VOITURES ET DEUX-ROUES INTELLIGENTS : D’UNE SCIENCE-FICTION A LA REALITE

Le Mondial Paris Motor Show fête cette année sa 120ème édition, et accueille pour l’occasion plus de trois cents exposants. Si les enjeux économiques des acteurs sont au premier plan de l’évènement planétaire, des questions d’ordre juridique apparaissent et confrontent les rêves des concepteurs à une réalité difficile à contourner.

Nombreuses sont les innovations en matière d’automobiles et de deux-roues : du design aux caractéristiques techniques, le progrès ne s’arrête pas et alimente le secteur hyper-concurrentiel. Il est cependant inévitable de considérer la mort du véhicule nu de technologies électroniques : aucun véhicule du salon présenté ne se limite à une simple conduite mécanique. Chaque innovation sous-entend une série d’options plus ou moins utiles, mais surtout connectées. 

Automobile et intelligence artificielle réussissent finalement à faire bon ménage : d’ici trois ans, les véhicules intelligents seront près de 380 millions sur les routes à travers le monde. Depuis les années 2000, les voitures sont de plus en plus équipées de technologies électroniques accessoires à la conduite afin de la rendre plus agréable. Du GPS intégré au routeur Wifi, les voitures ont appris avec le temps à suppléer le conducteur, et aujourd’hui à le remplacer.  

Les voitures autonomes constituent un nouveau marché qui ne demande qu’à être développé par les industriels : les constructeurs incapables de s’adapter à l’évolution risquent un fort déclin, dès lors que des études estiment la part de marché des voitures autonomes à 40% en 2030. La voiture autonome est donc guidée entièrement par intelligence artificielle, définie par le département de l’informatique de Stanford comme étant tous « logiciels intelligents qui utilisent des connaissances et des inférences logiques pour résoudre des problèmes qui sont suffisamment difficiles pour nécessiter une expertise humaine importante pour trouver une solution ». 

Selon le degré de technologies compris dans le véhicule, il sera considéré comme connecté ou autonome. 

Véhicule connecté et véhicule autonome : notions de différenciation 

Le véhicule connecté désigne celui dont les équipements high-tech sont prévus pour faciliter la conduite et la vie de son conducteur à chaque déplacement. Du simple ordinateur de bord projeté à l’assistance au parking, le véhicule connecté dépasse la simple fonction standard de déplacement : il est, en principe, conçu pour assouvir les envies de ses passagers afin d’en assurer leur dépendance. 

Le véhicule autonome va plus loin : le conducteur n’est plus humain mais robot. Guidé par intelligence artificielle, la voiture ou la moto autonome (dite de niveau 4) assure du démarrage au stationnement le transport de ses passagers à destination, selon leurs envies.

Si la voiture connectée est assez répandue aujourd’hui, la voiture autonome demeure aujourd’hui encore en phase d’expérimentation en France comme dans de nombreux autres pays. En effet, un bon nombre de doutes plane autour de son efficacité et de sa sécurité : en février dernier, une voiture autonome expérimentée par Uber en Arizona a causé la mort d’une personne en la percutant violemment. Les détecteurs ayant fait défaut, la voiture n’a pas envisagé le ralentissement d’urgence comme aurait pu faire un conducteur humain. 

Par ailleurs, les dispositions actuelles n’autorisent pas une personne à circuler à bord d’une voiture autonome : le code de la route et la convention de Vienne imposent la présence d’un conducteur ayant le contrôle de son véhicule et capable de faire les manœuvres nécessaires à la conduite. L’industrie de l’automobile et les grands groupes ne cèdent cependant pas encore la main et semblent vouloir commercialiser ce type de produits à partir de 2020.

Innovations VS Législation

Grâce au Mondial Paris Motor Show, la voiture autonome s’imagine différentes perspectives et les grands groupes ne manquent pas d’inspiration. Néanmoins, ceux-ci se butent d’ores et déjà aux premières exigences réglementaires en la matière : le décret n° 2018-211 du 28 mars 2018 autorisant la circulation expérimentale des véhicules autonomes prévoit le cadre juridique de l’expérimentation des véhicules autonomes sur la voie publique, exclusivement réservée aux professionnels de l’automobile. Il vient ainsi encadrer les prémices de la voiture autonome, et représente l’espoir d’un avenir prometteur aux industriels. 

Peugeot a présenté son concept-car « E-Legend », grande star du salon, dont la commande automatique est optionnelle : sous ses lignes rétros se dissimule un habitacle au design épuré et un volant rétractable au gré du conducteur. Le passager peut ainsi décider de monter à bord d’un véhicule autonome et se laisser porter par l’intelligence artificielle, ou refuser la substitution.

