Les grandes innovations technologiques bouleversent le monde actuel. Le secteur de l’audiovisuel public, lui aussi, tend à s’en accommoder.
A la fin de l’année 2017, une importante réforme de l’audiovisuel public a été annoncée par le gouvernement français. Parmi les grandes priorités de cette transformation, on retrouve une question discutée depuis plusieurs années : la modernisation de la contribution à l’audiovisuel public (CAP). En septembre dernier, Françoise Nyssen, ancienne ministre de la culture et de la communication, a réaffirmé sa volonté de créer une « redevance universelle » dont le paiement serait détaché du critère de détention d’un poste de télévision. Le 4 octobre 2018, un rapport parlementaire a été déposé et vient préciser les contours de ce projet. Quoi qu’il en soit, il faudra attendre encore un peu avant que la réforme ne soit amorcée puisque c’est à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2020 que le projet pourra être adopté.
Une nécessité de s’adapter à l’ère du numérique
Adaptation et modernisation, tels sont les objectifs poursuivis par le ministère de la culture pour réformer la contribution à l’audiovisuel public. Créée par la loi du 30 juillet 1949 à partir de l’ancienne redevance « radio » et consacrée aux articles 1605 et suivants du code général des impôts, la CAP est une taxe parafiscale imposée aux foyers en possession d’un poste de télévision. Reçue annuellement en même temps que la taxe d’habitation, elle est destinée à financer les six sociétés de l’audiovisuel public : France Télévisions, Radio France, Arte, France Media Monde, TV5 Monde et l’INA. A l’époque, le rattachement de cette redevance au critère de détention d’un poste de télévision apparaissait légitime : aucun autre écran ne permettait encore d’accéder aux programmes audiovisuels des chaines de télévision.De par les avancées technologiques et le développement du numérique, les choses ont amplement évolué. Aujourd’hui, ces programmes peuvent être consommés au travers d’un ordinateur, d’une tablette, ou encore d’un smartphone. Cette multiplicité des supports matériels a entrainé une baisse importante des achats de postes de télévision et a fini par faire tomber le mécanisme de la CAP en désuétude. Selon Olivier Schrameck, président du CSA, « en 2016, la proportion de foyers dotés d’un téléviseur était de 94 %, mais, en 2020, elle se situera entre 80 et 90 % ». Afin de redonner à cette taxe une nouvelle raison d’être, il est envisagé d’étendre l’assiette de la CAP à de nouveaux contribuables : ceux qui ne disposent d’aucun téléviseur mais qui accèdent aux chaines de télévision publiques par un autre moyen technique. De par ce système, la redevance reposerait alors sur un principe de neutralité des supports et offrirait un traitement plus juste des consommateurs de programmes audiovisuels.
Un moyen de porter secours aux finances de l’audiovisuel public
Et si les motivations du gouvernement pour réformer la CAP allaient au-delà de la simple nécessité de moderniser et d’adapter ? Au regard de la crise financière subie par l’audiovisuel public, la réponse apparait évidente. Depuis plusieurs années, le secteur se voit supprimer d’importants moyens de financement : une réglementation stricte relative à la diffusion de la publicité a été instaurée et entraine une diminution de ses recettes. Depuis l’adoption de la loi du 5 janvier 2009, les chaines de télévision publiques ne peuvent plus diffuser de contenus publicitaires à vocation commerciale entre 20h et 6h du matin. Plus récemment, la loi du 20 décembre 2016, entrée en vigueur le 1er janvier 2018, est venue interdire aux chaines de télévision publiques la diffusion de toute publicité commerciale, quinze minutes avant et après un programme destiné prioritairement aux enfants de moins de douze ans. Avec ces nouvelles législations, la CAP incarne aujourd’hui la principale source de financement de l’audiovisuel public ; pour l’année 2017, la redevance a représenté 89% du budget de Radio France et 83% du budget de France Télévisions. Dans la mesure où davantage de foyers seraient soumis au paiement de la contribution, la réforme pourrait permettre à l’audiovisuel public d’augmenter ses recettes et de bénéficier ainsi d’une meilleure situation financière.
Un mécanisme inspiré du modèle allemand
L’idée de cette généralisation de la redevance audiovisuelle n’est pas à l’initiative de la France. Au contraire, c’est en s’inspirant du modèle de certains pays voisins que l’Etat a fait naitre ce projet. Depuis l’année 2013, l’Allemagne a fait le choix d’une redevance universelle forfaitaire appelée contribution obligatoire à l’audiovisuel public. D’un montant de 215,76 euros, cette taxe est imposée de façon automatique à tous les logements, y compris aux résidences secondaires. Chaque habitation est présumée disposer d’un support lui permettant de recevoir les programmes audiovisuels du secteur public. D’un point de vue général, cette nouvelle stratégie affiche un bilan positif : le nombre de fraudes à la redevance a baissé mais en plus, les recettes de l’audiovisuel public ont augmenté ; entre 2013 et 2016, le secteur a obtenu 1,15 milliard d’euros supplémentaires. En constatant l’efficacité de cette CAP allemande, la France en est devenue le premier admirateur. A plusieurs reprises, Mathieu Gallet, ancien président de Radio France, a exprimé son souhait de voir appliquer un modèle similaire pour l’audiovisuel public français. Cependant, des distinctions entre la future CAP française et la redevance de l’Allemagne sont à souligner. Il faut relever que le montant de la contribution allemande est beaucoup plus élevé que celui de la France, fixé à 139 euros par an. De plus, l’extension de la CAP aux résidences secondaires ne semble pas envisagée par le parlement français.
