La technologie prend son envol, dans le sens physique du terme, grâce à la démocratisation d’une pratique auparavant dédiée à un usage exclusivement militaire : la mise en œuvre des drones civils. Véritables moyens de transport de pratiques numériques, ils semblent trouver une utilité certaine dans une multitude de secteurs avec, par exemple, le domaine du bâtiment dans lequel il est bienvenu de recourir aux drones afin de collecter un maximum de données, en vue d’opérer des suivis actualisés et précis de l’avancée de travaux. De même, leur usage est unanimement admis dans les temps de loisirs, avec les cas du “drone-fishing“ apparu aux Etats-Unis, mais aussi le domaine du sport abritant des courses de drones (très récemment diffusées à la télévision française), et plus simplement dans la sphère privée avec les utilisations qui en sont faites par tout individu.
La France semble ainsi admettre une forme de banalisation de l’utilisation de ces aéronefs, obéissant originellement à des législations très spécifiques en droit interne, à savoir le Code des transports, et celui de l’aviation civile. Il s’agit là d’un réel progrès juridique, quand on sait que d’autres Etats européens comme la Suède (Arrêt rendu le 21 Octobre 2016 par la Haute juridiction suédoise) interdisent formellement le survol de ces appareils « commandés à distance et équipés d’une caméra », en réservant cet usage aux forces de l’ordres, ainsi qu’à la personne bénéficiant d’un permis de vol.
Cette évolution française est définitivement marquée par la loi du 24 octobre 2016 relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils, dont l’objectif majeur semble être de responsabiliser les utilisateurs de ces drones, et d’anticiper les usages indésirables auxquels ceux-ci peuvent mener.
Une question se pose alors : pourquoi une possibilité technologique se transforme-t-elle en menace juridique ? L’explication est simple : le drone est un équipement qui contient lui-même une série d’outils permettant de capturer des données, des informations aériennes ou terrestres, en vue de leur étude, voire de leur utilisation postérieure. De surcroit, des exemples factuels montrent un potentiel danger que ces appareils peuvent représenter, notamment au regard du trafic aérien général, avec le cas d’un Airbus A320 ayant croisé des drones dans les airs, ou encore d’un drone belge qui s’était écrasé en France.
Ici apparaissent des menaces liées aux branches civile et pénale du droit, mais qu’en est-il des atteintes aux principes du droit de l’immatériel, des nouvelles technologies ? Existe-t-il des risques forts en matière de traitement des données recueillies par les drones ?
Le drone civil, un réel enjeu de responsabilité juridique.
La popularisation de l’utilisation des drones civils conduit à l’émergence d’un nouveau marché économique, avec des perspectives d’emploi intéressantes pour la croissance du pays. En parallèle toutefois, le volet moins attractif, mais tout aussi important d’une telle massification est de nature juridique, puisqu’il convient de conférer un cadre aux consommateurs nouveaux, s’agissant de l’utilisation des drones, quelle que soit l’activité pratiquée avec ces derniers. De fait, intervient nécessairement, en droit, la question de la responsabilité qui, comme le sait le juriste, se décline dans son acception civile, et dans sa forme pénale.
Dans le domaine de la responsabilité civile, on peut constater l’application de la responsabilité du fait des choses lorsque l’exploitant du drone est un utilisateur privé, et également lorsque l’aéronef en évolution est à l’origine d’un accident, en vertu de l’article 1242 du Code civil.
De même, des jurisprudences fondatrices trouvent application dans l’utilisation des drones civils. Tel est le cas de l’arrêt COSTEDOAT de 2000 qui garantit une irresponsabilité du préposé dans le cadre de ses fonctions, et donc la responsabilité du commettant en raison des dommages causés par ce même préposé. Enfin on peut citer l’exemple de la responsabilité du fait des produits défectueux de l’article 1245-1 du même Code, laquelle est légitimement applicable en cas d’absence de « sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre », autrement dit une anomalie de nature interne au système du drone.
Que peut-on constater au regard de ces applications civilistes ? Il semble opportun de préciser que le drone s’apparente d’abord aux autres moyens de transports présents dans le quotidien de l’individu, ce qui montre une aisance à considérer cette technologie, pourtant visée par le public que depuis peu, comme étant la plus habituelle pour l’Homme. Il convient même d’aller plus loin dans cette analyse personnalisante, en affirmant un lien utilitaire et juridique très important entre l’appareil et son utilisateur : le drone agit parce qu’il est contrôlé par l’individu. Ainsi, ce dernier dispose d’une obligation de surveillance et d’attention dans l’utilisation du drone, sous peine d’engager sa responsabilité.
Et le volet pénal est également présent pour réprimer certains comportements qui interviennent en cas d’absence de responsabilisation de l’utilisateur. En témoigne une Ordonnance rendue par le Tribunal de grande instance de Paris, datée du 13 Mars 2015, dans laquelle est sanctionnée l’absence d’autorisation de vol, et surtout un manquement grave aux règles de sécurité et aux conditions de navigabilité.
