Droit voisin des éditeurs de presse : Le refus de Google de les rémunérer

Le 25 septembre 2019, Google a fait connaître les modifications que la firme allait prendre afin de se conformer à la directive européenne 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique qui modifie les directives 96/9/CE et 2001/29/CE. Les changements annoncés lui permettent de respecter la directive européenne tout en contournant l’ambition de l’article 15 sur la protection des publications de presse en ce qui concerne les utilisations en ligne. A travers cet article, il y a la volonté de créer un droit voisin pour pouvoir rémunérer les éditeurs de presse à l’échelle européenne. L’objectif étant de redresser les problèmes économiques que connait le monde de la presse, au regard des nouveaux enjeux numériques.

Pour éviter de rétribuer les éditeurs de presse, Google a choisi de retirer des éléments qui sont concernés par cette rémunération tels que : les images, les vidéos, ou les extraits d’articles qui accompagnent le lien de l’article. Par conséquent, ces éléments vont être supprimés malgré tout Google a décidé de continuer à référencer les articles de presse mais uniquement avec le titre et le lien hypertexte, que ce soit dans Google Actualité et dans les résultats du moteur de recherche. Pour que ces éléments reviennent, les éditeurs de presse doivent donner expressément leurs accords ce qui revient à céder leurs droits voisins gratuitement.

Une telle position a eu pour conséquence de pousser certains médias à accepter l’utilisation gratuite des éléments qui étaient touchées par la rémunération pour ne pas voir leurs audiences chuter, notamment le Monde. Google se trouve être dans une position de force en raison de la forte dépendance des éditeurs de presse en vertu de leur lectorat européen.

La position de Google de refuser de se plier à la directive est-elle si surprenante ?

L’un des arguments mis en avant pour justifier la position de Google face à la rémunération des titulaires du droit voisin, concerne le trafic que génère le moteur de recherche. De façon récurrente, le géant américain considère que son système de moteur de recherche agit comme un promoteur de contenus qui favorise le référencement des articles, et de cette façon ce dernier n’a pas à rémunérer les éditeurs de presse. Or, le fait d’évoquer le moteur de recherche comme étant seulement un prometteur de contenu serait une erreur, il ne faut pas passer sous silence les effets de substitution qu’engendre Google. Souvent, le trafic est détourné dès lors que les extraits utilisés permettent d’avoir l’essentiel de l’article et n’obligent pas l’internaute à alimenter le circuit de l’éditeur et de cette manière, il y a moins de revenus publicitaires et moins de visites malgré cette promotion de contenu.

La position de Google de refuser de se plier à la directive européenne n’est pas si surprenante au vu de ses antécédents sur la question de la rémunération des titulaires des droits voisins. En 2014, la firme avait déjà entamé un « bras de fer » avec l’Allemagne et l’Espagne. Ces deux pays ayant adopté des lois similaires à cette directive européenne mais ont échoué à faire respecter leurs lois nationales. Le site Google actualité a tout simplement disparu en Espagne mais pour le cas de l’Allemagne, les éditeurs de presse ont cédé leurs licences de droit voisin à zéro euro pour éviter tout déréférencement dans les services proposés par Google. Le dessein de cette directive était d’avoir un rapport de force plus équilibré entre les États membres de l’Union Européenne et le géant du numérique qui est Google, le but étant de ne plus intervenir avec un droit uniquement national et inefficace face à ce mastodonte.

Un futur bras de fer envisagé entre Google et la presse Française plus l’Union européenne ?

À la suite de cette annonce concernant les futures modifications qu’allaient entreprendre Google dès la mise en vigueur de la directive, de nombreuses réactions ont pu être constatées en allant du président de la République, au Secrétaire d’État chargé du Numérique de la République française ou encore l’Alliance de la presse d’information générale, créée le 19 Septembre 2018. La dernière action, la plus récente sur le sujet concerne la lettre ouverte du 22 octobre 2019 qui cible Google et son comportement vis-à-vis du monde de la presse, cette dernière ayant été signée par des journalistes européens et des artistes.

À l’heure actuelle, la France est le premier pays à avoir transposé cette directive dans son droit national, l’article 15 ayant été élargi à travers la LOI n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. Cette loi est entrée en vigueur le 24 octobre 2019. Malheureusement, la rapidité avec laquelle la France a transposé la directive, va lui porter préjudice. Cette dernière va se retrouver isolée pour faire valoir les droits voisins des éditeurs de presse et des agences de presse. Nous sommes loin du rapport de force envisagé avec la création de cette directive, à l’heure actuelle il s’agit plutôt d’un droit national contre Google qui est en position de force.

Les modifications de Google lui permettent de ne pas entrer dans le champ d’application du droit voisin en contrepartie une action sur le plan du contentieux peut être envisagée. Début octobre, l’autorité de la concurrence à son initiative a décidé d’ouvrir une enquête exploratoire à la suite de la prise du communiqué de Google et les règles que ce dernier allait mettre en place. Sur le marché des moteurs de recherches liées à l’actualité, Google peut user d’une position de force dominante. L’Alliance de la presse d’information générale a décidé de réagir contre Google en déposant des demandes de mesures conservatoires ainsi qu’une plainte sur le fond auprès de l’autorité de la concurrence pour abus de position dominante.

Source :

  • CADOT J., « Directive droit d’auteur : Google ne paiera pas les médias pour mieux les afficher », Numerama, 25 septembre 2019
  • CADOT J., « Pourquoi nous ne voulons pas que Google nous paie pour référencer nos articles », Numerama, 23 octobre 2019
  • LAUSSON J., « La décision de Google de ne pas payer les médias pour les référencer intrigue l’Autorité de la concurrence », Numerama, 03 octobre 2019
  • LAUSSON J., « Droit d’auteur : le gouvernement s’emporte contre Google qui ne veut pas payer la presse pour des liens », Numerama, 26 septembre 2019
  • Le Monde avec AFP « Tout comprendre au droit voisin, au centre du contentieux entre Google et les médias », Le Monde, 23 octobre 2019
  • PIQUARD A., « Droits d’auteur de la presse : Google engage un bras de fer », Le Monde, 25 septembre 2019
  • RENAULT E. et WOITIER C., « Droits voisins pour la presse : Macron et Merkel font pression sur Google », Le Figaro, 16 octobre 2019 puis mis à jour le 17 octobre 2019
  • RENAULT E. et WOITIER C., « Droits voisins : la presse française attaque Google devant l’Autorité de la concurrence », Le Figaro, 24 octobre 2019