Le 2 octobre 2018, le Parlement européen a adopté de nouvelles règles relatives aux services de médias audiovisuels. « Une meilleure protection des téléspectateurs, un encouragement de l’innovation et une promotion des contenus européens », voilà en quoi consiste cette modernisation de la directive SMA du 11 décembre 2007, modernisation nécessaire afin de s’adapter « aux nouveaux modes de consommation des contenus culturels et de tenter de mettre les acteurs, anciens et nouveaux, sur un pied d’égalité ».
Cette révision a été adoptée le 6 novembre 2018 par le Conseil des Ministres de l’Union européenne. Les États membres de l’Union européenne disposent alors de 21 mois afin de la transposer dans leur droit national.
En France, le ministère de la Culture a annoncé que cela serait réalisé entre fin 2019 et début 2020.
Cette modernisation de la directive SMA va s’appliquer aux « diffuseurs et aux plateformes de vidéo à la demande et de partage de vidéos en ligne, comme Netflix, YouTube ou Facebook, ainsi qu’à la retransmission en direct sur les plateformes de partage de vidéos ».
Nous allons particulièrement nous intéresser au fait que les eurodéputés ont décidé d’imposer aux plateformes de vidéo à la demande qu’au moins 30% de leur contenu soit d’origine européenne.
Netflix a indiqué vouloir produire davantage de productions européennes. Cette annonce du géant américain découle en réalité d’une obligation due à la législation européenne et au nombre croissant de rivaux l’obligeant à diversifier son offre.
La législation européenne sur les services de médias audiovisuels : la production et le financement d’œuvres européennes
En 1989, la directive « Télévision Sans Frontières » (TSF) a été adoptée afin de réguler le secteur de l’audiovisuel. Puis en 2007, la directive « Services de Médias Audiovisuels » (SMA) a redéfini la qualification de ces services et a inclus pour la première fois les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD).
Selon l’article 2 alinéa 6 de la loi française du 30 septembre 1989 consolidé en 2009 afin de transposer la directive SMA, un SMAD est « tout service de communication au public par voie électronique permettant le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur sa demande, à partir d’un catalogue de programmes dont la sélection et l’organisation sont contrôlées par l’éditeur de ce service ». C’est un service non linéaire, « où le contenu est demandé par l’utilisateur », contrairement à la radio et à la télévision qui sont des services linéaires, « où le contenu est acheminé vers le téléspectateur situé dans la zone de réception ». Sont des SMAD les services de vidéo à la demande.
Comme indiqué précédemment, le Parlement européen a décidé le 2 octobre 2018 que les plateformes de vidéo à la demande implantées en Europe vont désormais devoir proposer dans leurs offres une proportion minimale de 30% d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques européennes. Les pays le souhaitant pourront augmenter ce quota jusqu’à 40%. Cela permettrait de soutenir « la diversité culturelle du secteur audiovisuel européen ».
Si ce chiffre n’est pas assez élevé pour certains, il permet tout de même de garantir au public européen de se voir proposer des œuvres européennes où qu’il se trouve sur le territoire communautaire.
Les États membres de l’Union européenne pourront de plus soumettre toutes les plateformes de vidéo à la demande à des obligations d’investissement dans la création de contenus ou à la contribution à des financements nationaux. « Même établies à l’étranger, ces plateformes ne pourront plus se soustraire aux politiques nationales de soutien à la création. »
Cela a pour but de rendre inactif le principe du pays d’origine dans ce cas précis. En effet, aujourd’hui la plupart des plateformes de vidéo à la demande se conforment à la législation de l’État où leur siège social est stratégiquement implanté. Grâce à cette nouvelle directive, elles devront se conformer aux règles des États de l’Union ciblés par leur offre.
Netflix, installé aux Pays-Bas, et Amazon Prime Video, déclaré en Grande-Bretagne, ne pourront plus échapper aux législations des pays dans lesquels on reçoit leurs services, comme en France où le régime actuel imposant un quota de 60% d’œuvres européennes, dont 40% d’origine française, dans les catalogues des plateformes de vidéos à la demande ne pouvait pas leur être appliqué.
Cette imposition de quota à respecter déplaît aux plateformes de vidéos à la demande qui préféreraient se concentrer sur l’excellence de leurs services plutôt que de satisfaire des quotas.
Le succès des œuvres européennes et le nombre croissant de plateformes de vidéos à la demande
Netflix est une entreprise américaine proposant des films et séries télévisées en flux continu sur Internet. Fondée en 1997 par Reed Hastings, elle a d’abord proposé un service de location de DVD par correspondance. En octobre 2018, elle disposait de 137,1 millions d’abonnés à travers le monde, dans 190 pays.
Quant à Amazon Prime Video, service de vidéo à la demande créé par la société américaine Amazon.com en 2016, il est également présent dans de nombreux pays et est actuellement le principal concurrent de Netflix.
Greg Peters, directeur de l’Innovation produit chez Netflix, a annoncé début novembre, lors du Web Summit se déroulant à Lisbonne, que sa société entend produire davantage de productions européennes destinées au marché mondial et non plus seulement local : « Nous avons vu avec les séries que nous avons réalisées en Europe que nous étions capables de leur trouver des audiences gigantesques, mondiales, composées très largement de publics situés hors du pays d’origine ». Il ajoute que « sur les trois dernières années, dans l’Union européenne, 90% des contenus originaux, diffusés à des heures de grande écoute, n’étaient montrés que dans deux pays européens, ou moins ».