Un autre cas présente tout son intérêt : le Tribunal correctionnel de Bayonne a eu l’occasion de sanctionner le comportement d’un exploitant privé en raison de la perturbation d’une activité de sauvetage maritime effectuée par un hélicoptère, acte frauduleux appuyé par la recherche du sensationnel. La juridiction pénale pose ici une limite certaine à l’activité exécutable avec un drone : la recherche de l’information ne doit pas perturber une activité publique de nature à assurer la sécurité des citoyens.
Une logique parfaitement légitime qui se voit prolongée vers une autre problématique directement liée à l’utilisation d’un drone : la cohabitation de l’appareil hautement équipé et de principes essentiels en droit des nouvelles technologies, de l’information et de la communication, à savoir la respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel.
L’usage civil du drone : un danger pour le droit du numérique et ses principes fondamentaux ?
L’émergence d’un produit, dans le secteur technologique, suscite nécessairement une inquiétude juridique du fait de l’utilisation de celui-ci. En l’espèce, les drones étant équipés de mécanismes permettant la captation de sons et d’images d’une part, et de dispositifs de recueil puis de traitement de données spécifiques d’autre part, ils entrainent ainsi la mise en perspective de deux enjeux juridiques : le droit au respect de la vie privée, et la protection des données personnelles.
La protection de la vie privée, principe fondamental du droit français, constitue également un des vecteurs essentiels de la CNIL et de la Direction générale de l’aviation civile. C’est surtout le volet pénal qui sera susceptible d’être exécuté avec l’article 226-1 réprimant l’atteinte à la vie privée par la captation d’images sans autorisation préalable. On retrouve une déclinaison de l’indispensable respect accordé à l’intimité de l’individu, malgré la complexité de l’activité exécutée avec un drone : on revient aux fondamentaux du droit pour réguler la nouveauté.
Mais comment assurer cette protection, face à l’exécution d’actions purement techniques et qui n’ont d’humaines que le pilotage orchestré par un télépilote ? Un principe nouveau semble régler la question : le “Privacy by design“, promu à l’article 25 du Règlement européen du 27 Avril 2016.
D’inspiration canadienne, il renvoie à l’anticipation devant être envisagée par les responsables des traitements de données et des risques d’atteintes, par l’adoption de mesures permettant à l’individu d’être maître de ses données. Cette initiative juridique, à caractère personnaliste, témoigne de la volonté de rendre les utilisateurs plus responsables, ce qui leur conférera une protection maximale des aspects les plus intimes de leur vie. De surcroit, des enjeux sociaux et économiques apparaissent avec la garantie d’un “Privacy by design“, à savoir l’instauration d’une relation de confiance entre les individus consommateurs et les innovations technologiques, qui permettra ainsi la hausse de la consommation, comme on peut déjà le constater en France avec une augmentation des ventes de presque 300% entre 2014 et 2015.
L’autre problématique juridique, faisant d’ailleurs l’objet d’une actualité récente et conséquente, est celle de la protection des données personnelles. Les inquiétudes présentes en la matière renvoient à l’activité essentielle du drone : la collecte, le traitement, l’enregistrement d’une série de données qui permettent l’exploitation a posteriori de ces dernières par l’utilisateur. La problématique précise est la probable identification d’individus, grâce aux données collectées, qui sont bien des données personnelles au sens de la loi du 6 Janvier 1978, encore en vigueur, et du Règlement européen de 2016 qui n’entrera en vigueur qu’à partir de 2018. Le G29, groupe de travail rassemblant les représentants des autorités de régulation des données personnelles des EM de l’UE a d’ailleurs confirmé cette interprétation.
La crainte de la violation des données personnelles est appuyée, en matière d’aéronefs télépilotés, par l’évolution positive de leurs capacités : il se font de plus en plus discrets, ils ont la faculté d’observer des détails extrêmement précis, et ils permettent d’accéder à des lieux géographiques très difficiles d’accès en situation classique. Autrement dit, se présentent autant de techniques et d’évolutions des possibilités des drones, qui augmentent la longévité de l’activité de captation, et donc les risques d’atteintes.
Un volume éthique d’idées appuie par ailleurs la préoccupation de la protection des données personnelles, face à l’activité des drones. En effet, le drone entraine un risque direct de déshumanisation de l’individu, dans la mesure où celui-ci n’est pas considéré, par le matériel, comme un être vivant, mais bien comme une donnée sujette à analyse. C’est en ce sens qu’il faut opposer un réel régime protecteur des données personnelles. Et pour cela, il faut prendre appui sur la réglementation européenne, laquelle, bien avant 2016, élève au rang de priorité majeure le respect des droits fondamentaux de l’Homme, couverts par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, mais aussi la jurisprudence de le Cour Européenne des Droits de l’Homme ou encore la Charte des Droits fondamentaux de 2000.