Un projet discutable et une réforme incertaine
Même si la réforme de la contribution à l’audiovisuel public semble peu à peu se dessiner, pour l’heure, elle manque encore de précisions. A la lecture du rapport parlementaire déposé le 4 octobre 2018, on apprend que la France envisage d’étendre le paiement de la redevance à de nouveaux foyers fiscaux. Mais lesquels ? Du fait du recours à l’expression « redevance universelle », il est possible de se demander si tous les contribuables, y compris ceux qui ne disposent d’aucun moyen de recevoir les programmes audiovisuels des chaines publiques, y seront soumis. De même, la réforme concernera-t-elle tous les nouveaux écrans, ou seulement l’un ou plusieurs d’entre eux ? Le rapport déposé le mois dernier n’apporte aucune réponse à ces questions. Néanmoins, il vient tout de même confirmer que les causes d’exonération déjà connues seront maintenues et que le montant de la redevance, pour la première fois depuis 2018, resterait inchangé. En plus de son imprécision, c’est également sur le plan de son efficacité économique que ce projet se montre discutable. Aujourd’hui, la majorité des français possède un téléviseur. L’extension de l’assiette de la CAP ne devrait donc toucher qu’une infime partie de la population française. Cela sera-t-il suffisant pour améliorer, de façon significative, le financement du secteur de l’audiovisuel public ? Le doute semble être permis. Par ailleurs, avec les bouleversements politiques de ces derniers jours, l’avenir de cette réforme pourrait bien être mise à mal. Françoise Nyssen, qui jusqu’à présent était à la tête du ministère de la culture, souhaitait un débat urgent sur la modernisation de la CAP. Depuis le 16 octobre, Franck Riester a été nommé pour la remplacer. En fonction des positions de ce nouveau ministre, la réforme pourrait être retardée, voire mise de côté. Quoi qu’il en soit, si le projet est soutenu par de nombreux gouvernants, il est aussi vivement critiqué par ses opposants. Pour certains, cette évolution touchera majoritairement les jeunes générations qui perçoivent un salaire mais ne disposent pas de télévision. Selon eux, cette future redevance peut être qualifiée « taxe anti-jeunes ».
Sources :
COUTURIER (M), « La redevance à l’allemande fait baver d’envie France Télévisions » www.nouvelobs.com,mis en ligne le 06 septembre 2015, consulté le 28 octobre 2018 https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-economie/20150906.RUE0430/la-redevance-a-l-allemande-fait-baver-d-envie-france-televisions.html
DE CHAZEAUX (O), « Redevance audiovisuelle : réforme ou simple mutation ? » www.lextenso.fr,Gazette du Palais, N°066, mis en ligne le 6 mars 2004, consulté le 12 octobre 2018.
DELCAMBRE (A) et PIQUARD (A), « Olivier Schrameck : Une remise à plat de la réglementation audiovisuelle est nécessaire » www.lemonde.fr,mis en ligne le 22 septembre 2017, consulté le 28 octobre 2018 https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2017/09/22/olivier-schrameck-il-faut-assumer-clairement-la-mutation-de-la-regulation-a-l-ere-numerique_5189357_3236.html
GIRARD (D), « La redevance audiovisuelle va-t-elle s’adapter aux nouveaux usages ? » www.lemonde.fr,mis en ligne le 11 octobre 2018, consulté le 12 octobre 2018 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/10/11/la-redevance-audiovisuelle-va-t-elle-s-adapter-aux-nouveaux-usages_5368138_4355770.html
LAUSSON (J), « Redevance TV : vers une taxe « universelle » en 2018 ? » www.numerama.com,mis en ligne le 11 décembre 2017, consulté le 12 octobre 2018 https://www.numerama.com/politique/313668-redevance-tv-vers-une-taxe-universelle-en-2018.html
PORRO (P), « Six manières de financer l’audiovisuel public » www.inaglobal.fr,mis en ligne le 30 avril 2018, consulté le 12 octobre 2018 https://www.inaglobal.fr/television/article/six-manieres-de-financer-l-audiovisuel-public-10172
QUAIREL (F), « Qui est Franck Riester, nouveau ministre de la culture ? » www.lalettre.pro, mis en ligne le 16 octobre 2018, consulté le 28 octobre 2018 https://www.lalettre.pro/Qui-est-Franck-Riester-nouveau-ministre-de-la-culture_a17594.html
SALLE (C), « Redevance télé : une réforme qui touche les jeunes » www.lefigaro.fr, mis en ligne le 03 octobre 2014, consulté le 28 octobre 2018 http://www.lefigaro.fr/medias/2014/10/03/20004-20141003ARTFIG00147-redevancetele-une-reforme-qui-touche-les-jeunes.php
Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission des affaires culturelles et de l’éducation, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur une anouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique, n° 1292, déposé le jeudi 4 octobre 2018