier 2016, http://www.cnil.fr/en/linstitution/actualite/article/article/la-numerisation-du-commerce-de-detail/
CNIL, « Plus jamais seuls dans les rayons. La numérisation du commerce de détail », Lettre Innovation et Prospective n°9, avril 2015, consulté le 10 janvier 2016, http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/La_CNIL/publications/DEIP/Lettre9_CNIL.pdf
IFOP, Sondage « Les Français et les magasins connectés », ifop.com, mis en ligne le 6 janvier 2016, consulté le 10 janvier, http://www.ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=3253