Le « Revenge porn » est une pratique qui consiste en la publication de clichés ou vidéos sexualisés d’une personne à son insu. Il peut s’agir de photomontages, d’images prises sans le consentement de la victime ou de clichés échangés volontairement dans l’intimité du couple. Les contenus sont souvent publiés à la suite d’une rupture, d’où la notion de revanche. Même si les faits ont été avérés dans de nombreux cas en France, les juges n’ont pas toujours condamné les auteurs par interprétation stricte de la loi pénale. La loi pour une République numérique est venue moderniser les textes avec de nouvelles dispositions visant à dissuader les éventuels auteurs de tels actes de publication. Malheureusement les contenus en eux-mêmes sont difficiles à faire retirer du WEB. Certains réseaux sociaux comme Facebook tentent alors d’empêcher la réalisation de telles infractions via un balayage des contenus avant leur diffusion en ligne.
Naissance d’un phénomène ravageur chez les jeunes
Le phénomène de « revenge porn » a pris beaucoup d’ampleur ces dernières années. Cela s’explique entre autres par des conditions de captation simplifiées, avec des smartphones systématiquement dotés d’appareils photo, et la facilité de publier des contenus via des réseaux sociaux largement répandus. Les affaires récentes qui ont touché des célébrités comme Laure Manaudou, Mischa Barton, Blac Chyna ou encore Emma Watson ont largement popularisé ce phénomène auprès des jeunes.
Il y a souvent, pour celui qui publie, un sentiment d’appartenance et d’appropriation du corps de la victime, expliquant la « vengeance immédiate ». Derrière ce comportement fou et impulsif l’auteur manque souvent de recul et ne mesure pas les graves conséquences d’une telle divulgation au public. Les répercutions vont bien au-delà de l’e-réputation avec des souffrances réelles comme l’autarcie, la perte de considération de soi-même, le déclin de la notoriété, le décrochage scolaire, la dépression etc.
L’internet est un chamboule tout social dont l’apparition s’est vite accompagnée d’atteintes graves à la vie privée et à l’intimité des personnes. Les réseaux sociaux sont parfois détournés de leur usage premier et utilisés comme des armes de propagation de rage, de haine ou de violence. Selon le psychologue Bernard Duez, le « revenge porn » est la « diffraction » de l’intimité des victimes dans une foule. Il estime par ailleurs que les adolescents, premiers utilisateurs de ces outils, sont les plus touchés. Ainsi, selon les récentes estimations de l’association anglaise Childnet, 1 adolescent sur 2 de la tranche 13 à 17 ans aurait été confronté directement ou indirectement au « revenge porn », tandis qu’au moins 8 % avoueraient avoir déjà eu recours à cette pratique dans un cercle restreint d’ami ou plus largement. Selon Hannah Broadbent, chercheuse en développement cognitif et cérébral, ce phénomène se serait amplifié avec la démocratisation d’applications de partage comme WhatsAPP et Instagram. Les adolescents, bien qu’étant des personnes responsables selon le législateur, ne mesurent certainement pas la portée et la gravité de tels agissements. La psychologue Michelle Boiron n’hésite pas à parler de « viol d’une intimité dévoilée sans consentement ».
Une telle humiliation explique que parfois les victimes exposées, moquées ou montrées du doigt puissent commettre l’irréparable. En mars 2016, Juliette, une adolescente de 15 ans, s’est jetée sous un train alors qu’elle était victime de harcèlement sur les réseaux sociaux. Cet acharnement faisait suite à la divulgation de clichés intimes pris par son ex-petit copain. L’affaire avait relancé le débat concernant l’âge minimum légal pour accéder aux réseaux sociaux.
Ces faits divers dramatiques font évoluer — non sans heurt — la conscience collective. Au Brésil, une adolescente de 17 ans, Julia Rebecca, avait annoncé son suicide sur Tweeter dans une affaire similaire de vengeance pornographique. Ce cas a suscité l’indignation dans le pays et le parlement a présenté rapidement un projet de loi rendant cette pratique illégale.
D’autres victimes se sont battues pour donner un cadre légal suffisant au « revenge porn ». Chrissy Chambers avait fait le buzz en 2015 avec sa vidéo « I’m A Victim Of Revenge Porn ». Elle a d’ailleurs rejoint le mouvement « End revenge porn», initié par l’activiste Holly Jacobs. Cette pétition visait à « criminaliser » ce fléau numérique par une nouvelle loi fédérale américaine. Le gouverneur californien Jerry Brown avait, dès 2013, pris la mesure du problème en promulguant rapidement une « loi anti-revenge porn ». De nombreux autres États américains ont fini par légiférer sur le sujet.
