Par un communiqué en date du 1er octobre 2016, l’Icann déclare la fin de son contrat avec le Département du commerce américain et annonce qu’elle sera désormais « une entité internationale auto-régulée ». C’est alors une émancipation historique qui est annoncée et qui peut déjà être considérée comme un tournant dans l’histoire du Web.
Le développement d’Internet et du e-commerce a naturellement fait augmenter les conflits en matière de nom de domaine comme le cybersquatting. Ainsi, une incapacité de résoudre de tels litiges s’est fait ressentir et dès 1996 la communauté internationale s’insurge et souhaite une réforme du système. C’est en 1998 que l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) voit le jour et acquiert très vite un statut d’association de droit privée à but non lucratif soumise à la loi Californienne. Sa mission principale est l’IANA (Internet Assigned Numbers Authority) détenant de ce fait une importante responsabilité mais surtout un monopole dans la gestion des noms de domaine de premier niveau pour l’ensemble des pays. Elle était placée jusqu’alors sous la direction du gouvernement américain qui faisait partie du conseil d’administration ayant un rôle d’approbation des décisions les plus importantes, notamment concernant les noms de domaine contestés. L’Icann elle-même reconnait que « celui qui contrôle les noms de domaine, contrôle Internet ».
Une rupture entre les Etats-Unis et l’association à propos de la gestion des noms de domaine a donc eu lieu et l’Icann n’est plus dépendante du gouvernement américain. Pour autant, il faut atténuer cet abandon soudain par le fait que le Sénat n’a pas eu d’autre choix que de le valider puisqu’il n’y a pas eu assez de voix d’opposition à mettre fin au contrat.
C’est en 2013 que le gouvernement propose pour les années à venir un changement de gestionnaire et le Président des Etats-Unis Barack Obama rappellera en 2015 sa volonté de rendre autonome l’Icann. Toutefois, il faudra attendre le congrès de Marrakech en mars 2016 pour que les membres de l’Icann adoptent une nouvelle charte en promettant d’effectuer un contrôle par « la communauté des utilisateurs ». La gestion multi-acteurs est alors privilégiée basée sur un modèle « de gouvernance globale du Net ».
C’est un changement attendu de la part des acteurs et des Etats qui cherchaient à réformer depuis des années, notamment depuis l’affaire Snowden où le scandale de surveillance du monde entier par la NSA éclate.
La relation controversée de l’Icann et du gouvernement américain
L’invention de l’internet ne peut pas être le seul argument pour légitimer le contrôle des Etats-Unis dans la gestion des noms de domaine. Pourtant, pendant près de 20 ans c’est bien le gouvernement Américain qui est lié par un contrat avec l’association. Ainsi, le gouvernement possède un véritable droit d’accepter ou de refuser les décisions concernant l’attribution des TLD (Top-Level Domain) des noms de domaine qu’elles soient d’ordre techniques ou administratifs.
Ce lien très étroit entre l’association de droit privé et les Etats-unis a toujours été critiqué par les autres Etats. Pourquoi un seul pays pourrait contrôler l’ensemble des noms de domaine alors que l’internet est présent partout et qu’il n’est censé appartenir à personne ? Même si un contrat entre ces deux parties a déjà été passé en 2009 pour réaliser quelques changements, ces derniers ne sont pas suffisants puisque le gouvernement a gardé son rôle primordial : seule une commission a été créée pour contrôler les actes de l’Icann et lui soumettre quelques recommandations.
L’autonomisation de l’Icann est plus que jamais revendiquée, voulue et attendue par les Etats.
En 2012, lors de la conférence de l’UIT (Union internationale des télécommunications) à Dubai portant sur la modification du Règlement des télécommunications internationales, la gouvernance de l’Icann par les Etats-Unis a été discutée. Les Etats occidentaux contestent la prédominance américaine dans l’internet et ont proposé à ce que l’UIT gère les noms de domaine. L’Inde, la Chine et la Russie demandaient un droit souverain à gérer le Web et des droits égaux entre les Etats. Cette revendication n’a pas été suivie car les Etats ne peuvent en aucun cas contrôler l’internet sur leur territoire au nom de la liberté de transport de contenu.
Alors que la France refuse lors de cette conférence de soutenir les pays émergents et leur proposition d’un Icann indépendant et contrôlé par un organe de l’ONU, en 2015 le discours est tout autre. Elle se positionne plutôt sur un terrain adverse lorsque la question de l’attribution des noms de domaine en « .wine » et « .vin » se pose. Ici, le pays estime que les spécificités concernant la protection des indications géographiques de la France ne sont pas bien appréciées et ne souhaite en aucun cas que des noms de domaine en « .vin » soient attribués pour un tarif misérable alors que cette indication représente une valeur économique importante pour les viticulteurs. Pour la secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Le Maire, l’Icann n’a pas intégré la diversité culturelle dans ses décisions, ni les intérêts économiques des pays. C’est donc tout l’enjeu de cette nouvelle indépendance : la conciliation des diverses cultures.
