La plateforme de vidéo à la demande, Netflix, a récemment mis en ligne les épisodes de la série South Park. Toutefois, les utilisateurs se sont rapidement rendu compte que certains épisodes n’avaient pas été diffusés. En effet, alors que Netflix avait promis de diffuser tous les épisodes, on s’est aperçu que 10 épisodes manquaient. Cela a été d’autant plus remarqué que Netflix et Amazon s’étaient lancés dans une concurrence au sujet de cette série, et que Netflix l’avait finalement emporté en affirmant diffuser le premier tous les épisodes.
La mise en place d’une censure de certains épisodes : une obligation légale ?
Suite à la polémique concernant les épisodes manquants, Netflix a, dans un premier temps, affirmé qu’il y avait eu une censure de certains épisodes, notamment pour des raisons légales. En effet, le 7 octobre 2019, la plateforme s’est expliquée au sujet des épisodes manquant via un premier tweet qui affirmait que « Des épisodes ont été censurés lors de leur toute première diffusion en France. Ils sont considérés comme dénigrants pour certaines communautés par les autorités audiovisuelles locales. On le respecte pour des raisons légales ».
Dès lors, Netflix semblait affirmer que cela était uniquement dû à des raisons légales, et notamment aux autorités audiovisuelles locales. Lorsque la plateforme évoque les autorités audiovisuelles locales, on pense tout de suite au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui est au cœur de la régulation audiovisuelle. Toutefois, cela est contestable car au vu de la situation légale de la plateforme, elle ne fait pas, pour le moment, l’objet d’un contrôle par le CSA.
En effet, le CSA n’a pas de pouvoir de censure a priori sur une diffusion, et encore moins sur une plateforme de vidéo à la demande. En vertu de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le CSA ne peut être que consulté a priori pour donner un avis. Il détient uniquement un pouvoir de recommandation, d’avis, de consultation et d’information. De plus, en l’état actuel du droit, puisque étant une plateforme de vidéo à la demande, Netflix échappe au contrôle du CSA, et cela en vertu de la directive 2010/13/UE dite directive Services de médias audiovisuels, du 10 mars 2010.
En revanche, cela permet de mettre en avant les changements attendus avec la nouvelle directive SMA du 14 novembre 2018. En effet, cette directive qui vient d’être publiée, laisse aux États membres, et notamment à la France, le soin de la transposer jusqu’au 19 septembre 2020. Il s’agit d’une directive d’harmonisation minimale donc il sera laissé au choix des États, la possibilité d’une transposition dans le droit national tel qu’elle ou plus stricte.
Alors qu’auparavant, la directive prévoyait un régime plus souple pour les plateformes de partage de vidéos puisque ne faisant pas partie des services de médias audiovisuels, la directive prévoit aujourd’hui, en les incluant, des obligations renforcées quant à la protection des mineurs, la protection des consommateurs et les quotas d’œuvres européennes. Un service de partage de vidéo à la demande est défini à l’article 1er de la directive de 2018 comme « un service (…) pour lequel l’objet principal du service proprement dit ou d’une partie dissociable de ce service ou une fonctionnalité essentielle du service est la fourniture au grand public de programmes, de vidéos créées par l’utilisateur, ou des deux, qui ne relèvent pas de la responsabilité éditoriale du fournisseur de la plateforme de partage de vidéos, dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer, par le biais de réseaux de communications électroniques au sens de l’article 2, point a), de la directive 2002/21/CE, et dont l’organisation est déterminée par le fournisseur de la plateforme de partage de vidéos, à l’aide notamment de moyens automatiques ou d’algorithmes, en particulier l’affichage, le balisage et le séquencement ».
Dès lors, puisque relevant de la nouvelle directive SMA, ces plateformes pourront se voir contrôler par le CSA. Ce fut d’ailleurs l’un des objets de cette nouvelle directive, à savoir permettre un contrôle aussi efficace que pour la télévision ou la radiophonie. Néanmoins, même avec la nouvelle directive SMA, la solution semble être la même quant à la non-possibilité pour le CSA, en l’espèce, d’empêcher la diffusion a priori d’épisodes, et encore moins de censurer les épisodes comme cela a pu être avancé par Netflix. Cela ne semble pas être dans l’esprit même de la directive que de permettre au CSA d’avoir un tel pouvoir. En effet, l’article 58 du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique privilégie une logique de corégulation et de recommandation.
Au vu de la tonalité de la série et dans une logique de lutte contre les contenus haineux, certains points pourront être complétés par d’autres textes. Il est vrai que l’article 4 de la proposition de loi Avia prévoit, en l’état actuel, un pouvoir de sanction du CSA en cas de manquement au devoir de coopération à la lutte contre ces contenus. En revanche, le CSA ne pourra pas ordonner la suppression des contenus, mais simplement sanctionner la négligence de la plateforme. Donc dans l’hypothèse où un contenu haineux lui aurait été signalé dans la série South Park diffusée sur Netflix, il ne pourrait pas en demander le retrait.
