Proposition de loi AVIA visant à lutter contre les contenus haineux en ligne
Comment le droit français tente-t-il de sanctionner les contenus haineux en ligne ?
Dans le cadre du plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, et notamment de son premier combat, il a été demandé un rapport sur la haine contre les contenus haineux en ligne.
C’est ainsi qu’une consultation des citoyens sur les contenus haineux ou injurieux en ligne a été effectuée préalablement à l’élaboration de la proposition de loi en la matière.
Ce texte a finalement été proposé et accepté en première lecture par l’assemblée nationale au mois de mars 2019, puis par le Sénat au mois de juillet 2019.
Il se compose de différentes dispositions dont le but est de lutter contre ce phénomène de haine et de racisme qui continue à se propager sur l’Internet.
Selon le législateur, cette lutte doit passer par une nécessaire responsabilisation des plateformes : Facebook s’était déjà engagé en ce sens à collaborer avec la justice française pour la répression des contenus haineux.
Néanmoins, d’après les différents experts français qui ont travaillé pour et avec Facebook afin de comprendre au mieux les enjeux auxquels ils font face et leur façon de travailler, il ressort que Facebook ne s’est doté que de très peu de mécanismes de modération efficients.
Ainsi le peu d’algorithmes ayant été mis au point ne sont pas efficaces et les 15.000 personnes dans le monde chargées de cette modération ne peuvent suffire à couvrir convenablement l’ensemble des publications disponibles sur le réseau.
C’est pourquoi il semble utile que le législateur s’emploie à forcer les réseaux sociaux et les grandes entreprises à se doter d’un algorithme ou d’un processus de modération plus efficace.
Néanmoins, de nombreuses controverses ont vu le jour sur les façons de parvenir à une efficience certaine.
En effet, une véritable inquiétude se propage sur une potentielle atteinte à la liberté d’expression.
Selon ces personnes, en cas de doute sur le caractère « manifestement illicite » d’une publication, il sera moins risqué pour la plateforme de la supprimer simplement et purement, afin d’éviter une amende monumentale, pouvant aller jusqu’à 4% de leur chiffre d’affaire.
Les propos incriminés sont les incitations à la haine et les injures à raison de la race, la religion, le sexe ou l’orientation sexuelle.
Ainsi, par peur des représailles administratives, les plateformes pourraient être tentées d’opérer une suppression massive de tous les contenus signalés, y compris ceux qui ne sont pas forcément manifestement illicites : ce qui semble mener directement à un système de censure systématique contraire aux exigences de notre démocratie.
Par ailleurs le délai dans lequel le contenu doit être retiré est de 24h, or il s’agit d’un délai très court, ne permettant pas une analyse poussée du contenu en question, déterminant le caractère illicite ou non de la publication.
Deux possibilités doivent alors être données aux utilisateurs :
- Possibilité pour la personne qui a diffusé de contester le retrait
- Possibilité pour la personne qui a signalé de contester le non-retrait
Cette disposition semble être la barrière aux dérives liberticides qui pourraient découler des amendes prévues par la loi.
Par ailleurs, la deuxième critique porte, comme souvent, sur le rôle du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel), qui se pose plus que jamais comme le “Gendarme du net”.
Cette problématique est issue de la possibilité qui lui est donnée de condamner les plateformes à des amendes (jusqu’à 4% de leur chiffre d’affaire cf infra). Le CSA prend donc la place du juge et c’est lui qui aura le pouvoir d’apprécier le caractère “manifestement illicite” ou non de la publication incriminée.
Enfin, la dernière critique formulée est la question de la privatisation du droit.
Ici, ce sera un organisme privé (une société) qui décidera de ce qui est légal et de ce qui ne l’est pas ce qui peut poser un problème éthique.
Par ailleurs, Mark Zuckerberg a rencontré le chef de l’État plus tôt dans l’année, pour lui faire part de sa vision de ce que devrait contenir la loi en question : selon lui, le plus important est de limiter la diffusion virale des contenus haineux, c’est sur cette problématique de propagation des contenus que devrait se concentrer la proposition de loi.
En outre, il est discuté de la possibilité de prévoir des peines temporaires de non-consultation des réseaux pour les personnes publiant un tel contenu.
Si cette possibilité peut sembler attrayante, une fois encore, elle comporte un risque non négligeable d’atteinte à la liberté d’expression.
Il conviendra alors pour le juge, de se demander si l’atteinte en question est proportionnée et légitime dans une société démocratique.
Néanmoins, cette loi pourrait avoir pour conséquence de développer l’initiative privée dans le secteur de la modération.
En effet, certaines sociétés comme body Guard élaborent des algorithmes permettant de repérer un certain type de contenus haineux (en l’occurrence, il s’agit des contenus de cyberharcèlement) et de les bloquer, ce qui pourrait être souhaitable, puisqu’une alliance entre le secteur privé et le secteur public pourrait possiblement avoir des conséquences favorables sur la lutte contre la publication de contenus haineux en ligne, qui est la volonté première du législateur.
Sources :
- Pierre JANUEL, La proposition de loi contre la haine en ligne remaniée, Dalloz Actualité 21 juin 2019, consulté le 14 août 2019
- PROPOSITION DE LOI visant à lutter contre la haine sur internet, n°1785
- Dossier législatif sur la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet
-
Haine en ligne: l’Assemblée vote la proposition de loi Avia en première lecture, Le figaro, publié le 09/07/2019 et consulté le 14 août 2019
-
Amaelle GUITON, Loi Avia : une large majorité mais de vives inquiétudes, Libération, publié 10 juillet 2019 et consulté le 14 août 2019