Le 15 septembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt très attendu « Tobias Mc Fadden c/ Sony Music Entertainment ». L’enjeu était de taille puisqu’il pouvait remettre en cause la législation de nombreux états membres, notamment celui de la France concernant le fait de restreindre la liberté d’information et de communication sur internet pour des raisons liées à la protection des droits d’auteur.
La CJUE conciliateur des droits fondamentaux et des droits d’auteur.
Antérieurement, la Cour de Justice de l’Union européenne s’est toujours montrée favorable à la défense des droits fondamentaux sur internet. Par exemple, dans les cas Digital Rights et Google Spain, la cour avait accordé une primauté au droit au respect de la vie privée sur la surveillance de masse, et avait accordé un droit à l’oubli numérique. Et, elle avait déjà été amené à devoir concilier des droits fondamentaux avec le droit d’auteur. A cet effet, elle avait décidé dans les affaires Sabaam c/ Scarlet et Svenson, que les droits au respect de la vie privée et à la liberté d’expression devaient revêtir une certaine primauté sur le droit d’auteur.
Dernièrement, la Cour de justice a du une nouvelle fois se prononcer sur le problème de conciliation entre droit fondamentaux et droit d’auteur. Effectivement, un litige opposait un commerçant de sonorisation et d’illumination, Monsieur Tobias Mc Fadden à Sony Music Entertainment, le label de disques que l’on ne présente plus. Tobias Mc Fadden proposait dans son magasin un accès libre sur un réseau WLAN pour attirer de la clientèle. Le problème est né en 2010, le titre « Bring mich nach Hause » du groupe allemand Wir sind Helden est illégalement mis à la disposition du public sur le réseau WLAN du commerçant par un tiers anonyme. Le label de disque le repère et met en demeure Tobias Mc Fadden de respecter les droits d’auteur. L’affaire remonte finalement jusqu’à la Cour de Justice de l’Union européenne, Il faut savoir que Sony Music Entertainment avait formé plusieurs demandes. D’une part, ils ont engagé la responsabilité de Tobias Mc Fadden afin d’obtenir une allocation de dommages et intérêts et d’autre part, ils ont demandé la cessation de la diffusion de l’œuvre. Finalement, la Cour de justice a du se prononcer sur le fait de savoir si « les sociétés qui mettent leur réseau WLAN à la libre disposition du public sont responsables des violations des droits d’auteur commises par des personnes utilisant ce réseau » ?
Aux vues de la posture que prenait la Cour de justice, tout laissé penser à croire qu’elle se serait une fois encore montrée récalcitrante sur le fait de faire primer les droits de propriété intellectuelle sur les droits fondamentaux. C’était d’ailleurs de l’avis de l’avocat général, Monsieur Maciej Szpunar. Ce dernier était même aller jusqu’à déclarer qu’« imposer l’obligation de sécuriser l’accès au réseau Wi-Fi, en tant que méthode de protection du droit d’auteur sur Internet, ne respecterait pas l’exigence d’un juste équilibre entre, d’une part, la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et, d’autre part, celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les prestataires des services concernés. En restreignant l’accès à des communications licites, cette mesure impliquerait en outre une limitation de la liberté d’expression et d’information. » Il faut savoir que l’avis de l’avocat général est dans la quasi totalité des cas, suivi d’effet.
Pour organiser sa défense, Tobias Mc Fadden, se fonde sur l’article 12§1 de la directive 2000/31/CE. Il est dit que la personne qui propose un accès au réseau de communication n’est pas responsable des informations transmises, mais il y a toutefois trois exceptions : la personne sera tenue responsable si elle est à l’origine de la transmission, également si elle sélectionne le destinataire de la transmission et encore, si elle sélectionne ou modifie les informations faisant l’objet de la transmission. Comme Monsieur Mc Fadden ne se situe pas dans ces exceptions, sa responsabilité directe est écartée d’entrée de jeux par les juges. Toutefois, le label de disques à trouvé une combine : invoquer à l’encontre de Tobias Mc Fadden une responsabilité indirecte (Störerhaftung) dans la diffusion du contenu protégé. Cette responsabilité indirecte se caractérise par le fait de ne pas avoir pris de mesure de protection de son réseau local sans fil.
