« Avec la loi pour une République numérique, le Gouvernement, le Parlement ainsi que les nombreux contributeurs qui ont participé à son écriture lors de la consultation publique en ligne, ont co-construit un cadre ambitieux pour accompagner la transition numérique de notre pays ». Ces quelques mots d’Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation, sont extraits de l’édito publié sur le site internet economie.gouv.fr et témoignent de l’originalité de cette loi publiée au Journal Officiel le 8 octobre 2016.
Ladite loi vient bien évidemment régir le droit de l’internet mais pas seulement, puisque tout au long de ses 113 articles elle régit aussi bien le droit social, que le droit privé ou le droit public. Parmi toutes ces dispositions, certains points s’avèrent essentiels comme l’ouverture par défaut des données publiques et d’intérêt général, la neutralité du net ou encore la protection des données personnelles. Mais le point qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui se trouve aux articles 101 et 102 de la loi, respectivement insérés dans le code de la sécurité intérieure et dans le code du travail. Ce point concerne la reconnaissance officielle de l’e-sport, dont le décret d’application est prévu pour le mois de février 2017. Une nouveauté remarquable dans la mesure où cette discipline tend à se développer de façon exponentielle.
Mais une question persiste pour la plupart d’entre nous, qu’est-ce que l’e-sport ? Cela représente un certains types de jeux vidéo, les electronic sports pour les adeptes de la langue de Shakespeare, autrement dit les sports électroniques. Une notion qui peut apparaître floue dans la mesure où traditionnellement le sport et les jeux vidéo sont deux activités diamétralement opposées. Cependant, l’essence de ces activités les fait se rencontrer sur un terrain commun, le jeu et la compétition qui en découle.
Avant l’adoption de cette fameuse loi, une multitude de compétitions de sports électroniques étaient organisées, certaines d’envergure internationale. Il y a par exemple les World Cyber Games qui s’apparentent à une forme de jeux olympiques des sports électroniques dans la mesure où différentes épreuves se déroulent en mêlant différentes catégories de jeux. Parmi ces catégories, il y a des épreuves phares que l’on peut mentionner comme les séries FIFA, Call of Duty, Warcraft, ou encore TrackMania.
Par ailleurs, la France est un pays grandement concerné par ces compétitions puisque la ville de Paris accueille régulièrement des finales de l’Electronic Sports World Cup, équivalent de la Coupe du Monde de sports électroniques. La France apparaît ainsi comme un acteur important de l’e-sport, malgré cela les compétitions se déroulaient de manière illégale alors même qu’elles réunissaient des milliers de joueurs, dont des professionnels.
La nécessaire professionnalisation de l’e-sport
Afin de pallier ce vide juridique, la loi pour une République numérique reconnait officiellement l’e-sport comme une pratique professionnelle, c’est-à-dire qu’elle légalise les compétitions physiques de jeux vidéo tout en définissant leurs conditions d’organisation et d’exécution. Tout d’abord, l’article 101 de ladite loi énonce qu’ « une compétition de jeux vidéo confronte, à partir d’un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire ». La définition de l’e-sport se poursuit en précisant que cela « n’inclut pas l’organisation d’une prise de paris ». Ainsi, les compétitions de sports électroniques sont distinguées des jeux d’argent en ligne dans la mesure où ce genre de compétitions nécessite des compétences de réflexion et de « jouabilité » alors que les jeux d’argent répondent principalement au hasard. Cette distinction faite avec les jeux d’argent vise essentiellement à autoriser les mineurs à participer aux compétitions de sports électroniques, les joueurs mineurs constituant une part importante des adeptes de ces compétitions.
Dès lors, l’article précité prévoit une disposition relative aux mineurs à propos de leurs conditions de participation aux compétitions d’e-sport. Lesdites conditions doivent être définies par décret en Conseil d’État, néanmoins la participation des mineurs reste soumise à l’autorisation de leurs représentants légaux. Ce qui implique d’informer ces derniers « des enjeux financiers de la compétition et des jeux utilisés comme support de celle-ci » précise ladite disposition.
