« Je ne comprends pas l’importance de la cigarette dans le cinéma français ».
Une simple phrase de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a mis le feu aux poudres le jeudi 16 novembre 2017. La possible interdiction sous entendue de la cigarette dans les films français parait improbable cependant, elle pourrait voir le jour et impacter considérablement l’industrie cinématographique française, tant d’un point de vue culturel qu’économique.
Au nom de la liberté de création et de la diversité culturelle, on voit dans le paysage cinématographique français, des films de tous genres mettant en scène de multiples situations parfois inspirées de la vie de tous les jours. On ne peut ignorer que le tabac et la cigarette font partie de la vie des gens, que l’on soit fumeur ou non d’où sa représentation dans des films tels que Les Tontons Flingueurs de Georges Lautner ou encore plus récemment, LOL de Lisa Azuleos. Sa remise en question dans le paysage cinématographique français fait bondir la profession qui crie au boycott de leur liberté de création.
Tabac et politique, le désamour
Depuis plusieurs années maintenant, les politiques, qu’elles soient de droite ou de gauche, régulent l’industrie du tabac et mettent en place des mesures pour réduire la consommation de tabac des français. On estime aujourd’hui que 34,5% des 15-75 ans en consomment. Ce chiffre est élevé est reste constant depuis 2005, ce qui inquiète les professionnels de la santé.
L’objectif de la politique en matière de tabagisme est principalement d’interdire toute incitation à la consommation et de prévenir des risques du tabagisme sur la santé. Dans cette logique, on peut citer la loi Veil du 9 juillet 1976 et la loi Evin du 10 janvier 1991 qui viennent interdire la publicité en matière de tabac. La loi Evin favorise également la hausse des prix des cigarettes, prix qui devrait passer à 10 euros d’ici 2020.
On trouve en parallèle les campagnes dites « positives » de lutte contre le tabagisme. Ces campagnes s’expriment via des spots télévisés et radiodiffusés mais aussi des actions telles que le mois sans tabac qui a eu lieu en novembre dernier et qui propose aux fumeurs de stopper leur consommation pendant un mois, ou encore la mise en place d’un numéro d’aide à l’arrêt de la consommation.
On remarque que la règlementation est dense et extrêmement contraignante dans un objectif constant de faire baisser le tabagisme en France avec, in fine, la volonté d’éradiquer complètement la consommation du tabac chez les français notamment chez les plus jeunes.
C’est dans ce contexte d’hyper règlementation que la ministre de la santé actuelle a lâché une petite bombe qui a fait grand bruit dans le monde de l’audiovisuel, quand bien même une éventuelle interdiction n’a explicitement pas été mentionnée.
La cigarette, accessoire esthétique de choix
Tabac et cinéma sont très liés. Beaucoup considère la cigarette comme un accessoire esthétique indispensable. En effet, dans certains films comme le film LOL précédemment cité, la cigarette est fumée par des jeunes à la sortie du lycée et par des parents qui condamnent ardument le tabagisme de leurs enfants mais qui en consomment en parallèle. Cette représentation du tabac donne ici un sens au film et aux liens qui unissent l’adolescente à sa mère. C’est une représentation de la vie de tous les jours, sans tabou.
Si on prend l’exemple du film Les heures sombres mettant en scène Churchill ou encore les films sur la vie de Gainsbourg, on ne peut pas les imaginer sans cigarette puisque ces deux illustres personnages sont connus, pour le premier, un cigare à la bouche et pour le second, une cigarette en main. Dans ces cas-ci, le tabac est un accessoire reflétant l’histoire, la personnalité de célébrités. Les représenter sans serait sans nul doute moins intéressant et percutant pour les réalisateurs souhaitant mettre en scène une vie, une époque, une histoire. Adrien Gombeaud, auteur de « Tabac et cinéma, Histoire d’un mythe », explique que la cigarette est également la représentation de l’élégance et de la sensualité comme peut le constater le spectateur qui regarde Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé, de Blake Edwards.
Une possible interdiction absurde ?
C’est en tous cas ce que les cinéphiles et professionnels du monde cinématographique pensent. La sénatrice Nadine Grelet-Certenais, dont les propos ont été favorablement accueillis par la ministre de la santé, considère que le cinéma « participe peu ou prou à banaliser l’usage [du tabac], si ce n’est à le promouvoir, auprès des enfants et des adolescents, qui sont les premiers consommateurs de séries et de films, sur Internet notamment. »
Comme le font remarquer certains professionnels, l’interdiction de la cigarette à l’écran pourrait conduire à d’autres interdictions toutes aussi absurdes telles que l’interdiction de la drogue, l’interdiction des infractions au code de la route, l’interdiction d’armes à feu, l’interdiction de la vulgarité … Certes, il ne faut pas aller dans l’excès mais interdire la cigarette dans le cinéma pourrait fortement impacter les genres cinématographiques en France et avoir des conséquences sur l’économie.
En effet, il faut noter que la concurrence cinématographique américaine est toujours plus importante et qu’elle ne souffre pas d’une telle interdiction. Si une telle mesure est appliquée en France, on a vu que le cinéma, parfois reflet de la réalité, serait dénaturé et pourrait, dans certains cas, présenter un intérêt moindre pour le spectateur qui de ce fait, pourrait bouder les productions françaises au profit des productions américaines souffrant de moins de contraintes dans la réalisation.
Par conséquent, qu’adviendrait-il des films américains diffusés en France tels que Requiem for a Dream qui met en scène, dans une extrême violence, drogues et tabac ? Ou des westerns où les cowboys fument quasiment tous ? Seront-ils interdits à la diffusion ? La cigarette sera-t-elle floutée comme dans les émissions de téléréalité ? Comment articuler cette interdiction avec le droit d’auteur ?
Qu’adviendrait-il également des anciens films français ? Seront-ils eux aussi interdits à la diffusion ?
Tant de questions et si peu de réponses mis à part un tweet de la ministre de la santé qui précise n’avoir « jamais envisagé ni évoqué l’interdiction de la cigarette au cinéma ni dans aucune autre œuvre artistique ». Il est vrai que cette interdiction n’a jamais été explicitement évoquée mais elle a bien été sous-entendue d’où une réaction négative quasie unanime et possiblement justifiée des professionnels du monde du cinéma.
Bientôt la fin de la cigarette à l’écran ? Le débat reste ouvert et promet d’être virulent.
Sources :
LAUWEREYS (Z) et HIGASHIYAMA (T), ” Tabac et films : que seraient ces scènes cultes sans cigarettes ?”, leparisien.fr, mis en ligne le 21 novmebre 2017, consulté le 13 décembre 2017, http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tabac-et-films-que-seraient-ces-scenes-cultes-sans-cigarettes-21-11-2017-7406925.php
CHAPON (B), “Interdire la cigarette à l’écran ? L’idée de la ministre de la Santé fait tousser de rire le milieu”, 20minutes.fr, mis en ligne le 18 novembre 2017, consulté le 13 démarre 2017, http://www.20minutes.fr/culture/2171555-20171118-interdire-cigarette-ecran-idee-ministre-sante-fait-tousser-rire-milieu