Chaque automne, le Gouvernement présente le projet de loi de finances (PLF) qui comporte l’ensemble des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’année à venir.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été saisie en urgence, fin août, d’une demande d’avis relative au projet d’article 9 du PLF pour 2020, devenu l’article 57 du texte déposé à l’Assemblée nationale fin septembre.
Il est ainsi prévu la possibilité pour l’administration fiscale ainsi que pour l’administration des douanes de collecter et d’exploiter, au moyen de traitements informatisés, les contenus accessibles, sur internet, par les utilisateurs des opérateurs de plateformes en ligne. Ce dispositif inédit a pour ambition de s’étendre, de manière expérimentale, sur trois années.
Plus précisément, il serait question de plateformes en ligne permettant la mise en relation entre plusieurs utilisateurs en vue de la vente d’un bien ou de la fourniture d’un service. De manière concrète, des plateformes telles que Facebook, Instagram ou Leboncoin seraient dans le viseur.
Énoncée à l’exposé des motifs de l’article 57, cette volonté d’instaurer un tel dispositif est expliquée en raison de l’accroissement des activités économiques prohibées sur les réseaux sociaux et les plateformes en ligne permis, notamment, par l’utilisation des outils numériques et le sentiment d’impunité qu’offre internet.
Toutefois, dans sa délibération n°2019-114 du 12 septembre 2019 rendue publique le 30 septembre 2019, la CNIL a exposé les raisons de sa réticence face à cette future collecte massive des données des contribuables.
Bien que la lutte contre la fraude fiscale soit un objectif à valeur constitutionnelle, la CNIL considère que les traitements envisagés seraient de nature à se confronter aux libertés et droits fondamentaux des personnes avec, d’une part, des répercussions sur la liberté d’expression et d’opinion et, d’autre part, une atteinte au droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel.
La CNIL énonce, alors, que l’un des enjeux majeurs est la stricte proportionnalité des données collectées au regard de la finalité poursuivie. Il conviendrait, ainsi, d’effectuer une mise en balance entre ces libertés et droits fondamentaux des utilisateurs et la lutte contre la fraude fiscale.
De plus, la Commission soulève que les caractéristiques des traitements sont susceptibles d’entraîner la collecte et le traitement des données non pertinentes au regard de la finalité poursuivie. Un risque s’ajoute lorsque les données sont, a fortiori, sensibles comme par exemple les informations révélant les opinions politiques, l’appartenance syndicale ou encore les convictions religieuses.
La CNIL estime alors que seules les données publiées par les utilisateurs inscrits sur les plateformes et qui les concernent directement devraient être collectées.
Le projet d’article prévoit, à cet égard, la destruction des données collectées dans un délai d’un an à l’issu de leur collecte. La Commission ne remet pas en cause ce délai mais exige, malgré tout, à ce que les données non pertinentes soient supprimées immédiatement dès la fin de leur collecte.
Ayant pris en considération cette exigence, l’article 57 modifié dispose que les autres données seront, alors, détruites dans un délai de trente jours.
Par ailleurs, bien que l’article n’envisage pas d’employer des dispositifs de reconnaissance faciale, la CNIL demande expressément l’impossibilité d’y recourir.
Quant aux infractions visées, la Commission estime notamment que les contraventions douanières de 2ème et 3ème classe prévues, respectueusement, à l’article 411 du Code des douanes pour les marchandises passibles de droit ou taxe et, à l’article 412 du Code des douanes concernant les marchandises litigieuses, ne justifieraient pas d’une telle collecte des données.
Enfin, l’article 57 modifié prévoit de faire parvenir un bilan six mois avant le terme de l’expérimentation auprès du Parlement et de la CNIL. Cette dernière énonce que ce bilan devra comporter, a minima, un certain nombre d’éléments, comme par exemple, la liste exhaustive des sites ou sources internet sur lesquels les données auront été collectées.