Loi HADOPI française : la sécurisation du WI-FI par mot de passe
Cet arrêt était donc très attendu en France, comme nous pratiquons cela. En effet, en France on a fait le choix d’astreindre les abonnés à une responsabilité parallèle puisqu’elle ne traite pas in concreto de la protection des droits d’auteur sur internet, mais elle sanctionne « la négligence caractérisée » : le fait de ne pas avoir suffisamment sécurisé son réseau internet. Cette négligence caractérisée dans la sécurisation du réseau justifie une sanction pouvant s’élever à 1 500 euros d’amende. Cette législation a été instaurée pour essayer de contrer les difficultés de preuves : de cette manière, si certains téléchargements se révèlent être illicites, et attentatoires aux droits d’auteurs sur le réseaux WI-FI, alors la personne ne pourra pas accuser un tiers.
En pratique, des organisations titulaires de droits d’auteur (des professionnels de la musique et du cinéma) mandatent un prestataire privé, la société Trident Media Guard. Cette société, télécharge des œuvres sur des sites de peer-to-peer et prend note des adresses IP qui partagent l’œuvre. Elle a pour mission de transmettre cette liste d’adresses IP à HADOPI. Ensuite, HADOPI se tourne vers les fournisseurs d’accès internet, ceux-ci ont alors pour mission de lui transmettre les coordonnées (nom, prénom, adresse mail) des détenteurs des adresses IP. Une fois qu’HADOPI a pu identifier les utilisateurs, elle met en place « la riposte graduée ». Cette riposte est considérée comme graduée parce qu’il y a deux avertissements avant que le dossier de la personne repérée ne soit examiné par la commission de protection des droits. Et cette commission aura le choix de transmettre ce dossier devant le tribunal.
En pratique on remarque que le public a massivement accès à des oeuvres protégées par le droit d’auteur sur internet mais qu’il n’y a que très peu de condamnation. En conséquence, ce système de protection des droits d’auteurs est souvent décrié en France. Raison pour laquelle, la décision de la Cour de Justice était tant attendue parce qu’aujourd’hui un filtrage minimal des contenus est nécessaire, un internet qui n’est pas contrôlé peut rapidement devenir l’hôte naturel de dérives, notamment celles concernant l’atteinte aux droits d’auteur. Toutefois, un système de filtrage peut aussi mener à des dangers, notamment concernant les mesures coercitives de privation d’accès à l’Internet puisque celles-ci sont propres aux régimes dictatoriaux.
La décision de la CJUE et les conséquences sur HADOPI
Dans sa décision, la cour commence par expliquer que lorsqu’une personne s’estime lésée dans ses droits de propriété intellectuelle, elle peut agir pour demander l’interdiction de la poursuite de la violation, en l’occurrence la diffusion de l’œuvre sans avoir recueilli l’autorisation des ayants droits. Ainsi, le fournisseur d’accès à internet reçoit alors une injonction. Par le biais de cette injonction, celui-ci dispose de trois options : La première est le fait d’examiner toutes les informations transmises via le réseau, la seconde est le fait de suspendre la connexion internet. La cour prend le soin d’exclure ces deux premières options en soutenant que « ces mesures ne respectent pas un juste équilibre entre les droits fondamentaux qui doivent être conciliés. » La troisième option proposée est de sécuriser la connexion au moyen d’un mot de passe. On comprend dès lors que c’est exactement le point qui nous concerne vu de France, c’est un clin d’oeil à HADOPI.
Sur ce point précis, la Cour de justice considère que le fait de sécuriser un réseau WI-FI par mot de passe ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux (en l’occurrence, liberté d’entreprise pour le commerçant et liberté d’information pour les utilisateurs). Toutefois, la cour précise que cette mesure doit être « strictement ciblée » : c’est à dire seulement utilisée pour déjouer une atteinte au droit d’auteur et non pas dans un but de restriction d’accès à internet.
Malgré tout, le fait de demander un mot de passe avant de pouvoir accéder au réseau WI-FI se révèle être inefficace pour la protection des droits d’auteur. A titre d’exemple, il est possible d’utiliser un VPN pour cacher sa véritable identité, de fait, l’utilisateur ne pourra être poursuivi par HADOPI. Ensuite, l’industrie du livre et celle des jeux vidéos n’ont pas mandaté de prestataire privé comme Trident Média Guard présent dans les domaines de la musique et du cinéma, en conséquence, aucune autorité ne vérifie les atteintes susceptibles d’être portée au droit d’auteur dans ces domaines. Egalement, HADOPI ne s’applique qu’aux contenus issus de peer-to-peer et non au streaming.
Pour toutes ces raisons, une décision plus précise aurait été souhaitable. En tout état de cause, une chose est certaine, le fait de sécuriser son réseau WI-FI devient obligatoire pour tous les commerçants en Europe, donc le WI-FI n’est plus ouvert, et n’est plus anonyme.
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