Concernant la France, avant 2016, l’arsenal juridique permettait de réprimer ce type de comportement, mais non sans difficulté.
Une lente révision législative impulsée par la Cour de cassation
De nombreuses associations ont fait pression auprès Axelle Lemaire, alors secrétaire d’Etat en charge du numérique, et auprès Catherine Coutelle, députée de la Vienne et présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, pour donner une nouvelle base légale au « revenge porn ».
Les responsables de ces publications ne tombaient pas toujours sous le couperet de la justice. Pourquoi ? L’argument souvent soutenu étant que ces captures de la vie intime du couple ont été faites généralement lorsque la relation sentimentale était au beau fixe, suggérant souvent un consentement mutuel des 2 protagonistes. Le fait alors de publier ces images, lorsqu’il y a dégradation ou cessation du concubinage, ne constituait pas une infraction. Cette solution a parfois été plus ou moins retenue par les juges. Ainsi l’auteur de la publication d’une vidéo intime de son ex-partenaire a été relaxé le 6 juin 2013 faute de pouvoir caractériser suffisamment un abus de confiance. Il y avait en fait un problème de qualification de l’infraction et du préjudice subi, même si les faits étaient reconnus.
Avant 2016, le juge se trouvait-il démuni finalement comme à l’époque du délit de filouterie où l’on arguait systématiquement que « nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi » (article 111-3 CP) ? Ne pouvait-il pas raisonner par analogie ? Hélas ou heureusement, en matière pénale, les textes sont d’interprétation stricte (article 111-4 CP).
Cependant on pouvait rapprocher ce type d’infraction de celle d’atteinte volontaire à l’intimité d’autrui visée par l’article 226-1 CP (punissable d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende). Les disposition de cet article semblent pourtant assez restrictives en ce qu’elles nécessitent une captation dans un lieu privé et une opposition ferme de la victime à la diffusion, sans quoi son consentement serait alors présumé. L’atteinte à la vie privée de la victime n’était alors pas toujours caractérisée au sens de la loi pénale. Devait-on alors s’en remettre à l’article 9 du Code civil, concernant les atteintes à l’intimité de la vie privée, qui ne fait lui aucune mention de telles conditions restrictives ? Les moyens d’action sont divers selon la qualification de l’atteinte. Il serait également possible d’invoquer la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, concernant les violences psychologiques. Et en cas de répétition, selon l’avocate Christiane Féral-Schul, il est également possible pour la victime d’attaquer l’auteur sur le fondement du harcèlement sexuel (article 222-33 du Code pénal).
Il faudra attendre Avril 2014 pour voir une des premières condamnations françaises pour des faits de « revenge porn » sur le fondement de l’article 226-1 CP. On se rendra compte finalement que les juges traitent au cas par cas sur cette question. Quoi qu’il en soit cette sanction sera l’une des plus lourdes rendues jusqu’à présent pour de tels faits (1 an avec sursis et 5000 euros d’amende), avec le constat que les choses bougent petit à petit.
Un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 mars 2016 mettra en lumière les carences de la loi en matière de « revenge porn », notamment sur la notion du consentement, entrainant par là même la nécessité de créer une nouvelle base légale. Pour lutter contre l’évolution de ce phénomène, notamment chez les jeunes, le législateur va songer à alourdir la peine pour un effet dissuasif.
La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a donc ajouté un nouvel article 226-2-1 dans le Code pénal pour créer une sanction aggravée (jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende). Cet article ne fait plus de distinction entre lieu privé et lieu public. Cette nouvelle disposition permet d’élargir considérablement le champ d’application de la loi, comme l’a démontré le jugement rendu, le 24 mars 2017, par le tribunal correctionnel de Versailles. La démarche reste cependant couteuse pour la victime s’il y a constatation par un huissier (200 à 400 euros) et relativement longue s’il y a dépôt de plainte à la gendarmerie, d’autant plus que le contenu litigieux doit rester en ligne durant toute la procédure administrative. Pour l’humoriste Verino, ce serait comme être forcé de rester en collocation avec un cambrioleur.
Concernant les mineurs, ils ont la possibilité d’invoquer une sorte de « droit à l’oubli » à travers une procédure accélérée auprès de la CNIL (Commission nationale l’informatique et des libertés). Ce « droit à l’oubli » est plutôt un droit de désindexation ou de déréférencement des moteurs de recherche.
