Régulièrement critiquée pour laisser en ligne des vidéos au contenu parfois choquant ou insultant, la plateforme vidéo YouTube a encore été pointé du doigt après la polémique provoquée début janvier par l’un de ses youtubeurs star Logan Paul, qui s’est filmé à coté d’un corps sans vie au japon. Le scandale de trop pour YouTube ? Il semblerait, car quelques semaines après ce scandale, la plateforme a annoncé une réforme concernant ses règles de monétisation et de modération des contenus.
Le scandale Logan Paul
Logan Paul est un youtubeur mondialement connu, suivi par plus de seize millions d’abonnés sur sa chaine Logan Paul Vlogs. Depuis septembre 2016, Logan Paul poste quotidiennement un vlog sur sa chaine, dont le principe est de raconter sa vie en vidéo. Cependant le 31 décembre 2017, il crée la polémique avec l’une de ses vidéos, dans laquelle il se met en scène près d’un cadavre. En effet, en voyage au Japon, Logan Paul part camper avec des amis dans la forêt de Aokigahara, connue pour être le lieu de fréquents suicides, ce qui lui a valu le nom de « La foret des suicides ». Caméra à la main, Logan et ses amis avancent dans la foret et tombent sur le corps d’un homme ayant commis un suicide par pendaison. Durant plusieurs minutes, Logan Paul et ses amis montrent à l’écran plusieurs gros plans du corps, dont seul le visage est flouté, et commencent à échanger leurs réactions entre stupéfaction, rires et blagues de très mauvais gout.
La vidéo est ainsi restée plus de 24h sur la plateforme avant d’être supprimée par Logan Paul lui-même, et ce sans aucune intervention de la part de YouTube et sans aucune restriction d’âge. Durant ce laps de temps, la vidéo a eu le temps de dépasser les six millions de vues et de se retrouver dans les tendances de YouTube, qui met en avant les contenus populaires du moment. Cette vidéo a créé la polémique, et en l’espace de quelques heures sont apparus de nombreux commentaires et réactions sur les réseaux sociaux critiquant cette vidéo ainsi que son auteur.
Après une période de silence, la plateforme a pris la décision de le sanctionner pour avoir posté un contenu choquant et irrespectueux. YouTube a donc annoncé qu’elle suspendrait les projets de films et séries dans lesquels Logan Paul participait en tant qu’acteur. De plus, elle a également annoncé qu’il ne toucherait plus un seul centime du portefeuille Google Preferred, qui permet aux annonceurs publicitaires d’apparaitre en priorité sur les contenus et chaines les plus populaires. Et enfin, Logan Paul s’est vu adresser un avertissement pour violation des conditions d’utilisation, rappelons qu’au bout de trois avertissements en trois mois une chaine YouTube peut être supprimée.
La responsabilité de YouTube
Mais pour les internautes, Logan Paul n’est pas le seul fautif. La plateforme est connue pour être un espace de liberté et de création, mais YouTube oublie parfois que les internautes n’ont pas la même sensibilité et peuvent être choqués par les contenus proposés. On estime que chaque minute, plus de 400 heures de contenus sont postés, ce qui permet à certains contenus violents et insultants de passer à travers les mailles du filet et remonter aux yeux de millions d’internautes. La plateforme est parfois considérée comme complice des débordements des créateurs, car pour chacune des vidéos monétisées, elle récolte 45% des revenus publicitaires. On considère que même si YouTube n’encourage pas manière explicite de tels agissements, elle bénéficie de ces contenus générant énormément de vues.
Donc au-delà de la responsabilité des créateurs, se pose la question de l’efficacité de la modération YouTube. La plateforme dispose d’une modération automatisée et d’une modération manuelle possible pour chaque utilisateur souhaitant signaler des vidéos choquantes. Une fois la plainte remplie, cette dernière est envoyée aux modérateurs professionnels de YouTube qui traitent la demande en supprimant ou non la vidéo ou le compte en question. Cependant cet outil n’aurait pas fonctionné correctement depuis longtemps, rendant la modération compliquée pour YouTube.
Pourtant, en mai 2016 YouTube ainsi que Facebook, Twitter et Microsoft avaient signé un « code de conduite » avec la Commission européenne. En signant ce texte, ces entreprises s’engageaient auprès de la Commission à lutter contre les propos haineux illégaux en ligne, tels que la propagande terroriste, les discours xénophobes et racistes incitant à la violence et à la haine. En cas de manquements, la Commission européenne avait annoncé qu’elle prendrait des mesures législatives contraignantes à l’égard des acteurs internet s’ils refusaient de coopérer dans la lutter contre ce genre de contenus.
Selon la Commission les entreprises « ont supprimé en moyenne 70% des discours haineux illégaux qui leur avaient été signalés par les ONG et instances publiques » et « remplissent parfaitement l’objectif consistant à examiner dans la journée la majorité des signalement reçus, atteignant en moyenne plus de 81% ».
Un processus de modération complexe
Le processus de modération est compliqué, en effet les modérateurs doivent s’aider de plusieurs règlements. En premier lieu, les conditions générales renvoyant à des aspects techniques et contractuels dès lors que l’on ouvre une chaine YouTube. Ensuite, les règles de monétisation puis le règlement de la communauté, qui précise que sera interdite une chaine considérée comme dangereuse, violente, incitant à la haine, proférant des menaces, mettant en place un harcèlement ou même ne respectant pas certains droits d’auteurs.
