Les nouveaux accords sur la chronologie des médias
A la suite de l’accord entre Canal + et les différentes organisations du cinéma le 6 novembre 2018, soutenu par le ministère de la culture, le 21 décembre 2018, un nouvel accord sur la chronologie des médias a été signé par les différents acteurs de la filière cinématographique.
A l’issue de cette discussion et de la conclusion de ces accords, un arrêté a été pris le 25 janvier 2019. Cet arrêté étend les accords du 6 septembre 2018 et du 21 décembre 2018.
La chronologie des médias est évoquée pour la première fois dans une recommandation européenne de 1987. Elle est par la suite reprise dans la directive Télévision sans frontière de 1991.
La chronologie des médias consiste en la mise en place d’un délai d’exclusivité afférent aux différents modes d’exploitation (salles de cinéma, vidéo à la demande, télévision…).
Pourquoi avoir mis en place une chronologie des médias ?
Cette chronologie a été pensée dans une visée protectionniste. Elle permet en effet la pérennité des salles de cinéma française, en interdisant une exploitation simultanée d’une œuvre sur différents supports. Sans cette protection, les salles de cinéma seraient probablement les premières à souffrir des nouveaux modes de diffusion du cinéma (Tv, VàD…).
La chronologie des médias fait partie de l’exception culturelle française permettant de conserver et développer la production cinématographique française ainsi que le système de préfinancement des œuvres par des diffuseurs.
Ce système repose à la fois sur le financement par la publicité (il est à noter que certains types de revenus publicitaires sont exclusivement accordés aux salles de cinéma) et à la fois grâce au prix de vente des entrées dans les salles de cinéma.
Par ailleurs, cette chronologie a pour but de maximiser la valeur tirée de l’exploitation de l’œuvre cinématographique. En effet, les premières fenêtres d’exploitations sont celles qui rapportent le plus de bénéfices et les dernières sont celles qui sont accessibles gratuitement et ne rapportent ainsi que très peu de bénéfices.
La chronologie des médias imposée par voie réglementaire semble nécessaire du fait du rôle essentiel qu’elle joue sur le préfinancement des œuvres cinématographiques. En effet, elle permet une approche plus égalitaire entre les producteurs et les diffuseurs, ce qui ne serait pas le cas sans cette chronologie, puisqu’en France, le rapport en force entre les ces deux acteurs est totalement déséquilibré.
Les délais jusqu’à la conclusion des accords et à leur extension
Les modalités des délais d’exploitation ont été fixés par la directive « Services Médias Audiovisuels » de 2007. Ainsi, en France, c’est la loi qui fixe les délais applicables à l’exploitation par DVD. Outre la fixation des délais de base du secteur des vidéos physiques, la directive permet aux différents acteurs du secteur de la vidéo à la demande de passer des accords rendant ainsi possible un éventuel raccourcissement du délai.
C’est donc l’accord interprofessionnel du 6 juillet 2009 qui fixait jusqu’à présent les règles en la matière.
Pourquoi fallait-il changer ?
Aujourd’hui, nous assistons à une véritable accélération de la chronologie dans le monde entier. Les délais d’exploitation se sont particulièrement raccourcis. C’est notamment le cas aux Etats Unis, où la chronologie des médias est issue d’accords entre les différents acteurs et où elle rentre entièrement dans une fenêtre d’un an. Cette différence entre la chronologie à la française et la chronologie dans les autres pays pose le problème de la compétitivité des acteurs français.
Par ailleurs, cette accélération de la chronologie n’est pas seulement souhaitée par les différents acteurs de la diffusion des œuvres cinématographiques, mais également par les consommateurs qui désirent avoir accès plus rapidement après leur sortie en salle aux œuvres en question.
De plus, la longue attente entre la sortie en salle de cinéma et la disponibilité au grand public facilite le piratage, qui met à disposition des utilisateurs une offre gratuite et quasi immédiate. Ainsi, il est probable qu’un raccourcissement des délais permettrait une meilleure lutte contre cette pratique illégale, tout en offrant aux utilisateurs la possibilité de visionner les œuvres bien plus rapidement après leur sortie en salle.