Il apparaît clairement que la volonté du législateur est d’autoriser la participation des mineurs aux compétitions d’e-sport, qu’ils soient joueurs ou simples spectateurs, tout en assurant leur protection à travers l’obligation de détenir une autorisation parentale. Cette volonté suit une logique économique certaine, l’e-sport attirant de plus en plus de personnes en France, notamment les personnes mineures. Le développement de ce secteur économique passe par la prise en considération nécessaire de cette catégorie de personne.
Afin que les conditions précédemment évoquées soient respectées, l’article 101 de la loi pour une République numérique dispose également que les personnes souhaitant organiser des compétitions de sports électroniques doivent en déclarer la tenue à l’autorité administrative, et ce en respectant les conditions fixées par décret en Conseil d’État. Une déclaration permettant à l’autorité administrative de vérifier également que les compétitions nécessitant des frais d’inscription permettent aux joueurs inscrits de recevoir des gains ou des lots en fonction de leur résultat.
Toutefois, tous les participants des compétitions d’e-sport ne débutent pas la compétition avec un tableau d’affichage des gains vierge. Certains joueurs sont professionnels et bénéficient de l’appui de différents sponsors pour les rémunérer, et du public pour les encourager. Ce sont de véritables stars dans leur domaine, parmi ces étoiles de la manette on peut mentionner August «Agge» Rosenmeier (Danemark) et Spencer «Gorilla» Ealing (Grande-Bretagne), deux des meilleurs joueurs du monde de la série FIFA, qui sont considérés comme les Cristiano Ronaldo et Lionel Messi de leur discipline. Ces deux joueurs pourraient être recrutés à la fin du mois d’octobre par le PSG, célèbre club de football français, qui vient de lancer son équipe d’e-sport. Une nouvelle qui devrait donner encore plus de visibilité médiatique à cette discipline.
L’adoption d’un contrat de travail spécifique pour les joueurs professionnels d’e-sport
D’ailleurs, le développement de l’e-sport passe par la création d’un statut social spécifique pour ses joueurs. En effet ce secteur est en pleine professionnalisation, tant au niveau de l’organisation des compétitions et du financement de celles-ci par des sponsors que par la création d’un contrat de travail spécifique pour ses participants les plus brillants, qualifiés de professionnels. Une avancée logique pour une discipline qui se rapproche du million de joueurs rien que pour la France selon une estimation réalisée par la secrétaire d’État Axelle Lemaire.
Il convient de préciser que les joueurs professionnels de sports électroniques font généralement partie d’une équipe réunissant différents joueurs et un coach. Avant la publication de la loi pour une République numérique le 8 octobre 2016, les joueurs professionnels devaient se déclarer travailleurs indépendants pour être rémunérés de leur prestation, et donc créer une structure commerciale. Un régime précaire bien loin des règles de protection mises en place pour un salarié. On peut faire un parallèle avec la sphère du sport professionnel dans la mesure où les conditions de travail sont spécifiques à leur domaine d’activité, ils sont recrutés pour représenter leur équipe en participant à des compétitions et peuvent également faire l’objet de transferts entre les équipes. Il apparaît donc la spécificité de l’activité des joueurs professionnels d’e-sport, difficilement conciliable avec le régime de droit commun et qui se rapproche davantage du régime dérogatoire accordé aux sportifs professionnels.
De ce fait, l’article 102 de la même loi prévoit la création d’un contrat de travail à durée déterminée (CDD) dérogatoire au droit commun, d’une durée minimale d’un an et maximale de cinq ans. Ledit contrat suit la logique de spécificité évoquée ci-dessus puisqu’il correspond à celui qui a été pensé par la loi du 27 novembre 2015 visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale. Une initiative intéressante qui s’appuie sur ce qui a déjà été fait en matière de droit du sport, mais est-ce la solution la plus adaptée ?