Une indépendance essentielle en vue d’une gestion multi-acteurs des noms de domaine
L’abandon validé par le Sénat américain s’avérait nécessaire pour le bon fonctionnement de l’Internet. De ce fait, l’Icann devient une organisation autonome dont l’exigence d’une coopération entre de multiples acteurs se fait ressentir. L’objectif premier est de mettre l’accent sur l’aspect multi-culturel des Etats : la diversité culturelle de chaque pays, la différence de langage, l’adaptation au fonctionnement de l’internet, la spécificité de chaque pays. Autant de volets qui doivent être appréciés et cela parait logique que chaque pays puissent prendre part aux diverses décisions car l’internet est une question internationale.
La France s’est alors engagée pour une indépendance de l’Icann. Pour elle, il n’y avait pas de raison à ce que les Etats-Unis puissent gérer l’Internet pour le monde entier alors même que la majorité des internautes ne se trouve plus être américains. L’AFNIC (Association française pour le nommage Internet en coopération) se réjouie donc de cette décision et va participer au sein de l’association à cette nouvelle gestion en devenant un acteur engagé. Ses actions seront à concilier avec l’ensemble des acteurs intervenant dans l’Icann c’est-à-dire des sociétés civiles, des techniciens, des gouvernants et des personnes issues du secteur privé.
Le monopole que possédait les Etats-Unis avait l’avantage de l’unicité des décisions, un système unique et centralisé ce qui permettait de prendre des décisions plus facilement. Pour autant, la gestion collective va permettre un contrôle plus équitable et partagé avec la création de propre règle sans que seul le gouvernement américain puisse intervenir. L’Icann supervisera le système des noms de domaine et le gouvernement américain ne pourra plus décider unilatéralement pour la France de l’attribution des noms de domaine en « .fr » par exemple.
Seulement, ils n’ont pas délaissé la gestion sans condition : ils ont souhaité que l’ensemble des acteurs participent de manière équilibrée, que l’internet reste libre et que l’Icann ne devienne pas une organisation gérée par un seul et unique Etat ni par une organisation internationale. Sur ce point, les Etats-Unis ont été clairs : l’ICANN devenant une organisation internationale intégrée à l’ONU est impensable. Cette transformation parait trop « dangereuse » puisque l’ONU est composée aujourd’hui d’Etats à tendance totalitaires qui pourraient s’allier pour prendre les décisions et les procédures de l’ONU sont trop lourdes pour l’internet qui est un réseau mondial instantané ayant besoin de réponses et d’encadrements rapides.
Il ne faut pas oublier que, certes, l’Icann devient une organisation internationale auto-régulée mais elle reste malgré tout une association américaine soumise aux règles de droit du pays. D’ailleurs, une modification du statut de l’Icann est en cours : une association de droit suisse se profile pour les années à venir étant vue comme un compromis. Malgré tout, les USA ne perdent pas la main sur la gouvernance de l’internet, et ne sont pas dépourvus de moyens dès lors que l’on sait que les grandes entreprises de l’internet sont américaines et maitrisent la Toile sur tous les continents de nos jours. Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis garderont forcément une certaine influence sur le système de nommage grâce aux firmes. En ce sens, la gestion reste aux mains de l’Icann que ce soit pour attribuer un nom de domaine ou pour certifier un bureau d’enregistrement dans un Etat. Ainsi,les seuls changements marquants seront l’investissement de la part de l’ensemble des acteurs dans la gestion et des spécificités mieux considérées.
L’annonce du Sénat ne représente que le début d’un long travail entre les différents Etats se déroulant sur plusieurs années afin de prouver qu’une gouvernance mondiale dans la gestion des noms de domaine est possible. De plus, il faut relativiser la compétence de l’Icann qui se trouve limitée à la seule attribution d’un droit d’exploitation des nom de domaine.
Une rupture néanmoins regrettable pour certains
A la suite du communiqué de l’Icann, quatre Etats (Texas, Arizona, Nevada et Oklahoma) se sont empressés de porter plainte contre la décision ne voulant pas délaisser l’emprise américaine du Net. Pour certains pays, c’est peut être la peur de voir émerger un Icann parallèle qui serait créé par les grandes puissances comme la Russie ou la Chine. De même, cet abandon s’est invité à la campagne présidentielle américaine avec Donald Trump qui s’oppose fermement à la rupture considérant que pouvoir contrôler l’Icann et donc l’internet relève du patriotisme. Il n’admet pas le fait que d’autres Etats puissent avoir la main dessus et prendre certaines décisions. Reste à voir ce qu’il déclarera lors de son investiture …
SOURCES :
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