Au mois de novembre 2017, le ministère de la justice a lancé un appel d’offre afin d’équiper chaque cellule de l’ensemble des établissements pénitentiaires français d’un téléphone fixe. L’objectif de cette démarche: lutter contre le trafic de téléphones portables en prison, maintenir les liens des détenus avec leur famille et enfin limiter les suicides dans le milieu carcéral.
Il existe aujourd’hui en France près de 187 000 établissements pénitentiaires. Les premières cellules devraient être équipées avant la fin de l’année 2018, et le projet devrait s’étendre sur 2 ans.
L’évolution des moyens de télécommunications dans le milieu carcérale
A l’origine, toute forme de communication téléphonique était interdite dans le milieu carcéral. Le prisonnier n’avait donc aucun contact avec le monde extérieur. Mais petit à petit la loi est venue assouplir le régime.
Par une loi du 5 mars 2007, sous la présidence de Jacques Chirac, il a d’abord été accordé aux détenus le droit de téléphoner aux membres de leurs familles ou à leurs proches une fois par mois.
Puis sous le mandat présidentiel de Nicolas Sarkosy, le régime s’est encore assoupli .L’article 39 de la loi pénitentiaire de 2009 est ainsi venue généraliser l’accès au téléphone dans les prisons. L’objectif était de pacifier les prisons en permettant aux détenus de maintenir des liens avec l’extérieur. C’est ainsi que près de 3000 cabines téléphoniques ont été installées dans les coursives et les cours de promenade des prisons.
Malgré tout l’utilisation des cabines téléphoniques reste strictement contrôlée. C’est un service payant réservé aux détenus disposant de revenus. Les détenus peuvent appeler des membres de leur famille ou d’autres personnes si cela s’avère utile à leur réinsertion. Toutefois le détenu doit obtenir l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire. Les établissements pénitentiaires dressent en général des listes de « numéros rouges », avec des numéros programmés pour rester inaccessibles depuis ces cabines.
Les conversations téléphoniques des détenus peuvent être écoutées ou enregistrées si l’administration pénitentiaire estime que cela est utile.
Mais les limites de ce système sont rapidement apparues. Plusieurs problèmes ont ainsi été soulignés. Alors que les téléphones avaient été insérés dans les prisons pour permettre au détenu de conserver des liens familiaux, il s’est avéré que les créneaux horaires délimités étaient souvent inadaptés à la préservation de ces liens. En effet, les temps d’appel dont disposaient les prisonniers étaient généralement incompatibles avec les horaires d’école de leurs enfants ou encore les horaires de travail de leurs proches. Donc le droit de « Toute personne au respect de sa vie privée et familiale » consacré par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’était pas effectif. Or le fait qu’une personne soit détenue n’altère en rien le respect de ses droits.
Parallèlement le fait que la famille ne puisse pas communiquer avec le détenu marquait également une limite dans le droit au respect de la vie privée et familiale des proches du détenu.
On s’est également rendu compte que la vie privée des détenus, consacrée par l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’homme était en péril, les cabines téléphoniques se situant dans des zones communes. Le détenu n’avait alors aucune intimité et pouvait parfaitement être écouté par un autre détenu.
Ce système a également trouvé ses limites dans la mesure ou toutes ces problématiques ont accru le trafic de téléphones portables dans les prisons, proliférant ainsi d’importantes sources de tensions dans les établissements pénitenciers. Ainsi, l’an dernier près de 33 520 mobiles ont été saisis dans les établissements pénitentiaires de France et ce chiffre est en constante évolution. Or cette pratique est absolument illégale.
L’installation de téléphones fixes dans chaque cellule en France
Face à ces failles, la garde des sceaux a décidé de lancer un appel d’offre en novembre 2017. D’ici 2020, chaque cellule se verra donc équiper d’un téléphone fixe « débridé et contrôlé ». Les détenus, hors ceux des quartiers disciplinaires et en semi liberté, disposeront d’un téléphone fixe dans leur cellule qu’ils pourront utiliser à toute heure de la journée. Toutefois le nombre de correspondant sera limité à 4, et les numéros de téléphones devront préalablement être vérifiés par la direction du centre pénitentier. Autre nouveauté, les détenus pourront également recevoir des appels 24 h sur 24.
