Le concept de réalité virtuelle désigne une technologie informatique simulant la présence physique d’un joueur, au sein d’un environnement généré artificiellement par des logiciels, avec lequel l’utilisateur peut interagir.
Il s’agit d’une expérience sensorielle, motrice et cognitive menée dans un monde crée numériquement dans lequel le joueur s’immerge grâce au port d’un casque spécifique lui couvrant les yeux.
La réalité virtuelle, très en vogue et en plein développement technologique, cherche naturellement à s’imposer dans le vaste marché du jeu vidéo dont les joueurs ont toujours plus soif d’innovation et de concepts plus divertissants.
Cependant, la frontière de l’amusement a été franchie par un recensement d’agressions que certaines femmes ont eu le malheur d’expérimenter en s’essayant à la réalité virtuelle.
En effet, un témoignage récent d’une américaine a notamment fait beaucoup de vagues sur les réseaux sociaux.
Alors qu’elle s’était laissée tenter par une partie en mode multi-joueurs du jeu de Zombies QuiVR avec un casque de réalité virtuelle HTC Vive, cette utilisatrice, émerveillée dans un premier temps par la technologie en question, a vite déchanté puisque son avatar a dû se défendre, non pas contre un zombie, mais bien contre un autre utilisateur en ligne.
Semblable aux autres par un casque, des mains gantées et un arc, la gameuse a été trahie par sa voix indiquant son sexe.
Le joueur aux côtés duquel elle se battait s’est alors tourné vers elle pour frotter virtuellement sa poitrine. Malgré ses injonctions d’arrêter, une course-poursuite s’est mise en place entre les deux joueurs à l’issue de laquelle l’homme a frotté l’entrejambe virtuel de la jeune femme, la forçant à mettre un terme brusquement à l’expérience, d’autant plus choquante par la violence de la scène due à la technologie de la réalité virtuelle.
Relayée sur la toile, cette expérience a suscité de vives réactions partagées : tandis que certains ont pris la défense de la joueuse, condamnant sévèrement le comportement du malotru, d’autres ont minimisé l’affaire, rejetant en bloc la qualification « d’agression sexuelle », puisque survenue dans un monde virtuel, sans contact physique.
Cette mésaventure n’est pas isolée, puisque d’autres femmes ont été confrontées à ce genre d’attitudes déplacées, parfois même accompagnées d’insultes ou remarques sexistes bien senties.
Alors que dans le monde réel, une agression sexuelle est un acte sévèrement incriminé, ce cas pose problème et soulève des interrogations : peut-on condamner un « attouchement virtuel » et appliquer des sanctions pénales ?
La réalité virtuelle constitue-t-elle une zone de non-droit puisque située dans une sorte de monde parallèle ?
Le droit pénal français prévoit en son article 222-27 que « les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende »
Il convient dans un premier temps de s’attarder sur la raison selon laquelle certains joueurs se permettent d’adopter un tel comportement, avant de s’interroger sur la possibilité de sanctionner ces actes.
La banalisation du sexe dans les jeux-vidéos
Le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL) estime que 53% des français âgés de 10 à 65 ans sont des joueurs réguliers, l’âge moyen se situant à 35 ans, dont 56% sont des hommes.
Indéniablement, le marché du jeu-vidéo est principalement tourné vers la gent masculine.
Les domaines les plus prisés sont les scénarios de guerre ou de mafia dans lesquels les joueurs sont invités à prendre les armes et à écraser quiconque se dresse sur leur passage aux commandes d’un bolide impressionnant, comme dans GTA.
Autre élément dont les gamers sont friands : la présence de jolies filles à la plastique généreuse et aux tenues suggestives (lorsqu’elles présentent assez de tissus pour être qualifiées ainsi), qui font office la plupart de temps de personnages secondaires, voire de décors tout simplement.
Ainsi, le jeu vidéo en réalité virtuelle, Dead or Alive Xtreme 3, propose le scénario suivant : séduire autant de jeunes filles que possibles, celles-ci présentant un physique plus qu’avantageux contenu dans de minuscules bikinis, le but ultime étant qu’elles se dénudent complètement.
Si la pertinence du synopsis reste discutable, la situation devient gênante lorsque le jeu donne la possibilité au joueur d’agresser sexuellement ces femmes qui peuplent l’île.
On parle bien d’agression, puisque ces dernières expriment leur refus, repoussent le joueur qui n’a de cesse de les voir sans leurs maillots de bain.
Pour l’heure, ce jeu vidéo n’est commercialisé qu’au Japon. Mais il est légitime de s’interroger sur la motivation des concepteurs, d’autant plus qu’en réalité virtuelle, le joueur a l’impression de vivre pleinement l’expérience, le risque étant donc de banaliser ce genre d’acte forcé et pas seulement dans un monde virtuel…
Rappelons que l’agression sexuelle est un acte pénalement puni.
En France, l’article 222-22 du code pénal désigne l’agression sexuelle comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.
Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime […] ».
L’article 222-22-1 du même code poursuit en ces termes « La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale […] ».
Au vu des textes de lois, on peut légitimement se pencher sérieusement sur les dérives engendrées par ces jeux vidéos destinés à la base au divertissement.
