« C’est une vraie victoire pour les défenseurs des libertés numériques ». L’avocat Patrice Spinosi n’a pas caché sa joie suite à la décision du Conseil constitutionnel, le 21 octobre dernier, de censurer l’exception de contrôle pour les surveillances hertziennes. Retour sur une décision mettant à mal le serpent de mer du renseignement français.
Saisi d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) par des associations de défense des droits et libertés des citoyens sur internet, le Conseil constitutionnel a dû se prononcer sur un des articles de la très controversée loi renseignement de juillet 2015. En effet, au nom de la défense des intérêts nationaux, l’article L811-5 du code de la sécurité intérieure permettait aux pouvoirs publics et services de renseignement de surveiller les communications par voie hertzienne sans faire l’objet du moindre contrôle. Le Conseil a estimé qu’il y avait là une atteinte manifestement disproportionnée au droit à la vie privée et au secret des correspondances garantie par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Il est important de noter que la loi renseignement n’a en réalité fait que reprendre et renommer un article vieux de vingt-cinq ans. Cette exception de contrôle pour les surveillances hertziennes avait, en effet, été adoptée dans une loi de 1991 relative au secret des correspondances. Autrement dit pendant vingt-cinq ans, une disposition a permis une surveillance hertzienne contraire à la Constitution.
Un texte particulièrement flou portant atteinte au droit à la vie privée
Le premier danger suscité par cet article repose sur l’étendue des communications par voie hertzienne qui a fortement évolué depuis 1991. En effet, à l’époque Internet n’en était alors qu’à ses balbutiements et le téléphone portable n’existait qu’au cinéma. Part conséquent, la surveillance hertzienne risquait moins de concerner les français pris individuellement.
A contrario, aujourd’hui toute correspondance privée effectuée au moyen de téléphone portable ou sur internet via le wifi entre dans le champ des transmissions par voie hertzienne et est donc susceptible de faire l’objet d’une surveillance.
Le gouvernement a tenté de se défendre en expliquant que la surveillance hertzienne ne concernait pas les transmissions « individualisables, localisées et quantifiables » autrement dit les transmissions des particuliers. La surveillance des ondes hertziennes s’appliquerait donc essentiellement aux communications des acteurs institutionnels comme l’armée. Cependant, cette précision n’apparaît pas à la lecture du texte contribuant par la même à créer un flou juridique. Comme rien n’est précisé, les pouvoirs publics pourraient parfaitement étendre la surveillance hertzienne aux communications des individus et porter de cette façon atteinte au droit à la vie privée et au secret des correspondances.
Par ailleurs, la loi ne précise rien quant au traitement des données collectées par la dite surveillance venant de ce fait renforcer l’opacité du texte.
Seule limite à la surveillance hertzienne : l’impératif de défense des intérêts nationaux. Or la conception large que les pouvoirs publics peuvent avoir de la notion « d’intérêts nationaux » est susceptible là encore d’étendre le champ d’application de la disposition et ce d’autant plus qu’il n’existe aucun contrôle.
Une absence de contrôle : la porte ouverte aux dérives de l’espionnage
On se retrouve donc avec un article imprécis susceptible de faire l’objet de larges interprétations. La logique voudrait qu’il existe au moins un mécanisme de protection pour éviter les abus. Or ce n’est pas le cas. La loi de 1991 sur le secret des correspondances, pourtant adoptée après le scandale des écoutes de l’Élysée a instauré une exception de contrôle pour la surveillance hertzienne. Ainsi, dans le cadre de ces écoutes, les pouvoirs publics peuvent se passer des contraintes qui devraient normalement s’exercer sur eux. Ils n’ont pas à attendre une autorisation du Premier Ministre et l’avis de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette même commission qui n’est donc pas tenue de contrôler les surveillances opérées.
Pour Maître Spinosi, cette disposition est la « voie à un espionnage de masse ». En effet au nom de la défense nationale, les pouvoirs publics ne sont soumis à aucune condition de procédure et à aucun contrôle. Par conséquent rien ne permet de vérifier que les services de renseignement n’outrepassent pas l’impératif peu précis de défense des intérêts nationaux.
Pourtant, il est avéré que cet article a bien été utilisé abusivement par les renseignements. Bernard Squarcini, l’ancien patron de la DCRI, aujourd’hui mis en examen avait admis faire une « utilisation régulière du texte » lors de son procès dans l’affaire des fadettes. Affaire où cette exception avait justement été utilisée pour mettre sur écoute des journalistes du journal Le Monde.
La mise en place de réserves d’interprétation et un retour par la case parlementaire
Le conseil constitutionnel a pris la décision de ne pas abroger la loi afin de permettre aux services de renseignement français d’accomplir la tâche qui leur incombe et de réaliser les écoutes nécessaires à la défense nationale surtout dans un contexte de lutte contre le terrorisme.
Néanmoins, il apporte deux réserves d’interprétation qui ont force de loi :
-l’exception de contrôle des surveillances hertziennes ne peut pas servir à surveiller individuellement les français.
-la CNCTR devra être régulièrement informée des surveillances hertziennes.
Enfin le conseil décide de renvoyer la loi devant le parlement qui devra présenter un nouveau texte avant le 31 décembre 2017. C’est peut être le point le moins satisfaisant de la décision pour les requérants qui jugent ce délai excessif. Un délai certainement dû au calendrier chargé de l’année à venir (débats budgétaires, élections présidentielle et législatives).
SOURCES :
-TESQUET (O.), «Le conseil Constitutionnel civilise (enfin) les écoutes sauvages », telerama.fr, publié le 21.10.2016, consulté le 23.10.2016, <http://www.telerama.fr/medias/le-conseil-constitutionnel-civilise-enfin-les-ecoutes-sauvages,149093.php >
-GUITON (A.), « Surveillance : la fin du passe droit pour le sans-fil », libération.fr, publié le 21.10.2016, consulté le 23.10.2016, <http://www.liberation.fr/futurs/2016/10/21/surveillance-la-fin-du-passe-droit-pour-le-sans-fil_1523454 >
-JACQUIN (J-B.) « Surveillance hertzienne : le Conseil constitutionnel censure la loi renseignement », lemonde.fr, publié le 21.10.2016, consulté le 26.10.2016,<http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/10/21/surveillance-hertzienne-le-conseil-constitutionnel-censure-la-loi-renseignement_5017813_4408996.html >
-REES (M.), « #QPCHertz : le Conseil constitutionnel censure la surveillance des communications hertziennes », nextinpact.com, publié le 21.10.2016, consulté le 26.10.2016, <http://www.nextinpact.com/news/101850-qpchertz-conseil-constitutionnel-censure-surveillance-communications-hertziennes.htm>
-REES (M.), « Surveillances hertziennes : quand le gouvernement justifie la quasi-absence d’encadrement », nextinpact.com, publié le 11.10.2016, consulté le 29.10.2016,<http://www.nextinpact.com/news/101706-surveillance-hertzienne-quand-gouvernement-justifie-quasi-absence-dencadrement.htm>