La publicité, omniprésente dans le paysage environnemental, audiovisuel et numérique, fait l’objet d’un désamour, autant que d’une fascination. Si certaines campagnes publicitaires forcent l’admiration en raison de la créativité déployée dans leur réalisation, le fait que la réclame s’impose de plus en plus aux individus, notamment dans la sphère numérique, soulève des questions qui témoignent de l’importance, toujours d’actualité, des régulateurs.
La régulation : quête d’équilibre entre créativité et responsabilité
Rendre public, c’est à cela que la publicité réfère étymologiquement. Des inscriptions sur les amphores de l’Antiquité aux crieurs du Moyen-Âge, la transmission de l’information au public a pris différentes formes au fil des siècles. Un tournant a eu lieu avec l’invention de l’imprimerie au XVème siècle. C’est aux prémices de la presse, alors que les premiers journaux s’appellent des Gazettes (la plus célèbre étant celle de Théophraste Renaudot – 1631) que les petites annonces apparaissent. C’est ensuite en 1842 que la première agence de publicité ouvre à Philadelphie, il s’agit essentiellement d’un bureau de vente d’espaces publicitaires dans les journaux commercialisés par l’agence. Charles HAVAS, dont le bureau avait été créé en 1832, étend son activité d’agence d’information au commerce d’annonces vingt ans plus tard.
Cette rapide empreinte historique a pavé le chemin d’une publicité moderne qui naît véritablement à la seconde moitié du 20ème siècle. A l’issue de la seconde guerre mondiale, la France entre dans une ère de modernisation et de croissance économique. Les Trente Glorieuses sont le point de départ de l’essor de la société de consommation. A partir des années 1960, la publicité devient un élément essentiel pour les entreprises et leur stratégie de vente. La surproduction entrainée par la révolution industrielle engendre une nécessité d’écouler des stocks importants, ce qui s’est traduit par une mutation des méthodes publicitaires. La publicité moderne se définit comme l’activité ayant pour but de faire connaître une marque, d’inciter le public à acheter un produit, à utiliser tel service. Plus largement, c’est l’ensemble des moyens et techniques employés à cet effet. Une palette de techniques a été développée dans le but de promouvoir et vendre un produit, mêlant argument objectifs et séduction du consommateur. Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP, indique dans son ouvrage Le siècle de la publicité que « Le professionnel de la publicité ne se contente pas de véhiculer l’information, il lui incombe une obligation de résultat : il doit impérativement convaincre le récepteur de cette information. Ainsi, la publicité illustre bien la différence entre l’information et la communication. L’essentiel n’est pas le message mais la relation. » De la volonté de convaincre à l’art de persuader en se jouant des réalités, il s’est avéré nécessaire d’imposer une régulation.
La régulation de la publicité s’est ainsi développée au 20ème siècle. L’autorégulation publicitaire émerge dans les années 30 pour lutter contre la publicité mensongère avec la création de l’Office de contrôle des annonces (OCA) en 1935. En 1953, l’OCA cède la place au BVP (Bureau de vérification de la publicité). La loyauté et la vérité dans la publicité sont des principes qui ont été affirmés de façon autonome par les acteurs économiques. La loi du 2 juillet 1963, créant le délit de publicité trompeuse, est un premier exemple de régulation par l’Etat. Elle a été étendue par la loi Royer de décembre 1973, qui se trouve désormais codifiée à l’article L.121-1 du code de la consommation. En raison de l’arrivée de la publicité à la télévision en 1968 et des perspectives nouvelles offertes à l’industrie publicitaire, l’organisation de l’autorégulation évolue et le BVP adopte de nouveaux statuts le 19 novembre 1970. Il se donne alors pour mission « de mener une action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine dans l’intérêt des professionnels de la publicité, des consommateurs et du public ». Cet objectif va donner lieu à l’établissement de Recommandations déontologiques posant les limites du discours publicitaire, en concertation avec les acteurs de la branche. C’est assez récemment, en 2008, que le BVP a cédé la place à l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), avec a création de nouvelles instances: le Conseil paritaire de la publicité (CPP) et le Jury de déontologie publicitaire (JDP).
La difficulté que pose la régulation de la publicité est de trouver un équilibre entre la liberté de création (car la publicité moderne est un domaine où la créativité joue un rôle prépondérant), et la nécessité de responsabiliser les publicitaires (car la publicité se démarque par son omniprésence). En effet, il semble difficile de passer à côté, qu’elle se trouve dans la ville, les transports, les foyers, sur les emballages, dans les journaux. Cette présence fait depuis longtemps l’objet de contestations : en 1992 était créée l’association française « Résistance à l’agression publicitaire » dont l’objectif est de lutter contre les effets négatifs de la publicité au niveau national. Encore aujourd’hui cela suscite des réflexions nouvelles puisque de nombreux auteurs dénoncent la confiscation du temps de cerveau disponible. C’est le cas de Matthew B. Crawford qui écrivait le livre Contact : pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver en 2016 arguant que l’attention devrait être reconnue comme ressource collective à protéger au même titre que l’eau ou l’air. Le débat s’est récemment ravivé en raison de l’adoption du Décret n° 2017-1743 du 22 décembre 2017 portant expérimentation de marquages sur les trottoirs à des fins publicitaires, l’Etat accorde des dérogations à certaines règles du code de la route et du code de l’environnement pour permettre l’expérimentation de marquages sur les trottoirs à des fins publicitaires. Alors que les villes de Nantes et de Bordeaux se sont dites opposées à ce que de telles formes de publicité s’imposent dans leurs villes, des expérimentations ont déjà eu lieu, notamment à Paris pendant la promotion du film d’horreur « ça » : des pochoirs et des ballons rouges accrochés au sol pouvaient alors être rencontrés dans les rues de la capitale.