La preuve de l’agression sexuelle
Le mode multijoueur permet de jouer une partie en ligne avec des individus situés de par le monde, souvent avec l’usage d’un micro afin d’interagir entre eux et d’atteindre leur but.
Ces joueurs évoluent donc dans un environnement numérique crée de toutes pièces qui, à présent, atteint une autre dimension grâce à la réalité virtuelle, afin d’immerger le plus possible le joueur dans le jeu et rendre le support toujours plus ludique, addictif et permettant au joueur de s’identifier encore plus au personnage qu’il incarne et de s’approprier ce monde parallèle.
Impossible de nier, ce monde virtuel n’existe pas, en dépit de certains graphismes conçus avec un réalisme à couper le souffle.
Ainsi, nous serions tentés de dire « ce qui se passe dans le monde virtuel, reste dans le monde virtuel » et la boucle serait bouclée.
Ce raisonnement trouve une assise plus sérieuse derrière certains propos qui soutiennent que le joueur n’a pas été forcé à participer à ce jeu, il a agi de son propre chef, donc il est le seul responsable de ce qui peut se passer lors d’une partie, d’autant que certains jeux vidéos indiquent une limite d’âge selon le scénario et le contenu sensible du jeu : violence, action, guerre, sexe, etc.
Le joueur importuné n’aurait donc qu’à quitter la partie et mettre ainsi un terme à ce qui aurait dû être un simple moment de divertissement.
Mais comme dans le monde réel où tout un chacun est censé avoir la liberté de se mouvoir sans être importuné, il devrait en être de même lors d’une partie de jeu en ligne.
Ce cas d’agression sexuelle virtuelle rejoint la thématique du harcèlement virtuel limité aux mots via e-mails ou chat jusqu’à présent. Et l’on reconnait volontiers les conséquences dévastatrices du cyber harcèlement et la nécessité de sanctionner les personnes nocives qui se cachent derrière leur écran.
Le problème en l’occurrence : la preuve du fait incriminé et la difficulté du fait qu’il ne s’agisse pas d’une attaque corporelle.
L’angle d’attaque résiderait donc dans le préjudice moral que suscite une telle agression, d’autant que la réalité virtuelle se piège toute seule puisqu’elle rend l’agression bien réelle et donc traumatisante pour la victime qui se sent impuissante, ne pouvant effectivement repousser l’agresseur.
A ce propos, l’article 222-22-2 précise que « constitue également une agression sexuelle le fait de contraindre une personne par la violence, la menace ou la surprise à subir une atteinte sexuelle de la part d’un tiers […] ».
Pour l’instant la jurisprudence est muette à ce propos mais sera certainement, et plus rapidement qu’elle ne le veuille, amenée à se pencher sur cette considération.
Avec la progression constante des innovations technologiques et des utilisations qui en sont faites, les délits actuels prennent une toute autre ampleur.
Ainsi, la Cour Suprême néerlandaise a reconnu le vol d’objets virtuels qu’a essuyé un jeune garçon sous la menace d’armes blanches des agresseurs, des camarades de classe en l’espèce, qui l’ont contraint à transférer ses « biens », via son compte Runescape.
Le droit canadien semble être plus à même de sanctionner ce genre de comportement puisqu’il prévoit « qu’une agression sexuelle est un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique […]».
La dimension virtuelle pourrait donc facilement être accueillie.
Les Etats-Unis possèdent la notion de « Intentional Infliction of Emotional Distress » (IIED) qui permet de poursuivre le responsable ayant provoqué chez la victime un état de grave détresse émotionnelle.
Vu le bouleversement que peut provoquer ce genre de mésaventure virtuelle, cette disposition serait tout à faire propice à défendre une victime.
En attendant une précision du prétoire ou du législateur à ce propos, la solution de recours actuelle consiste à s’adresser vers les développeurs de jeux.
Dans un premier temps, il s’agirait de savoir si toutes les parties en lignes sont consignées et si elles peuvent être visionnées afin de prouver l’acte litigieux.
En cas d’affirmative, il faudrait que la séquence puisse être considérée comme un élément de preuve recevable. Après tout, jusqu’il y a encore quelques années, le contenu d’un e-mail n’était pas considéré comme tel, preuve de l’adaptation du droit à son environnement numérique.
Enfin, la question de l’identification de l’utilisateur ne poserait pas de soucis puisqu’identifiable par son pseudo de joueur. Mais là encore l’argument selon lequel il s’agit d’un élément d’ordre privé, utilisé dans le cadre d’activités personnelles pourrait être avancé.
Temporairement, les développeurs pourraient trouver des solutions en interne en mettant au point une « Charte du joueur en ligne », par laquelle il s’engagerait à adopter un comportement respectable et respectueux envers les autres utilisateurs, sous peine de voir son compte supprimé par exemple.
Suite à la mauvaise rencontre de la victime américaine, les responsables du jeu QuiVR ont mis au point une nouvelle fonction « le geste de pouvoir », permettant au joueur de créer une bulle de protection autour de lui s’il se sent menacé, non pas par un zombie ou une créature maléfique, mais par un autre utilisateur, bien humain.
A se demander, qui est le plus dangereux …
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