Dans cette logique de citation de sources fondatrices des droits et libertés au sein de l’Union européenne, il est important de préciser que, dès la Directive 95/46 du 24 Octobre 1995, on a considéré que les règles en matière de protection des données personnelles s’appliquaient à l’usage des drones. Ces mêmes dispositions sont assorties d’exceptions : les drones peuvent aller au delà de cette protection favorable à l’individu dans trois situations.
Le cas de « l’exception domestique » d’abord qui précise qu’un drone peut être utilisé dans un contexte purement privé sans pour autant porter atteinte à la protection des données personnelles. Cette exception est directement renversée dès la publication des données au public, comme il a été jugé dans l’arrêt LINDQVIST rendu par la CJUE en Novembre 2003.
Vient ensuite la situation de collectes en vue du maintien de l’ordre public, donc faites par l’Etat, et celles opérées par les services de renseignement. S’agissant notamment de la première hypothèse, elle échappe à l’application du droit commun de la protection des données personnelles sauf si un échange de ces données est réalisé entre les Etats membres.
Enfin, l’activité de collecte par les médias ne tombe également pas dans le régime protecteur des données personnelles, à condition qu’une mise en balance soit bien prise en compte avec la liberté d’expression, et notamment le droit du public à l’information.
L’activité des drones étant alors spécifique de par sa nouveauté, les institutions européennes ont bien opéré le rapprochement indispensable entre l’utilisation de ces aéronefs télépilotés, et la nécessaire conformité au droit de la protection des données personnelles. Pour préciser cet encadrement, certaines institutions européennes comme la Commission européenne et l’ “European Data Protection Supervisor“ (CEPD), ont travaillé, par le biais de recommandations conduisant à une prise de précautions des drones, en vue d’atteindre au maximum l’objectif de respect de la protection des données personnelles. Notamment, ont été conseillées une clarification du cadre juridique en la matière, et surtout une sensibilisation de l’activité inhérente aux drones par une réelle mise en œuvre de processus informatifs portant sur les modalités d’utilisations et les risques éventuels d’atteintes par les concepteurs et les responsables du traitement de données.
Sur ce dernier point, il convient d’effectuer le rapprochement avec la nouvelle législation française, qui insiste sur la nécessité de donner une information précise à l’utilisateur, par le biais d’une notice d’information.
Alors, le travail effectué tant sur le plan communautaire que national, témoigne d’un réel souci accordé à la protection des droits inhérents à l’individu, englobés dans la branche numérique et immatérielle du droit. Pourtant, un point semble essentiellement présent et bien paradoxal : la technologie ne s’éloigne pas de l’Homme, bien au contraire : elle intègre un caractère humaniste fort, à tel point que la personne humaine prime sur le progrès technologique, avec une réelle adaptation de ce dernier aux comportements et à la personnalité de l’individu.
Le drone apparaît comme un outil mettant l’individu à contribution par la nécessaire conciliation qu’il doit appliquer entre les finalités qu’il poursuit et le respect d’autrui. Cet appareil représente également un argument de l’évolution économique qui va être atteinte dans les années à venir.
Cependant, le recours à l’aéronef suscite la prise en compte de pratiques totalement illégales, au regard de ce qui est effectué par l’Etat Islamique (EI) à des fins de surveillance, mais aussi en vue d’amplifier la menace terroriste qu’ils veulent propager dans le monde. Et l’état actuel de la préoccupation appliquée sur l’usage des drones semble parfaitement correspondre à ce qu’affirmait Henry de MOTHERLAND lorsqu’il dit que « Les abus sont souvent plus dangereux que les erreurs parce que l’on y prend moins garde ».
SOURCES :
ARCHAMBAULT L, MÂZOUZ A, « Quel horizon juridique pour les drones civils ? », Gaz.Pal du 21 juin 2016, n°23, p.19, consulté le 6 novembre 2016
BENAISSA L, DARY M, « Privacy by Design : un principe de protection séduisant mais complexe à mettre en œuvre », Dalloz IP/IT 2016, p.476, consulté le 6 novembre 2016
BOURGEOIS M, TOUZANNE B, « Les aéronefs civils télépilotés avec capteurs : des “drones de droit“ », Comm. Com. Electr., Décembre 2015, consulté le 6 novembre 2016
PFIMLIN E, « Comment lutter contre les drones commerciaux utilisés par l’EI », lemonde.fr, mis en ligne le 18 octobre 2016, consulté le 6 novembre 2016 : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/10/18/comment-lutter-contre-les-drones-commerciaux-utilises-par-l-ei_5015684_4408996.html
Rapport du la Direction générale des politiques internes du Parlement Européen, « Les conséquences de l’usage civil des drones sur la protection de la vie privée et des données à caractère personnel », 2015, consulté le 6 novembre 2016
SIRINELLI P., « Drones de loisir : fini de jouer », Dalloz IP/IT 2016., p.273, consulté le 6 novembre 2016
Consultation du Blog Le Monde dédié aux blogs : http://drones.blog.lemonde.fr/
Site de la Fédération Professionnelle du Drone Civil : http://www.federation-drone.org/