Le 14 février 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée dans le cadre d’une demande de déréférencement d’un citoyen français adressée au moteur de recherche Google. La Cour a estimé que la décision du TGI de Nice n’effectuait pas « une mise en balance des intérêts en présence », pour ce motif elle casse et annule l’arrêt. Cette affaire vient rappeler que le droit au déréférencement n’est pas un droit de portée générale. Issu de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) il est aujourd’hui présent dans le nouveau règlement européen sous le nom de droit à l’effacement ou « droit à l’oubli ».
Les acquis de l’arrêt Google Spain
Le 13 mai 2014, la CJUE a rendu un arrêt devenu très célèbre : l’arrêt Google Spain. Dans cette décision, la Haute juridiction espagnole émet à la CJUE un recours préjudiciel d’interprétation de la directive de 1995. Le recours est alors composé de trois questions. La première portait sur l’applicabilité territoriale du texte, c’est-à- dire savoir si la directive européenne s’appliquait à l’entreprise Google Inc soumise à la loi californienne. La seconde portait sur l’applicabilité matérielle du texte : pouvait-on qualifier l’activité de Google d’activité de traitement de données ? Par ailleurs, l’entreprise pouvait-elle être qualifiée de responsable de traitement ? Sur ces deux premières questions, la CJUE se prononce de manière nette et précise. A la question de la territorialité, la Cour énonce que « les activités de l’exploitant du moteur de recherche et de son établissement situé dans l’état membre concerné, sont indiscutablement liées ». Cela revient à ce que la société américaine Google Inc puisse se voir appliquer la directive. Quant à l’application matérielle, la Cour conclut que l’activité d’un moteur de recherche comme fournisseur de contenus qui stocke et indexe de manière automatique les données publiées, entre dans le champ de l’article 2 de la directive de 1995 et de sa définition du traitement des données.
Cette décision reflète les dispositions du projet de règlement européen de l’époque. La volonté est d’étendre l’applicabilité du texte. Cette extension amène à ce que la plupart des sites internet visités par des citoyens européens se voient appliquer le futur règlement.
L’arrêt vient également consacrer le « droit à l’oubli ». Ce droit était déjà évoqué dans une proposition de loi en France, et présent dans la proposition de règlement européen. Ce droit à l’oubli est en réalité un droit au déréférencement. C’est la possibilité de supprimer les liens hypertextes menant à un contenu contenant des données personnelles. Il s’exerce seulement si le contenu contrevient à la vie privée de la personne, et si la publication est suffisamment ancienne. Cependant ce droit doit être mis en balance avec l’intérêt du public à être informé. La CJUE invite les juges nationaux à faire cette balance entre protection des données personnelles et liberté d’expression.
Les critères d’application du droit au déréférencement
Ainsi Google et les autres principaux moteurs de recherche se sont alignés sur la jurisprudence européenne en mettant à la disposition des internautes des formulaires de demande de déréférencement. Le déréférencement peut avoir lieu dans le cas où le résultat de recherche est directement associé au nom et au prénom de la personne concernée. L’ajout de mots clés ne peut permettre à une demande de déréférencement d’aboutir. De plus, c’est un droit autonome dans le sens où il ne signifie pas que l’information est supprimée du site internet. C’est seulement le lien hypertexte d’accès au site qui est retiré de la liste des résultats de recherche. Enfin, le moteur de recherche s’il estime que la demande est abusive peut refuser d’y donner suite et dans ce cas l’internaute peut faire parvenir à la CNIL une plainte ou saisir le juge des référés. En effet, le moteur de recherche doit effectuer une mise en balance des différents intérêts et doit notamment vérifier, selon le règlement européen, si la demande ne nuit pas à la liberté d’expression et d’information. Si en théorie, ce droit semble être bénéfique à la protection des données à caractère personnel, en pratique son application peut s’avérer difficile.
L’efficacité du droit au déréférencement
Dans l’arrêt du 14 février 2018, la Cour dénonce une « injonction d’ordre général conférant un caractère automatique à la suppression de la liste des résultats ». La Cour rend sa décision aux visas de l’article 38 (droit d’opposition) et de l’article 40 (droit au déréférencement) de la loi « informatique et libertés » de 1978. Ce dernier article fut ajouté par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016. En l’espèce, si la demande de l’internaute concernait bien des URL déterminés, elle concernait également « les liens conduisant, lors de recherches opérées dans les mêmes conditions à toute adresse URL identifiée et signalée par l’internaute comme portant atteinte à sa vie privée ». Cette formulation est considérée comme étant trop large par la Cour de cassation. Il ne faut pas faire peser sur le responsable de traitement, en l’occurrence Google, des charges irréalisables.
En effet, chaque année le nombre de déréférencement augmente en même temps que le nombre de demandes. Par exemple, au mois de mars 2016 Google a reçu 400 000 demandes et a supprimé 42,6% des liens URL pour lesquels il avait reçu une demande. On peut ainsi constater qu’un peu moins d’une demande sur deux a une chance d’aboutir. Cela prouve que le droit au déréférencement est loin d’être un droit absolu.
De plus on peut se demander l’efficacité juridique de ce processus. En effet il semble que les droits proposés dans la directive de 1995 et dans la loi française de 1978 pouvaient déjà permettre de procéder à des demandes de déréférencement. Le seul obstacle était la qualification de responsable de traitement du moteur de recherche, obstacle levé depuis l’arrêt Google Spain. En effet, la CNIL a énoncé dans son rapport annuel pour 2014 « que le droit au déréférencement ne constitue pas une révolution juridique : il est la déclinaison, pour le cas particulier des moteurs de recherche, des droits d’accès, d’effacement et d’opposition, que consacre la loi « informatique et libertés » en France depuis 1978, et la directive 95/46/CE dans l’ensemble de l’Union européenne depuis 1995 ». Ainsi sa consécration dans la loi pour une République numérique et dans le nouveau règlement européen prouve la difficulté qu’avaient les autorités de contrôle à faire respecter ces droits auprès des moteurs de recherche. En instituant un article spécialement consacré à ce droit au déréférencement le législateur européen et français appuient leur volonté de le voir appliqué à ces moteurs de recherche.
SOURCES
GAUBERTI (A.), « Comment obtenir le déréférencement sur Google », www.lesechos.fr, mis en ligne le 21 novembre 2017, consulté le 4 mars 2018
DESGENS-PASANAU (G.), « Moteurs de recherche : du droit à l’oubli au droit au déréférencement », https://cnamcil.wordpress.com, consulté le 4 mars 2018
ANONYME, « Le droit au déréférencement », www.cnil.fr, consulté le 4 mars 2018