YouTube précise que dans cette équipe se trouve aussi bien des modérateurs que des juristes ou ingénieurs, ayant pour rôle de développer des algorithmes de détection des contenus problématiques. Google, propriétaire de YouTube, précise également que 98% des contenus supprimés par la plateforme ont été préalablement repérés par des algorithmes. En revanche la suppression de contenus s’effectue par les salariés qui revisionnent les vidéos en question avant de prendre leur décision. Ces derniers se relaient 7j/7 et 24h/24, et passent en revue la liste des vidéos signalées qui arrive chaque jour. C’est donc un travail d’équipe nécessaire entre l’humain et la machine. La plateforme considère que sans cette intelligence artificielle, il faudrait l’intervention de 24 000 personnes à plein temps pour tout visionner au quotidien.
Malgré ce système, on imagine que les équipes de la plateforme voient passer certaines images sous leurs yeux sans rien dire. Prenons l’exemple de la vidéo de Logan Paul, il est fort probable que les algorithmes et les modérateurs ont dû détecter sa vidéo sans pour autant agir. C’est pour ce genre de contenu que les internautes demandent sans arrêt des changements dans la règlementation YouTube. La plateforme s’est vue trop souvent accusée de faire preuve de trop de laxisme, de ce fait la directrice générale de YouTube, Susan Wojcicki, a annoncé que l’équipe chargée de la modération chez Google devrait atteindre les 10 000 personnes cette année.
Et ce n’est pas tout …
Une réforme annoncée pour 2018
A la suite de cette polémique, la plateforme a annoncé une nouvelle réforme pour la monétisation et la modération de ses contenus, qui vient durcir celle d’avril dernier. L’un des objectifs de YouTube pour cette année 2018 est donc de tenter d’éviter les scandales à répétition comme pour l’année 2017, afin de protéger les internautes et bien évidemment afin de rassurer les annonceurs qui lui rapportent beaucoup argent.
Concernant le durcissement des règles de monétisation, de nouveaux seuils d’audience seront instaurés dans le cadre du « YouTube Partner Program ». Ce programme permet aux créateurs YouTube de monétiser leur contenu, ce qui leur permet de générer des revenus grâce aux annonces diffusées sur leurs vidéos et aux abonnés YouTube Red qui visionnent leur contenu. Depuis le mois d’avril dernier, les chaines pouvaient être éligibles pour la monétisation lorsqu’elles comptaient un cumul minimum de 10 000 vues par chaine, sans temps de vue minimum. Désormais, afin d’être éligible les chaines devront compter au moins 1 000 abonnés et 4 000 heures de temps de visionnage sur l’année précédente.
Dans ces nouvelles règles, YouTube amène une nouveauté en renforçant la modération pour son programme Google Preferred. Ce dernier est une plateforme publicitaire permettant aux annonceurs de repérer facilement les youtubeurs les plus populaires du moment, permet aux marques d’avoir accès au top 5% de contenu consulté par les 18-34 ans. Cette nouveauté consiste à valider chaque vidéo par un modérateur humain en vérifiant que le contenu ne heurte la sensibilité des internautes. Ce principe sera mis en place mi-février aux Etats Unis et fin mars dans une quinzaine d’autres pays dont la France.
De plus, YouTube a annoncé vouloir faire preuve de plus de transparence entre les annonceurs et les créateurs de contenus. Les annonceurs auront un droit de regard sur les vidéos dans lesquelles on retrouvera leurs publicités. Ce changement se veut être rassurant pour les annonceurs, car en 2017 certains d’entre eux ont décidé de boycotter YouTube. Ne voulant pas ternir leur image, certains annonceurs tels que Lidl, Mars, Adidas ou encore la Deutsche Bank a décidé de retirer leurs publicités temporairement à la suite de commentaires pédophiles et de contenus incitant à la haine ou faisant l’apologie du terrorisme.
Avec la mise en place de ces nouvelles règles, on espère que les contenus seront mieux maitrisés, tout en permettant aux créateurs de s’exprimer librement. Conscients du pouvoir médiatique que détiennent les gros réseaux sociaux et plateformes, les gouvernements, utilisateurs mais aussi spécialistes leur demandent de faire preuve de plus de transparence à leur égard et de tenir leurs engagements.
SOURCES:
CROQUET. P, « Le scandale Logan Paul met en lumière les gros défauts de modération sur YouTube», lemonde.fr, publié le 5 janvier 2018, consulté le 30 janvier 2018, https//www.lemonde.fr/pixels/article/2018/01/05/le-scandale-logan-paul-met-en-lumiere-les-gros-defauts-de-moderation-sur-youtube_5237956_4408996.html#HTHg12RrxQ5dX8rK.99
DURAND. C, «Une année de crise avec la pub : YouTube revoit encore ses critères de monétisation», numerama.com, publié le 17 janvier 2018, consulté le 30 janvier 2018, https://www.numerama.com/business/322135-une-annee-de-crise-avec-la-pub-youtube-revoit-encore-ses-criteres-de-monetisation.html
CHARNEY. A, «Il sera moins facile de gagner de l’argent sur YouTube», 01net.com, publié le 17 janvier 2018, consulté le 30 janvier 2018, http://www.01net.com/actualites/il-sera-moins-facile-de-gagner-de-l-argent-sur-youtube-1351912.html