Malgré son succès, la « E-Legend » semble se confronter à un problème de responsabilité : dans l’hypothèse qu’un accident de la circulation survienne, qui sera responsable du dommage ? Peut-on faire confiance au robot qui tracera un historique du mode de conduite, conformément à l’article 11 du décret du 28 mars 2018, et déterminera si la responsabilité du conducteur est envisageable ? 

Au-delà de la simple problématique juridique, est-il possible que le robot entrave la conduite manuelle du véhicule et prenne la main sur le conducteur ? 

Tesla a également mis au point une voiture autonome « hybride » : cependant, le volant ne se rétracte pas. Comment prouver son irresponsabilité en cas d’accident causé par la voiture en pilote automatique, mis à part l’exigence du dispositif d’enregistrement des données de conduite ? 

Renault a quant à lui franchi un cap et présenté son innovation de l’année : l’ « EZ Ultimo », le premier taxi autonome du groupe français. Il désigne un « véhicule autonome servant de taxi, dont la course est commandée au moyen d’une application informatique »: Renault a l’ambition de bouleverser progressivement l’économie du secteur automobile de transports de personnes, en accouchant de son premier concept-car  aux fonctionnalités de taxi. 

Sous son habitacle vitré, seules des banquettes ont été installées : le véhicule ne réserve aucune possibilité à un passager d’en prendre le contrôle. Même si l’ « EZ-Ultimo » ne dépasse pas les 10km/h en phase d’expérimentation sur le salon, son avenir est certain puisque de nombreuses villes avaient déjà pour ambition la mise en place de taxis alternatifs (notamment à Dubaï où il était question de taxis volants). 

Le secteur de la moto est également en pleine reconversion, même s’il n’en est qu’à ses débuts : en 2015, Yamaha présentait son premier concept bike entièrement robotisé « Motobot ». S’il ne pouvait atteindre que les 110km/h à l’époque, il peut aujourd’hui rouler jusqu’à 228km/h. Les risques de piratage doivent être solutionnés au plus vite pour envisager une future commercialisation d’un nouveau type de moto taxi.

L’heure n’est pas encore au remplacement de l’humain par un robot humanoïde mais les constructeurs pourraient envisager à l’avenir une commercialisation. Néanmoins, les Etats membres ne sont pour l’instant pas prêts à valider son entrée sur le marché et seront sans doute beaucoup plus réticents que pour la voiture autonome.

Ainsi, les innovations se succèdent mais les obstacles juridiques se multiplient : comment réguler la conduite des voitures autonomes ? Le décret du 28 mars 2018 relatif à l’expérimentation des véhicules autonomes n’est qu’une ébauche à l’aveugle du cadre juridique nécessaire pour les encadrer. 

De nombreuses problématiques mériteront d’être débattues : faudra-t-il un permis pour monter à bord d’un véhicule autonome ? Le cas échéant, cela signifiera-t-il qu’un mineur ou une personne âgée pourra monter à bord sans pouvoir réagir en cas d’incident ? 

Pourra-t-on imputer une obligation de prudence et de sécurité à l’intelligence artificielle ?

Enfin, le développement des voitures autonomes provoque un séisme dans le marché de l’automobile, dès lors qu’il conduira à une forte baisse de l’achat de véhicules au profit de plate-formes de service de location de voitures. Commander une voiture autonome pour envoyer ses enfants à l’école ou partir au travail, sous le même modèle qu’un taxi VTC, sera beaucoup moins coûteux que l’acquisition et l’entretien d’une voiture personnelle. 

Comme le souligne Iris M. BARSAN, le cadre juridique des voitures autonomes devra donc également relever du code des transports, dont les articles L. 3121-1 et s., L. 3122-1 et s. et L. 3123-1 et s. régissent déjà le transport public particulier pour les taxis, VTC et moto-taxis. Le législateur devra ainsi prendre en compte toute l’incidence que la voiture autonome de niveau 4 provoquera sur le marché, et ainsi reconsidérer l’existence systématique d’un chauffeur humain à bord. 

La loi n°85-677 du 5 juillet 1985, relative à l’amélioration de la situation des victimes des accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, devra nécessairement s’adapter à l’émergence des voitures autonomes de niveau 4. L’obligation d’assurance étant la base de la loi Badinter, le législateur pourra-t-il exiger au concepteur le paiement d’une assurance pour ses véhicules et ainsi qualifier le système d’intelligence artificielle de « conducteur » ? Faudra-t-il donc considérer, comme le code de la route allemand, un pied d’égalité entre le conducteur humain et l’intelligence artificielle afin de faciliter l’indemnisation de victimes ?

