« Quand on consulte des images de pédophilie, on est un pédophile, quand on consulte des images de djihadistes on est un djihadiste » disait Nicolas Sarkozy. Souhaitant lutter de pied ferme contre la menace terroriste, le parti des Républicains a mené une importante bataille afin de transposer au sein du code pénal le délit du simple fait de consultation habituelle d’un site diffusant des images et messages terroristes incitant à commettre un attentat.
L’apparition d’un nouveau délit
Après le massacre du 13 Novembre 2015, le Président Hollande et son Gouvernement ont fini par mettre en place un projet de loi ayant pour objectif de réformer la procédure pénale avec pour finalité première de lutter au mieux contre le crime organisé, et donc, le terrorisme.
De ce projet est né la loi Urvoas, promulguée le 3 Juin 2016, une loi ayant pour but principal de renforcer la « lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement », ainsi que d’ « améliorer l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. »
De fait, elle introduit ainsi une nouvelle incrimination au sein de l’arsenal juridique pénal pour mieux prévenir les actes de terrorisme. Est donc puni : « Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. » ( article 421-2-5-2 du Code pénal). Ce délit se calque sur une infraction déjà bien existante à l’article 227-23 du Code pénal, réprimant le fait de consulter habituellement des sites porteurs de messages, images et vidéos pédophiles.
Cette infraction présume donc de la mauvaise foi de l’individu consultant habituellement des sites djihadistes. Cependant, elle est suivie d’une exonération :
– Lorsque la consultation est effectuée de bonne foi ;
– Lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ;
– Lorsque la consultation intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.
Cette incrimination vient faciliter l’infraction déjà en vigueur à l’article 421-2-6 du Code pénal. En effet, il était d’ores et déjà possible de condamner un individu sur le fondement d’une consultation habituelle de sites faisant l’apologie du terrorisme. Or il était nécessaire de rapporter la preuve d’un fait matériel. Avec cet article, la loi Urvoas permet de condamner un individu pour le simple fait d’une consultation habituelle de sites djihadistes, sans preuve d’une intention terroriste de l’individu. Il n’y a donc pas besoin de prouver que l’auteur de consultations répétitives cherchait à commettre un acte terroriste. Preuve qu’il était bien difficile de rapporter au demeurant.
L’application de l’incrimination
Il ne fallut pas attendre longtemps avant de voir apparaitre des condamnations sur le seul fait d’une consultation habituelle de sites djihadistes.
C’est le Tribunal correctionnel de Chartres qui a ouvert le bal, ce 8 Août 2016, en condamnant un homme de 31 ans à la peine maximale de deux ans d’emprisonnement ferme pour avoir consulté régulièrement des sites diffusant images et vidéos faisant l’apologie du terrorisme. La consultation habituelle s’est accompagnée de messages laissant penser à une possible volonté de commettre un attentat à la Tour Montparnasse, ainsi que d’une consultation fréquente sur des sites proposant la vente d’armes.
Par la suite, le Tribunal correctionnel de Marseille, le 15 Septembre 2016, a également condamné un homme de 28 ans à deux ans de prison ferme pour avoir consulté à plusieurs reprises des sites faisant l’apologie du terrorisme et incitant à commettre un acte terroriste. En l’espèce, l’individu a consulté à 143 reprises des sites diffusant des messages de propagandes djihadistes au sein d’une bibliothèque municipale. Pour se défendre, le défendeur a tenté de prouver sa bonne foi en invoquant l’une des exceptions de l’article 421-2-5-2 au motif qu’il était un « apprenti journaliste » et qu’il ne faisait des recherches que dans le cadre de son métier.
Cette incrimination a été très vite appliqué, si bien qu’après les attentats perpétrés à Nice le 14 Juillet dernier, l’Etat n’a pas souhaité laisser de répit aux individus susceptibles de radicalisation. Cependant, cette condamnation au motif du seul fait d’une consultation répétée de sites faisant l’apologie du terrorisme et incitant à commettre des actes terroristes ne serait-elle pas le début d’une police de ce que l’on a le droit ou non de regarder ?
La possible censure de l’article
Cette volonté d’instaurer un tel délit sans rapporter la preuve d’une intention caractérisée de l’individu de commettre un attentat est issue d’une bataille politique entre Nicolas Sarkozy et le Gouvernement, considéré comme trop laxiste face à la radicalisation croissante. Que ce soit pour Bernard Cazeneuve ou Jean-Jacques Urvoas, ce texte était voué à être censuré par les Sages avant la commission des attentats du 13 Novembre dernier. Ces derniers ayant changé la direction politique du Gouvernement en matière de préservation de la sécurité nationale. Et il n’en aura pas fallu longtemps avant qu’une QPC soit déposée afin de contester la constitutionnalité de cet article.
En effet, pour Maître Sami Khankan, avocat au barreau de Nantes, ce texte repose sur plusieurs points problématiques :
– le manque de précision de la notion de « consultation habituelle » ;
– l’interdiction de consulter ce genre de sites serait contraire à la liberté de communication et d’opinion ;
– l’article serait inconstitutionnel par la présomption de mauvaise foi qu’il instaure et à la « rupture d’égalité » issue de la dérogation dont peuvent bénéficier certains citoyens.
En attente de la transmission de la QPC au Conseil Constitutionnel, on peut se demander quelle pourrait être la décision que prendront les membres du Conseil.
Cette proposition d’article avait déjà été rejeté par le Conseil d’Etat pendant l’élaboration de la loi LOPPSI en 2011. De fait, ce dispositif était considéré comme inconstitutionnel par Jean- Jacques Urvoas puisqu’il ne répondait pas aux exigences constitutionnelles de « précision de la loi pénale », seul un blocage de sites devrait suffire. Bernard Cazeneuve confiait que « les seules dispositions de l’opposition que nous n’avons pas reprises sont des dispositions que nous estimons incompatibles avec notre loi fondamentale, et qui seraient à ce titre censurée par le Conseil constitutionnel s’il était saisi, y compris dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité ». Pourtant, cette disposition a été prise en conséquence de la fréquence d’attentat commis sur le territoire.
« A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle » dit-on. Il est évident que ce dispositif pose de sérieux problèmes. Le gouvernement a souhaité fermé les yeux sur ceux-ci, préférant lutter le plus efficacement possible contre le terrorisme et la radicalisation, au détriment de certains grands principes. Il n’empêche qu’ils subsistent encore et sont une menace à la viabilité de l’incrimination.
Il est évident que ce délit entraine une réelle intrusion dans la vie privée de tout un chacun et favorise un contrôle faisant obstacle à la liberté de communication consacrée à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et à l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. De plus, un journaliste consultant des sites proposant une propagande djihadiste, bien que faisant preuve d’un profond recul, peut tout aussi bien se laisser endoctriner. Nous ne pouvons le certifier.
Pourtant, pour faire face au terrorisme, il semble légitime qu’une telle incrimination existe. La menace terroriste est tout aussi dangereuse que la menace pédophile. Il serait donc logique de les combattre de la même manière. Il n’est donc pas impossible, face au houleux climat actuel, que les Sages fassent primer la préservation de la Sécurité nationale face à une possible entrave à la liberté de communication.
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