Cet assouplissement vient pallier les différentes failles de la loi de 2009.
Le problème des horaires n’en sera plus un, en effet chaque détenu pourra téléphoner à toute heure de la journée. Cela renforcera ainsi son droit au maintien des liens familiaux, puisqu’ils aura plus de chance de pouvoir communiquer avec ses proches.
Concernant la violation de la vie privée des détenus, leur intimité sera davantage respectée. En effet, les téléphones ne se situeront plus dans des zones communes mais dans les cellules. Les co-détenus ne seront donc plus en mesure d’écouter les conversations téléphoniques.
De la même manière, le fait d’installer des lignes fixes dans les cellules, devrait permettre de diminuer les violences liées au trafic de téléphones portables dans le milieu carcéral. Les détenus n’auront plus de raisons d’avoir leurs téléphones personnels puisqu’ils auront beaucoup plus facilement accès au téléphone. La garde des sceaux souhaite dans la même optique, équiper les téléphones portables non pas de cartes sim, qui pourraient être volées. L’idée est que chaque détenu disposera d’un compte virtuel qu’il pourra créditer à sa guise.
Cela vient également s’inscrire dans la poursuite de nouveaux objectifs. Le ministère publique estime ainsi que ce chantier devrait permettre de lutter contre la solitude et donc contre les suicides en prisons. Le téléphone sera donc un véritable outil psychologique pour le détenu.
Cela participe également à la réinsertion du détenu. Une fois que ce dernier aura purgé sa peine, s’il est encadré en prison, qu’il garde un contact avec ses proches, il aura des repères et aura donc moins de chances de récidiver qu’un détenu livré à lui même. La criminologie considère que le maintien des liens familiaux apporte une certaine stabilité aux détenus, qui auront dès lors moins de chance de récidiver.
Enfin, ces installations devraient profiter au personnel pénitentiaire, qui ne devra plus accompagner et surveiller les prisonniers lors de leurs conversations téléphoniques. Par ailleurs, l’appel d’offre prévoit que le prestataire aura la charge des failles et problèmes techniques rencontrés.
En parallèle, le ministère public prévoit un chantier complémentaire pour acquérir de nouvelles technologies de brouillage mais aussi pour maintenir et remplacer près de 800 brouilleurs obsolètes dans les prisons françaises. Cela permettra d’affirmer l’utilité des téléphones fixes et de mettre un terme définitif à l’utilisation illégale des téléphones portables en prison.
En résumé, cette petite révolution consiste à élargir les plages horaires, améliorer la confidentialité des conversations, favoriser le droit au maintien des liens familiaux et à la vie privée et apaiser les tensions.
Ce projet semble déjà avoir porté ses fruits lors de l’expérimentation qui a été menée courant 2016 dans un établissement pénitentiaire de la Meuse. En effet la mise en place de téléphones fixes dans les cellules a permis une baisse de la saisie des téléphones portables, un meilleur contrôle de la part de l’établissement pénitentiaires ainsi qu’un apaisement des tensions.
Les syndicats en colère
Malgré tous les effets bénéfiques que pourraient apporter cette petite révolution, les syndicats pénitentiaires restent sceptiques et craignent un résultat désastreux.
Ils estiment que le fait d’installer des téléphones fixes dans chaque cellule ne permettra pas de limiter l’utilisation illégale des téléphones portables dans les prisons. En effet, les détenus qui continuent leur business à l’extérieur de la prison ne prendront certainement pas le risque d’utiliser des téléphones fournis par l’établissement pénitentier, sous peine d’être mis sur écoute. Ils relèvent notamment qu’au cours de l’expérimentation menée dans la prison de la Meuse, la majorité des détenus n’utilisaient pas leurs téléphones fixes, mais continuaient d’utiliser leurs téléphones portables personnels. Ainsi, les téléphones fixes ont été détournés afin de permettre le rechargement des téléphones portables ou on été détériorés pas les détenus. Les syndicats révèlent alors que ce projet est très couteux et pas nécessairement efficace. Avec leurs téléphones portables, les détenus conservent une certaine autonomie et peuvent téléphoner en étant sur de ne pas être sur écoute. Par ce biais ils échappent également à l’autorisation préalable du personnel pénitentier et au nombre limité de correspondants.