On peut citer parmi les dernières créations à succès de Netflix les séries espagnoles La Casa de Papel et Elite, ou encore la série allemande Dark. Ces séries touchent une audience mondiale, soit un public sortant des frontières de leurs pays d’origine, et cela ne se serait pas réalisé par le biais des médias traditionnels. Peters a indiqué que concernant Dark, « 90% des visionnages ont eu lieu hors d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse », avant d’ajouter « Vous connaissez d’autres séries allemandes qui ont réussi à toucher autant de spectateurs hors de ces pays ? ». Le succès de ces séries européennes donne à Netflix l’envie de réaliser davantage de programmes n’étant pas en anglais. France, Norvège, Pologne, de plus en plus de pays ont droit à leurs projets de séries originales Netflix. De plus, son premier studio de production européen va être lancé à Madrid pour la fin de l’année.
Le marché de services de vidéo à la demande est de plus en plus concurrentiel. Si Netflix reste l’acteur principal, la concurrence va être de plus en plus rude avec l’apparition de nouveaux acteurs. Amazon Prime Video est déjà l’un de ses concurrents, mais Disney, Facebook et Apple s’y mettent également. Cela va nécessiter un investissement plus important dans les contenus originaux.
Selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel, « si l’on fusionne l’ensemble des offres européennes de Netflix, on trouve 34% de séries européennes (en nombre de titres), et 24% de films européens », cela serait donc une solution pour la plateforme afin d’atteindre le quota de 30%.
Les différentes plateformes devront tout de même acquérir et produire plus d’œuvres européennes afin de respecter les quotas établis par la législation européenne.
En France, TF1, France Télévisions et M6 ont pour but de concurrencer Netflix avec la création d’une offre alternative dénommée « Salto ». Cela conduirait par exemple au retrait de la série française Dix Pour Cent du catalogue proposé par Netflix, ce qui est le souhait de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, qui a affirmé en septembre 2018 ne plus vouloir que les séries de son groupe soient disponibles sur Netflix. Cela amoindrirait alors la quantité d’œuvres européennes proposées par la plateforme américaine en France. Cependant, le fait que la saison 3 de Dix Pour Cent soit proposée dans le catalogue français du géant américain à partir du 12 décembre 2018, soit environ 2 semaines après la fin de sa diffusion sur France 2, semble indiquer que le lancement de la plateforme Salto ne sera pas réalisé dans un futur proche.
Selon des critiques, un projet mené à l’échelle européenne pourrait être plus judicieux afin de concurrencer « le producteur et distributeur américain ».
Quant aux œuvres britanniques, telles que Black Mirror et Peaky Blinders chez Netflix, le Brexit va les rendre non européennes, ce qui rendra encore plus ardue la tâche des services de vidéos à la demande.
Pour finir, si cette nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels imposant des quotas d’œuvres européennes déplait à Netflix et à Amazon, elle pourrait pourtant, sur le long terme, jouer en leur faveur et potentiellement éliminer petit à petit les concurrents n’ayant pas les moyens de respecter ces quotas. Par exemple, concernant Disney et sa future plateforme Disney +, ses contenus restent très peu souvent européens et ce même avec son rachat de Twenty-First Century Fox qui a de plus vendu les parts qu’il détenait dans Sky, l’opérateur de télévision britannique.
Cela risque donc de ne pas être une affaire aisée pour certaines plateformes de vidéo à la demande d’atteindre ce quota de 30% d’œuvres européennes.
Sources :
« En brefs… Adoption par le Parlement européen de nouvelles règles relatives aux services de médias audiovisuels », Revue Lamy Droit de l’immatériel, Numéro 152, Octobre 2018, p.16, consulté le 08 novembre 2018.
TURCAN M.,« Netflix a désormais 137 millions d’abonnés dans le monde, et ça ne va pas s’arrêter », Numerama, mis en ligne le 17 octobre 2018, consulté le 13 novembre 2018 : https://www.numerama.com/pop-culture/432202-netflix-a-desormais-137-millions-dabonnes-dans-le-monde-et-ca-ne-va-pas-sarreter.html
« Netflix et Amazon encore loin des nouveaux quotas européens », BFMTV, mis en ligne 13 octobre 2018, consulté le 17 novembre 2018 : https://www.bfmtv.com/economie/netflix-et-amazon-encore-loin-des-nouveaux-quotas-europeens-1536847.html
« Netflix veut produire plus de séries européennes pour l’international », Challenges, mis en ligne le 7 novembre 2018, consulté le 19 novembre 2018 : https://www.challenges.fr/media/audiovisuel/netflix-plus-de-series-europeennes-pour-l-international_624537
TURCAN M., « Dix Pour Cent saison 3 sera sur Netflix France dès décembre : mais où est Salto.fr ? », Numerama, mis en ligne le 21 novembre 2018, consulté le 22 novembre 2018 : https://www.numerama.com/pop-culture/441214-dix-pour-cent-saison-3-sera-sur-netflix-des-decembre.html
Directive sur les SMA : une avancée en faveur de la création européenne à l’ère du numérique, SACD, mis en ligne le 27 avril 2018, consulté le 22 novembre 2018 : https://www.sacd.fr/directive-sur-les-sma-une-avancee-en-faveur-de-la-creation-europeenne-a-lere-du-numerique-0
JOUX A., « Services linéaires / services non-linéaires », La revue européenne des médias et du numérique, N°1, Février 2007, consulté le 25 novembre 2018 : http://la-rem.eu/glossary/services-lineaires-services-non-lineaires/
« Médias : Fox vend sa participation dans Sky à Comcast », La Tribune, Mis en ligne le 27 septembre 2018, consulté le 25 novembre 2018 : https://www.latribune.fr/technos-medias/telecoms/medias-fox-vend-sa-participation-dans-sky-a-comcast-791901.html
Cours de Droit de la Communication Audiovisuelle de M. Philippe MOURON, 2018.