La réverbération de notre société dans l’innovation automobile

Que nous réserve l’avenir ?

L’Homme innove et construit sans considérer les risques juridiques et vitaux engendrés par ses créations. Le véhicule autonome robotisé est à l’Homme ce que le monstre était au docteur Frankenstein : une prouesse technologique incontrôlable. Il inquiète sur une série de questions relatives à la sécurité routière, aux données personnelles, au contrôle des machines ou encore à la pérennité de celles-ci dans le paysage économique. 

Certains chercheurs se sont même pris au jeu de parier sur notre futur, à l’instar de Laurent Bloch : il imagine une vie où les voitures autonomes représenteront la majorité des circulations routières, commandées par une application, indépendantes dans leur entretien et à l’écoute des désirs de son passager du jour. 

Il perçoit néanmoins les côtés pervers du robot, qui pourra causer des accidents de la circulation et effacer de sa mémoire toute trace de ceux-ci (et ce malgré les obligations d’équipement « d’un dispositif d’enregistrement permettant de déterminer à tout instant si le véhicule a circulé en mode de délégation partielle ou totale de conduite », conformément à l’article 11 du décret du 28 mars 2018). 

L’intelligence artificielle se spécialise et devient de plus en plus compétente : doit-elle être sans limite, ou devrions-nous en limiter les expériences ? 

A l’heure où Google vient d’obtenir son permis pour démarrer les tests de ses voitures autonomes sous sa filiale Waymo en Californie, ce marché semble constituer aujourd’hui un virage totalement opposé aux précédentes règles établies : nouveaux acteurs, nouveaux contrats, nouvelles responsabilités, et nouveaux enjeux. 

Il reste encore à accueillir la réflexion des législateurs européen et français sur le sujet, très attendue par les constructeurs du continent mais vivement crainte par les citoyens non-confiants. 

SOURCES :

BLOCH (L.), « Regard du futur sur le présent décret n° 2018-211 du 28 mars 2018 autorisant la circulation expérimentale des véhicules autonomes », Responsabilité civile et assurance, N°6 juin 2018, page 14, consulté le 19 octobre 2018

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COURTOIS (G.), « Robots intelligents et responsabilité : quels régimes, quelles perspectives ? », Dalloz IP/IT, 2016, page 287, consulté le 28 octobre 2018.

ETUDE DU CABINET ROLAND BERGER « Les classes moyennes face à la transformation digitale », Roland Berger Strategy Consultant, octobre 2014, consulté le 31 octobre 2018.

M. BARSAN (I.), « La voiture autonome : aspects juridiques », Communication Commerce électronique n° 2, Février 2018, étude 3, consulté le 31 octobre 2018.

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DUPONT-CALBO (J.), « Comment les robotaxis vont changer l’industrie automobile », Les Echos, mis en ligne le 28 décembre 2017, consulté le 31 octobre 2018 : https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/0301056753801-comment-les-robotaxis-vont-changer-lindustrie-automobile-2141461.php 

ROZIERES (G.), « EZ-GO, le robot taxi autonome imaginé par RENAULT », Huffington Post, mis en ligne le 6 mars 2018, consulté le 10 octobre 2018 : https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/06/ez-go-le-robot-taxi-autonome-imagine-par-renault_a_23377424/

MARTIN (S.), « L’auto et la moto. Au Mondial 2018 : le deux-roues en devenir », France TV Info, mis en ligne le 14 octobre 2018, consulté le 19 octobre 2018 : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-auto/l-auto-et-la-moto-au-mondial-2018-le-deux-roues-en-devenir_2980721.html

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CLAUDEL (M.), « Google a obtenu son permis pour faire rouler des voitures sans humain en Californie », Numerama, mis en ligne le 1er novembre 2018, consulté le 2 novembre 2018 : https://www.numerama.com/vroom/436060-google-a-obtenu-son-permis-pour-faire-rouler-des-voitures-sans-humain-en-californie.html?fbclid=IwAR0YMAetrTnz3cGewD-txmmMcYBg3gCKEcv0lzHY-SpH1BYRMptUIg7zEX4 

Décret n°2018-211 du 28 mars 2018 autorisant la circulation expérimentale des véhicules autonomes, consulté le 19 octobre 2018.

Journal Officiel du 28 mars 2018, consulté le 19 octobre 2018.

Site du Mondial Motor Show Paris, consulté le 19 octobre 2018.