« Droit à l’oubli » et limites de la protection des victimes
Le déréférencement n’est pas un droit véritable à l’oubli car il ne fait qu’empêcher l’accès à un contenu via des moteurs de recherche comme Google. On a pu voir récemment cette illustration en matière civile avec une ordonnance de référé du TGI de Paris du 12 mai 2017. Les contenus en eux-mêmes demeurent toujours, même s’il existe des moyens de faire pression sur les sites pour supprimer directement certains contenus portant atteinte à la vie privée des personnes. Mais ce n’est pas toujours chose aisée comme l’a démontré le celebgate concernant des stars américaines comme Jennifer Lawrence, Hayden Panettiere, Hilary Duff ou Avril Lavigne. Le problème étant que les publications peuvent toujours être consultées par des moyens détournés, comme l’utilisation de mots clefs non desindexés, l’accès via d’autres moteurs de recherches, le darkweb etc. Il est d’autant plus difficile de « brider » l’accès au contenu lorsque celui-ci est disponible depuis un long moment et largement partagé. Réfréner la circulation de telles données parait quasiment impossible.
C’est le triste constat de l’affaire Tiziana Cantone, une jeune italienne qui s’était rendue compte trop tardivement de la divulgation de son image sur le net. En l’espace de quelques mois sa vidéo a ainsi été visionnée plus d’1 million de fois et partagée sur des dizaines de sites pornographiques. Son préjudice moral est considérable. Antonio Soro, un universitaire italien, dira à ce juste titre : « Le droit à l’oubli existe mais il ne suffit pas toujours à éliminer les conséquences provoquées par une diffusion virale ».
Tiziana Cantone s’était battue pendant des mois pour faire retirer toute trace de sa vidéo. Elle a subi l’humiliation de son entourage ce qui l’a poussé à démissionner et à déménager. Malheureusement le buzz va prendre une telle ampleur que des internautes vont estampiller des produits dérivés à son effigie. Tiziana finira par ne plus sortir de chez elle par peur d’être reconnue dans la rue et mettra fin à ses jours par pendaison.
Même s’il y a reconnaissance du préjudice au moment du procès et condamnation des auteurs, la machine internet peut prendre le relai et accroitre les dommages causés à la victime, de sorte que de droit à l’oubli, il n’y en ait pas réellement tant que les contenus incriminés eux-mêmes seront toujours en circulation et accessibles même après déréférencement. En réponse à ce fléau, Facebook espère pouvoir attaquer le mal à la racine.
Le combat de Facebook contre la nudité et le « revenge porn »
La politique de Facebook concernant la représentation du corps humain n’est plus un secret pour personne. On se souvient de ces utilisateurs, qui partageant des scènes de nudité, même dans le cadre de campagnes de sensibilisation ou pour des raisons artistiques, ont fait l’objet de blocages. Ainsi Facebook a retiré, en 2011, une photo de l’oeuvre de Gustave Gourbet, L’origine du monde. En 2012, Facebook a également suspendu la page du magazine américain New Yorker suite à la publication d’une représentation graphique d’Adam et Eve. Plus récemment, le 28 août 2017, le réseau social avait supprimé unilatéralement une photo de Mireille Darc nue postée par Frédéric Beigbeder. Ce dernier s’est indigné d’une telle « censure inacceptable » dans un « pays de liberté, de tolérance, de modernité, de féminité, de sexualité ». Certains contenus ont également été mal interprétés par les équipes de modération de Facebook, ainsi la photo d’une mère de famille dans son bain a été supprimée car ses coudes ont été confondus avec sa poitrine.
Pour les dirigeants de Facebook ce contrôle est essentiel car le réseau social touche un public très large en terme d’âge et de culture. Le géant du net a donc décidé en mars 2015 de restreindre ses règles de publication dénommées « community standards ». Le but étant avant tout de pallier à tout type de dérive dans un « monde ouvert et connecté ». Cela a permis entre autres d’accélérer le retrait de contenus publiés sans le consentement des personnes visées. Google, Reddit et Twitter ont pris la même initiative en mettant à la disposition des internautes un formulaire de signalement.
Le dispositif de Facebook va pourtant être critiqué à la suite d’un scandale révélé par le journaliste Thomas Brennan en mars 2017. Il mettra au jour un groupe privé de militaires partageant des photos intimes de femmes soldats à leur insu. L’opinion publique dénoncera une « rape culture », littéralement une « culture du viol ». Comment une victime pourrait-elle signaler une publication inappropriée la concernant si celle-ci est partagée sur des groupes fermés ? Il y a bel et bien atteinte à la vie privée même si la victime n’en a pas connaissance. Cette histoire prendra une telle ampleur que Facebook va repenser son mode de fonctionnement bien au-delà des « community standards », qui visent avant tout à informer les utilisateurs des bonnes pratiques. Selon une étude récente, 53 % des cas de « revenge porn » recensés auraient lieu sur la plateforme Facebook, on comprend donc la nécessité de mettre en place rapidement un système permettant de pallier ce problème.
