Google lance aujourd’hui une application mobile dédiée aux nouvelles hyperlocales, permettant à tout un chacun de participer à l’information de sa communauté. L’application n’est disponible qu’en accès anticipé aux États-Unis, dans les villes de Nashville et Oakland. À en croire la page dédiée à ce nouveau service, Google souhaite offrir une plateforme à des histoires « qui ne seraient pas racontées », ouvertes à tous et cela sans autre besoin matériel que celui d’un smartphone.
L’annonce s’inscrit dans une certaine tendance des réseaux sociaux à vouloir remettre les internautes au centre de leurs préoccupations. À ce titre, Mark Zuckerberg, patron de Facebook, annonçait fin janvier vouloir également favoriser les informations de proximité sur son fil d’actualité, ceci afin d’améliorer la qualité du temps passé sur sa plateforme. Google innove donc par cette application y étant spécifiquement dédiée mais cette incursion dans le système médiatique est-elle vraiment à saluer ?
Une initiative au service du journalisme citoyen
Le journalisme est une profession réglementée s’opposant historiquement au journaliste citoyen. Ce dernier est une forme de communication de l’information impliquant des individus sans les qualifications nécessaires pour exercer en tant que professionnel de l’information. Il est défini par Shayne Bowman et Chris Willis comme l’action de citoyens « jouant un rôle actif dans les processus de collecte, reportage, analyse et dissémination de l’information d’actualité » (1). Cette forme privilégie donc les sources « hyperlocales », touchant directement à l’origine de l’information ; le journalisme citoyen revendique de ce fait une certaine authenticité et légitimité que les médias mainstream ne fourniraient pas (ou plus). Aujourd’hui, la nécessité du journalisme citoyen aux États-Unsis, mais en France également, s’illustre notamment par la dénonciation régulière des violences policières opérant dans nos pays démocratiques.
Sur la page officielle de Bulletin, on retrouve les termes de « impactful, open » et « effortless ». Ces points phare vantés par le géant du web semblent vouloir prendre le contrepied des critiques faites aux médias traditionnels. En effet, l’accès aux médias – ipso facto à la parole – est complexe pour les citoyens ordinaires. L’idée de Google est ainsi de les placer au centre de l’information, non seulement en les mettant au cœur des sujets traités mais en faisant écrire ces sujets par ces mêmes citoyens. L’application pourrait se relever très utile pour les localités jouissant de peu de visibilité, à l’inverse des grandes agglomérations, et se renseigner de manière plus complète sur les actualités de sa communauté. Tandis que la presse locale française est en péril ; on relèvera une baisse de 22 % de ses ventes en dix ans, cela pourrait potentiellement achever des quotidiens déjà en crise. Le partenariat imaginé par Google débute sur de mauvaises bases. Comme le rappellent divers articles de presse, Bulletin débarque sur un marché particulièrement concurrencé ; le réseau social Twitter était déjà fondé sur le principe du partage de l’actualité en temps réel.
Google renforce son monopole de l’information
On peut apercevoir plusieurs problématiques derrière cette initiative à l’apparence louable. Tout d’abord, en ne rendant cette plateforme accessible via son moteur de recherche uniquement, Google raffermit sa mainmise sur la diffusion de l’information. En situation de monopole, le moteur de recherche est un des acteurs majeurs de la concentration de l’information avec Facebook. Pour rappel, Google se trouvait en 2017 dans la ligne de mire des défenseurs de la liberté de communication lorsque la plateforme avait supprimé une application de vote en plein référendum de Catalogne, portant gravement préjudice au droit à l’information du public. De plus, le référencement des nouvelles effectué par l’algorithme de Google Actu a été le sujet de nombreuses critiques. Un système d’autant plus contesté après la découverte de la présence de fake news dans son algorithme, ceci en dépit des mesures prises par le géant de Mountain View. Or, le journalisme citoyen s’inscrit, de base, dans une volonté d’indépendance et vouloir le rattacher à une firme aussi influente paraît paradoxal. Ensuite, les règles posées par le plateforme, bien que strictes, nous laissent dubitatifs. Le moteur de recherche semble déjà lutter difficilement contre le discours de haine en ligne, très présents sur YouTube qui dispose d’une réglementation similaire, qu’en sera-t-il de la gestion de Bulletin ? On peut déjà entrevoir les possibles dérives de cette application qui, comme n’importe quelle source d’information disponible, pourra aisément être corrompue ou dégradée (exemple de Wikipédia).
En outre, la promotion de cette « facilité d’accès » pourrait mener à beaucoup d’autres abus au regard du droit de la presse (diffamation, injure, etc) mais aussi à l’exposition critique des lanceurs d’alerte à la recherche d’un porte-voix. En France, la loi donne une définition du journaliste exclusive des blogueurs, comme le rappelle l’affaire Olivier Thérondel. Dans son livre, la journaliste Florence Hartmann rappelait déjà que l’anonymat proposé par les blogs était un leurre et que les lanceurs d’alerte ne bénéficieraient pas du régime de protection des journalistes (2).
L’usage et l’évolution de cette application sont donc à surveiller de très près.
SOURCES :
(1) BOWMAN (S.) et WILLIS (C.), We Media: How audiences are shaping the future of news and information, American Press Institute, 2003, p. 9.
(2) HARTMANN (F.), Lanceurs d’alerte, les mauvaises consciences de nos démocraties, Don Quichotte, Paris, 2014, p. 321.