Ils estiment également que le chantier concernant le remplacement des brouilleurs obsolètes ne pourra jamais voir le jour puisque le coût est considérable dans un domaine ou les budgets sont particulièrement restreint. Aujourd’hui, on estime à 10% la quantité de brouilleur opérationnel. Or si ce chantier n’est pas mené, ils considèrent que le fait d’installer des lignes fixes dans les cellules des prisonniers ne permettra pas de mettre fin au trafic illégal de téléphones portables dans le milieu carcéral.
De plus sur l’argument d’un meilleur contrôle par les administrations pénitentiaires, les syndicats estiment la encore que tout cela n’est qu’illusion. En effet, le fait de permettre à chaque détenu de téléphoner 24 h sur 24 va multiplier le nombre de conversations téléphoniques. Or les administrations peinent déjà aujourd’hui à effectuer un contrôle efficace avec un nombre limité de téléphones qui ne peuvent être utilisés qu’à certains horaires. Ils estiment donc que la surveillance risque d’être beaucoup plus compliquée et donc le contrôle moins efficace.
Concernant l’allégement du travail pour le personnel pénitentiaire, alors que le ministère affirme que l’administration n’aura rien à débourser, ni à gérer, les syndicats restent cependant sceptiques. Le secrétaire général du SPN pénitentier affirme notamment que « le prestataire privé n’est pas le premier interlocuteur du détenu, c’est le surveillant et c’est lui qui devra gérer les pannes, les difficultés techniques, les dégradations, les problèmes de facture… ».
De plus les syndicats soulignent un autre problème. Certes les quatre numéros choisis par les détenus devront être préalablement vérifiés, toutefois, le contrôle sera compliqué, puisqu’on ne sait pas nécessairement qui est à l’autre bout de la ligne. L’interlocuteur initial peut donc être une toute autre personne. Ces permissions pourront donc être facilement détournées pour les détenus, ce qui pourrait avoir des effets particulièrement néfastes. Les détenus pourraient ainsi exercer des pressions sur les victimes ou leurs familles, préparer des attentats depuis la prison. Donc finalement le renforcement du contrôle pourrait s’avérer désastreux.
De plus les syndicats ont peur que la France ne devienne trop laxiste, à l’image de la Belgique qui a déjà installé internet dans les cellules belges. Leur crainte parait plus que jamais justifiée. En effet, récemment le contrôleur général des lieux de privation et de liberté, organe indépendant désigné par l’Etat a déclarer qu’il faudrait pouvoir autoriser l’utilisation des téléphones portables dans le milieu carcéral sous certaines conditions. Il considère qu’il faut renoncer à l’impossible, et notamment au chantier concernant la mise en place et le remplacement des brouilleurs. Selon lui, il faut plutôt s’adapter à l’évolution de la société, des moeurs et de la technologie.
Sources:
Perrocheau R, https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/0301094276482-prison-les-cellules-bientot-equipees-de-telephones-fixes-2141952.php, Les Echos, publié le 2 janvier 2018.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021312171&categorieLien=id, légifrance, loi pénitentiaire du 24 novembre 2009
Cortes A, https://www.marianne.net/societe/un-telephone-fixe-par-cellule-derriere-l-annonce-le-probleme-du-cout-des-communications, Marianne,publié le 2 janvier 2018
Anonyme, https://www.capital.fr/polemik/des-telephones-fixes-dans-les-cellules-de-prison-une-bonne-idee-1263528, publié le 3 janvier 2018, des téléphones fixes en prison, une bonne idée ?
Marriault C, https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/sarthe/telephone-en-cellule-les-syndicats-sceptiques-5485631, “téléphone en cellule, les syndicats sceptiques”, Ouest France, publié le 4 janvier 2018.