Il est intéressant de noter que certains acteurs comme Netflix ont décidé de se soustraire complètement à cette chronologie en produisant des films qui sont directement diffusés sur la plateforme, sans passer par l’exploitation en salle de cinéma, ce qui leur évite de se conforter à une chronologie qu’ils jugent trop contraignante. Néanmoins, ce modèle atteint certaines limites, notamment lorsque l’un des films est proposé à un festival. En effet, cela a été le cas en 2017, au Festival de Cannes, lorsque 2 films produits par Netflix ont été sélectionnés mais n’ont pas fait l’œuvre d’une diffusion en salle de cinéma. Une polémique était née de cette sélection, et à l’issue de cette discussion houleuse, il avait été décidé que seuls les films respectant le circuit de la chronologie des médias pouvaient être sélectionnés dans ce type de concours.
Ainsi, Netflix perd ici l’avantage du fait de son modèle de production et de distribution.
Pour conclure, même si la chronologie à la française semble poser quelques difficultés, il n’est pas envisageable ni souhaitable, selon le rapporteur Lescure, de l’annihiler complètement. Selon lui, elle doit être modifiée mais bel et bien réaffirmée.
Quels changements ont finalement été apportés ?
Les accords des mois de septembre et de décembre 2018 ont permis un assouplissement du régime de la chronologie des médias, dans le but de faciliter la circulation des œuvres et d’éviter les écueils évoqués plus haut.
Les délais des différentes fenêtres d’exploitation ont été raccourcis de manière générale. Toutefois pour encourager la production cinématographique, les acteurs considérés comme « vertueux » (c’est-à-dire les acteurs qui investissent dans la production française et européenne, qui valorisent les œuvres françaises et européennes, qui sont à jour sur les règles fiscale…) voient leurs délais de diffusion d’autant plus avancés.
Par ailleurs, les accords entre les différents acteurs sont possibles et peuvent déroger à la règle de la chronologie des médias.
La conséquence de ces accords est un avantage non négligeable pour les acteurs du secteur des services de médias audiovisuels à la demande français par rapport aux géants américains Netflix et Amazon Prime notamment.
En effet, Canal + par exemple, voit ses fenêtres d’exploitation passer de 1 an pour les films faisant plus de 100’000 entrées à 8 mois, ainsi que de 10 mois pour les films ayant fait moins de 100’000 entrées à 6 mois.
Sources :
- Rapport Lescure en date du 13 mai 2013
- Arrêté du 25 janvier 2019 portant extension de l’accord pour le réaménagement de la chronologie des médias du 6 septembre 2018 ensemble son avenant du 21 décembre 2018
- « Signature de l’accord sur la chronologie des médias », Communiqué de presse du Ministère de la Culture.
- « La nécessaire chronologie des médias », Michel CONDE, analyse réalisée par le centre culturel Les Grignoux en juin 2017.
- « Chronologie des médias : propositions du CNC », Revue Le Lamy Droit de l’immatériel, Nº 45, 1er janvier 2009.
- « Le grand méchant Netflix », Florence MEURIS, Communication Commerce Electronique n°1, Décembre 2015, Alerte 1.
- « Une chronologie des médias modernisée », Florence MEURIS GUERRERO, Communication Commerce Electronique n°10, Octobre 2017, Alerte 63.
- « Un accord sur la chronologie des médias pourrait être signé jeudi », AFP, 3 septembre 2018.
- Catherine MORIN-DESAILLY, Rapport d’information fait au nom de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur la chronologie des médias, Sénat, 26 juill. 2017, nº 688, 72 p.
- Réforme de la chronologie des médias – Compte-rendu de réunion de l a l a Commission ouverte mixte Droit de la Propriété intellectuelle et Marchés Commission ouverte mixte Droit de la Propriété intellectuelle et Marchés émergents, audiovisuel et droit du numérique du barreau de Paris émergents, audiovisuel et droit du numérique du barreau de Paris du 6 décembre du 6 décembre 2017, par Vincent TECHENE.
- « Chronologie des médias : accord signé au ministère de la Culture », Xavier BERNE, 22 décembre 2018.
- « La nouvelle chronologie des médias devrait réduire le temps que mettent les films à arriver sur (certaines) plateformes de SVOD », Journal du net, Gael WEISS, 5 septembre 2018.
- « Chronologie des médias : un accord signé » Libération, 21 décembre 2018.
- « Chronologie des médias : un nouvel accord signé ce jeudi », Clément CUYER, 6 septembre 2018.
- « Comment fonctionne la nouvelle chronologie des médias ? » Numérama
- Infographie Numérama Chronologie des médias 2019
- Infographie Figaro Chronologie des médias 2019