Les régulateurs face aux nouveaux modèles d’affaires numériques
Le développement de la sphère numérique a évidemment créé de la place pour un nouveau terrain de jeu publicitaire. La publicité en ligne a donné naissance à un véritable modèle d’affaires : l’AVOD (Advertising Video On Demand) gagne en ampleur avec le développement des réseaux sociaux et des plateformes numériques de vidéos. A l’inverse de la SVOD (Subscribtion Video On Demand) dont les revenus sont issus des abonnements, ceux des plateformes AVOD sont basés sur la vente d’espaces publicitaires. Les GAFA sont aux premières loges de ce modèle : Google domine le marché grâce à Youtube, et un nouveau concurrent s’est présenté en août dernier, lorsque Facebook a lancé son offre Watch (qui n’est pas encore disponible en France). SnapChat Discover propose également aux médias de diffuser des contenus sur un espace attitré, vidéos ponctuées de « Snap Ads ». Ces publicités permettent de générer des revenus importants car l’audience est au rendez-vous : 10 millions de personnes par mois accèdent à Discover et 71% des utilisateurs de SnapChat ont moins de 25 ans, cible privilégiée des annonceurs. La publicité sur internet permet donc de faire vivre des plateformes qui, par conséquent, sont gratuites pour les utilisateurs. Finalement, ces derniers payent en acceptant d’être sollicités par les marques et de consacrer du temps au visionnage des vidéos qui leur sont souvent imposées pendant quelques secondes avant de pouvoir les ignorer.
Au-delà de cet aspect, ce modèle a aussi permis de créer des professions et de développer l’offre vidéo délinéarisée. En effet, les créateurs de contenus sur ces plateformes ont pu, par le biais de la monétisation des vidéos qu’ils créent, en faire leur métier au-delà d’un hobby. C’est le cas des Youtubeurs mais aussi, plus largement, des influenceurs. Grâce à l’audience qu’ils génèrent, les marques ont tout intérêt à solliciter les influenceurs pour que leurs produits apparaissent dans leurs vidéos, mais aussi sur leurs réseaux (comme Instagram). Ces recommandations permettent de cibler des publics particuliers qui ont généralement confiance dans les propos et avis tenus par les influenceurs qu’ils suivent. Ces collaborations n’étaient pas initialement règlementées, les influenceurs pouvaient faire la promotion de produits sans que le spectateur ne se doute que la marque l’avait rémunéré pour tenir ces propos. C’est pourquoi, dans un souci de transparence, il a fallu réguler cette pratique. L’ARPP définit un influenceur (ou blogueur, vlogueur…) comme étant un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, par écrit, audio et/ou visuel, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie. Un influenceur peut agir dans un cadre purement éditorial ou en collaboration avec une marque pour la publication de contenus (placement de produits, participation à la production d’un contenu, diffusion d’un contenu publicitaire, etc.). Dans le cadre des travaux consacrés à la Revue de Direction de l’ensemble des règles d’éthique, publiés lors de l’Assemblée générale du 7 juin 2017, le Conseil d’administration de l’ARPP a ajouté à la grille de lecture de la Recommandation Communication Publicitaire Digitale, des éléments consacrés à la communication des influenceurs lorsqu’elle fait l’objet de collaboration avec une marque. Lorsque l’influenceur agit et publie du contenu en collaboration avec une marque, il doit alors le mentionner explicitement. « Lorsque le caractère publicitaire de la prise de parole de l’influenceur est établi, l’ensemble des dispositions déontologiques de l’ARPP ont, en outre, vocation à s’appliquer ». Ces dispositions permettent aux spectateurs, notamment au jeune public, d’être éclairés sur les avis rendus et de savoir lorsqu’ils sont motivés par une rémunération ou par une volonté non intéressée de l’influenceur.
Par ailleurs, les marques ont également recours aux réseaux afin de réaliser des campagnes promotionnelles avec davantage de liberté, notamment au regard de la contrainte d’espace et de temps qu’impliquent les médias traditionnels. Elles créent par exemple des mini-fictions en vidéo, voire des courts métrages, qui ont vocation à être essentiellement diffusés dans leur intégralité en ligne. Ces créations sont souvent très élaborées, les marques de prêt-à-porter y ont recourt, c’est le cas d’H&M qui avait engagé Wes Anderson pour réaliser une de ses campagnes publicitaires. Audi a également dévoilé deux petits films d’animation diffusés sur internet. D’autres formes de promotion repoussent les limites et peuvent poser davantage question : c’est le cas de la vidéo en ASMR produite par Ikea. L’entreprise de meubles suédois s’est approprié les codes de ce genre pour créer une vidéo faisant la promotion de ses produits. L’ASMR, de l’anglais Autonomous Sensory Meridian Response, est une méthode de relaxation basée sur les sons et s’apparente en certains points à de l’hypnose.
La publicité moderne a vocation à s’encrer sur le terrain numérique et à se distancer de ce qu’elle était depuis la deuxième moitié du 20ème siècle. Les nouveaux usages et l’essor des modèles d’affaires basés sur la publicité en ligne témoignent du rôle essentiel que les régulateurs ont encore à jouer.
- « L’ASMR et les marques : enquête sur les nouveaux territoires de l’hypnose numérique », 20 novembre 2017, Numerama <http://www.numerama.com/tech/305261-lasmr-et-les-marques-enquete-sur-les-nouveaux-territoires-de-lhypnose-numerique.html?#038;utm_source=rss&>
- Stéphane Martin, « Le siècle de la publicité », Hermès, La Revue 2014/3 (n° 70), p. 102-105.
- Site internet de l’ARPP <https://www.arpp.org/qui-sommes-nous/historique/>