Cela paraît d’autant plus improbable que le CSA lui-même, a répondu, via une porte-parole contactée par Check News, qu’il n’était pas à l’origine de cela et qu’il n’avait en aucun cas les pouvoirs d’obliger Netflix à ne pas diffuser les épisodes de la série. En effet, la porte-parole a affirmé la chose suivante : « Nous avons des prérogatives sur les plateformes vidéo, notamment via la recommandation relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Mais en aucun cas le CSA ne peut se prononcer sur les programmes avant qu’ils ne soient diffusés. Nous pouvons en revanche intervenir a posteriori et la seule décision que nous retrouvons date de 2007 : nous avions en effet réclamé à la chaîne Game One une nouvelle signalétique sur deux épisodes de la saison 10 de South Park. Nous souhaitions qu’ils soient déconseillés aux moins de 12 ans ». Donc la seule décision qui avait été prise à l’encontre de cette série ne concernait qu’une demande de changement de signalétique et non une demande de suppression des épisodes.
L’obligation de ne diffuser que certains épisodes : une obligation des ayants droits ?
Suite au message rendu par le CSA, Netflix a dans un second temps, changé de version. En effet, six heures après son premier tweet, la plateforme a affirmé dans un second tweet la chose suivante : « ERRATUM : Dans notre précédent tweet, nous avons partagé une explication erronée. Les épisodes de South Park disponibles sur Netflix sont, tout simplement, ceux que les ayant droits nous ont proposés. Désolé pour cela ».
Dès lors, Netflix a rejeté la « faute » sur les ayants droits, affirmant que ces derniers ne leur avaient pas autorisé à diffuser tous les épisodes. En effet, d’un pays à l’autre, les droits de diffusion peuvent se négocier différemment. En France, c’est l’entreprise Viacom qui détient les droits de la série puisque la série est diffusée depuis des années sur Game One. Dès lors, Netflix n’a pas d’exclusivité sur la série et l’entreprise Viacom peut décider de ne pas offrir tous les épisodes à la plateforme. Cela fait notamment écho à la situation de Netflix au Royaume-Uni et en Irlande, puisque n’ayant pas obtenu tous les droits, ils n’ont pas diffusé tous les épisodes sur la plateforme.
Une communication qui semble être confuse et peu convaincante.
A la suite de la polémique concernant le retrait de certains épisodes de la série South Park et de la communication de la plateforme à ce sujet, le 11 octobre 2019, tous les épisodes de la série ont finalement été diffusés sur la plateforme. En revanche, il n’y a eu aucune communication quant à ce changement soudain, ni de la part de la plateforme, ni de la part des ayants droits.
Cela semble alors démontrer les limites de la communication de la plateforme qui n’a pas été suffisamment convaincante. D’autant plus qu’on s’est aperçu que les épisodes en question n’avaient pas été simplement supprimés puisque la plateforme avait également fait en sorte de changer les numéros des épisodes diffusés, de sorte que personne ne remarque le manque de certains épisodes.
Ensuite, les arguments avancés par Netflix peuvent être critiqués et semblent démontrer une communication confuse. En effet, alors que Netflix est installé aux Pays-Bas et non en France, et cela dans l’idée de ne pas être entièrement soumis à la régulation et à la réglementation française, il semble difficile de croire que la plateforme utilise comme excuse, le CSA. Certes, on peut être amené à dire qu’au vu de la nouvelle directive SMA, Netflix cherche à respecter, en amont, la réglementation française pour ne pas se voir sanctionner mais cela semble peu probable.
De plus, l’argument concernant les épisodes autorisés ou non par les ayants droits semble évasif puisque au final, tous les épisodes ont été diffusés. Dès lors, est-ce que les ayants droits ont subitement changé d’avis et ont permis à la plateforme de diffuser tous les épisodes ou est-ce simplement le fruit d’une mauvaise communication de la plateforme ?
En conclusion, Netflix, qui est la première plateforme de vidéo à la demande, se voit reprocher une communication peu convaincante et confuse qui ne semble pas satisfaire la majorité des utilisateurs et des professionnels. Cela est d’autant plus marqué dans une période où la plateforme semble perdre quelque peu sa place sur le marché, notamment dû à la forte concurrence des nouvelles plateformes et à la légère baisse des utilisateurs. Toutefois, cela peut être nuancé puisque Netflix reste la première plateforme mondiale, et en France, son alliance avec Canal +, semble démontrer que la plateforme continue de mettre en place une concurrence forte et déséquilibrée.
Sources :
Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dite Loi Léotard
Directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels dite directive Services de médias audiovisuels
Directive (UE) 2018/1808 du Parlement Européen et du Conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive «Services de médias audiovisuels»), compte tenu de l’évolution des réalités du marché
Décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel, 26 juin 2007, Série South Park sous-classifiée : Game One mise en garde
« En prenant la route de « South Park », Amazon et Netflix n’ont pas oublié toutes les galères », Le Monde, 8 octobre 2019
COCK M., « Médias audiovisuels : la nouvelle directive est publiée », Droit & Technologies, 7 janvier 2019
CONDOMINES A., « Pourquoi certains épisodes de « South Park » sont-ils « censurés » sur Netflix ? », Libération, 7 octobre 2019
DEVILLIERS S., « Des épisodes de « South Park » censurés en France ? », France Inter, 8 octobre 2019
POPELIER T., « Netflix met finalement en ligne les épisodes censurés de South Park », Clubic, 11 octobre 2019
SAVIANA A., « Comment le CSA et l’Union européenne veulent dompter Netflix & cie », Marianne, 20 septembre 2018
TURCAN M., « Pourquoi des épisodes de South Park ont-ils été censurés sur Netflix France ? », Numerama, 7 octobre 2019
TURCAN M., « South Park sur Netflix France : les épisodes « censurés » ont finalement été ajoutés », Numerama, 11 octobre 2019