Une solution de facilité potentiellement inadaptée
Certes, l’intention est louable car elle vise à protéger les joueurs professionnels de sports électroniques en créant un CDD d’un an minimum, ce qui correspond à une saison de compétitions d’e-sport. Mais en empruntant les principes du contrat spécifique aux sportifs professionnels, bien que cela présente des avantages certains, la loi pour une République numérique s’expose aussi aux mêmes risques que la loi du 27 novembre 2015. Des risques liés à « la valorisation économique des contrats » selon les propos de Lionel Parienté, avocat au barreau de Paris. Concernant le droit du sport, ces contrats ont été pensés afin de remplacer les CDD d’usage et ainsi éviter leur requalification par les juges en contrats à durée indéterminée (CDI), comme l’ont récemment fait les juges de la Cour de cassation (Cass. soc., 2 avr. 2014, nº 11-25.442, Bull. civ. V, nº 96 et Cass. soc., 17 déc. 2014, nº 13-23.176, Bull. civ. V, nº 295 ; voir égal. Cass. soc., 12 janv. 2010, nº 08-40.053, inédit).
Par ailleurs, il n’en reste pas moins que cette loi qui se veut innovante, ne l’ai pas vraiment sur ce point précis dans la mesure où aucun effort de réflexion n’a été réalisé, la loi se contentant de recopier ce qui a été fait en droit du sport par la loi du 27 novembre 2015. Ce qui soulève des interrogations quant à la compatibilité d’un tel contrat avec le secteur des sports électroniques.
En effet, les joueurs d’e-sport ne sont pas des sportifs, leurs conditions de travail ne sont pas exactement les mêmes, bien qu’il existe certaines similitudes. Les joueurs professionnels de sports électroniques ne sont pas soumis aux mêmes obligations de subordination que les sportifs professionnels, d’autant plus que leurs obligations ne sont pas encore définies de manière précise. Il aurait été préférable de construire un statut social et un contrat réellement spécifiques aux joueurs professionnels d’e-sport afin de prendre en compte leurs réels besoins. Il est donc fort probable que le statut social et juridique des joueurs de sports électroniques soit remis en question dans les mois à venir.
Sources :
IZARD (S.), « Création d’un CDD dérogatoire pour les joueurs professionnels de jeux vidéo », lamyline.lamy.fr, mis en ligne le 5 octobre 2016, consulté le 13 octobre 2016, <http://www.lamyline.lamy.fr.lama.univ-amu.fr/Content/ResultList.aspx?params=H4sIAAAAAAAEACXNz07DMAwG8KchFyTUdoOxgw-UnaeJhQdwg7VGhLjEzra-PS49_KRP-vznt1KZPd0V6FEmLupkzpznH_ClklMcBNqmediFRWs6szFb82xezM68mv1i7zBoxXTgAO2S45U8Dpa5fFHpZ2icsmL6IIGu2zgZ-XbEa7ygRs49lvX3hDq-pxi-wTshLGE84YXAc5UnlOnuonxmuy2Yzv_1uraO9lWVMwya1-4tpT9fgChS6wAAAA==WKE>
VALLAT (T.), « E-sport: l’article 42 du projet de loi numérique adopté par l’Assemblée nationale le 20 juillet 2016 », thierryvallatavocat.com, mis en ligne le 21 juillet 2016, consulté le 13 octobre 2016, <http://www.thierryvallatavocat.com/2016/07/e-sport-l-article-42-du-projet-de-loi-numerique-adopte-par-l-assemblee-nationale-le-21-juillet-2016.html>
[ANONYME], « La #LoiNumérique en points clés », economie.gouv.fr, publié le 10 octobre 2016, consulté le 13 octobre 2016, < http://www.economie.gouv.fr/republique-numerique/15-points-cles>
ARRIVE (P.), « L’arrivée du PSG dans l’eSport bien accueillie par le milieu », lequipe.fr, mis en ligne le 5 octobre 2016, consulté le 13 octobre 2016, <http://www.lequipe.fr/Esport/Actualites/L-arrivee-du-psg-dans-l-esport-bien-accueillie-par-le-milieu/734006>
[ANONYME], « Jeu eSport, histoire et définition », millenium.org, mis en ligne le 1er octobre 2012, consulté le 13 octobre 2016, <http://www.millenium.org/home/accueil/actualites/jeu-esport-histoire-et-definition-caracteristiques-d-un-jeu-pour-le-sport-electronique-76066?page=1>