Depuis novembre 2017, Facebook expérimente en Australie un nouvel outil de prévention du « revenge porn ». Si une personne estime qu’il y a un risque qu’une photo intime d’elle ne soit diffusée sur le site ou sur Instagram, elle a la possibilité de la signaler à la Commission de sécurité informatique australienne (eSafety Commissioner). Elle devra ensuite l’envoyer à Facebook pour qu’elle soit analysée et stockée dans une base de données. Les algorithmes réaliseront alors une empreinte numérique permettant de reconnaitre instantanément le cliché en cas de tentative de publication par un tiers. Antigone Davis, chef de la sécurité chez Facebook, s’est félicité d’une telle avancée technologique.
On peut tout de même se demander ce que vont devenir ces images. Qui y a accès ? Sont-elles suffisamment protégées ? N’y a-t-il pas le risque d’une fuite de données ? Que se passerait-t-il si l’image de référence venait à être modifiée avant une tentative de publication en ligne ? Y-a-t-il un suivi ?
Selon le Daily Beast et le Guardian, un groupe restreint d’individus serait en charge d’analyser la nature compromettante des images. Les fichiers ne sont stockés que temporairement et « floutés ». Ensuite, l’empreinte numérique ne permettrait pas d’extraire la photo de nu en brut. Il n’y aurait apparemment pas de retransmission en pixel, l’analyse par l’intelligence artificielle n’étant pas un simple scan ou une photocopie, mais une traduction de l’image par un chiffrement crypté. Donc aucun gros fichier central ne va répertorier les photos de nus. De plus selon un employé de Facebook, Alex Stamos, l’algorithme serait capable de reconnaitre la photographie même si elle est transformée ou rognée. De quoi rassurer tous les futurs volontaires.
Par cette « initiative salutaire », Facebook compte avant tout protéger les victimes, mais leur intervention active absorbe-t-elle la culpabilité des éventuels auteurs ? Quelle est la position de la Commission de sécurité informatique australienne ? Compte-t-elle poursuivre les tentatives échouées de publication en ligne ? Il ne faut pas oublier que, même si les algorithmes empêchent ce type d’infraction en amont, le comportement coupable de la personne qui souhaitait diffuser un tel contenu demeure. Même si on a pu empêcher l’infraction par un contrôle a priori, cela n’enlève pas le caractère illégal. L’auteur avait bel et bien l’intention de commettre un tel acte répréhensible, il n’a simplement pas eu la possibilité technique de le faire. Il n’y a pas de désistement volontaire, puisqu’un élément extérieur empêche la finalité. Il y a bien une tentative qui se traduit en une action coupable à la réalisation d’une infraction, mais qui n’accomplit pas l’intégralité de ses éléments constitutifs. L’action n’a pas produit le résultat exigé et pourtant il y a bien intention coupable de l’auteur.
Selon l’article 121-5 CP, la matérialisation du projet criminel est bien caractérisée en cas de commencement d’exécution, même si elle est suspendue ou si elle a manqué son effet en raison de circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur.
Facebook et eSafety Commissioner vont-il supprimer systématiquement les photos de nus sans prendre en compte la finalité de la publication du contenu, à savoir l’intention de l’auteur et son comportement fautif ?
SOURCES :
SIGNORET (P.), « Revenge porn: Facebook propose que vous lui envoyiez vos photos », lexpansion.lexpress.fr, publié le 7 novembre 2017, consulté le 15 décembre 2017,
AIGOUY (C.), « Le revenge porn ou la revanche du principe d’interprétation stricte de la loi pénale », Petites Affiches, 21 avril 2016, n° 80, p.13.
LE MAIGAT (P.), « Revenge porn et cyber-harcèlement. Schizophrénie ou déconnexion du juge pénal ? », Gazette du Palais, 19 avril 2016, n° 15, p.12.
DOROL (S.), « La preuve du revenge porn en matière civile : réflexes et réflexions », Gazette du Palais, 1er mars 2016, n° 09, p.26.
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CONSTANT (P.), « Yvelines : deux ans de prison pour avoir diffusé des photos de son ex nue sur Facebook », leparisien.fr, publié le 24 mars 2017, consulté le 15 décembre 2017,