Néanmoins, la CNIL reste attentive aux suites de ce dispositif ainsi qu’aux conditions effectives de sa mise en œuvre puisque la version finale de la loi sera publiée au Journal Officiel à la fin de l’année.
En parallèle, près de 42 amendements visant l’article 57 ont été déposés, dernièrement, par des députés dont certains réclamaient jusqu’à la suppression de l’article.
En effet, saisie au fond, la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire a adopté plusieurs amendements, notamment, présentés par M. Joël Giraud, député des Hautes-Alpes et rapporteur général de cette Commission.
Concernant le 1er alinéa :
Tout d’abord, les références aux articles 411 et 412 du Code des douanes ont été supprimées en écartant les infractions les moins graves et les plus nombreuses mais, le renvoi à l’article 1729 du Code général des impôts sur les insuffisances de déclaration est conservé.
Deuxièmement, la disposition « les contenus, librement accessibles» est, dorénavant, suivi de « sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne mentionnés au 2° du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, manifestement rendus publics par leurs utilisateurs » de manière à restreindre la collecte des informations.
Concernant le 3ème alinéa :
Dès à présent, est rajouté la précision « strictement nécessaires » aux données collectées de nature à concourir à la contestation d’un manquement fiscal ou d’une infraction douanière.
Concernant le 7ème alinéa :
Est rajouté à l’alinéa la disposition suivante : « Ce décret précise […] les conditions dans lesquelles la mise œuvre des traitements […] est proportionnée aux finalités poursuivies et les donnés collectées sont adéquates, pertinentes et […] limitées à ce qui est nécessaire ou non excessives. », permettant ainsi de renforcer la proportionnalité du dispositif.
Concernant le 8ème alinéa :
En plus du bilan prévu, un bilan intermédiaire dix-huit mois avant le terme de l’expérimentation a été rajouté.
C’est dans les jours à venir que les amendements adoptés par la Commission des finances seront examinés, en séance publique, à l’Assemblée nationale afin de rendre favorable l’article 57 du PLF en vue de lutter contre le trafic de marchandises, l’activité professionnelle non déclarée, la domiciliation fiscale frauduleuse
Mais, le cheminement n’est pas encore fini puisqu’une fois le texte adopté par l’Assemblée nationale, le Sénat dispose de 20 jours pour discuter et adopter le PLF. Si le texte n’est pas adopté à l’Assemblée nationale alors le Gouvernement transmet le texte initial au Sénat qui détient 15 jours pour discuter et adopter le PLF.
Dès lors que le texte est définitivement adopté au Parlement, le Conseil constitutionnel opère son contrôle de constitutionnalité. L’article 57 du PLF pourra alors faire l’objet d’une censure ou bien être déclaré conforme à la Constitution.
Pour conclure, la délibération de la CNIL accentue la légitimité de son statut d’autorité administrative indépendante puisque les rectifications envisagées de l’article 57 du PLF pour 2020 semblent s’aligner sur ses réticences.
Sources :
- Article 57 du projet de loi de finances pour 2020, p. 220, assemblee-nationale.fr
- Article 411 du Code des douanes, legifrance.gouv.fr
- Article 412 du Code des douanes, legifrance.gouv.fr
- Article 1729 du Code général des impôts, legifrance.gouv.fr
- Article 8 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, legifrance.gouv.fr
- Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, Legifrance.gouv.fr
- Article 47 de la Constitution du 4 octobre 1958, Legifrance.gouv.fr
- Amendement n°II-CF1515, article 57, PLF pour 2020 (n°2272), assemblee-nationale.fr
- Amendement n°II-CF1518, article 57, PLF pour 2020 (n°2272), assemblee-nationale.fr
- Amendement n°II-CF1517, article 57, PLF pour 2020 (n°2272), assemblee-nationale.fr
- Amendement n°II-CF1186, article 57, PLF pour 2020 (n°2272), assemblee-nationale.fr
- Amendement n°II-CF1516, article 57, PLF pour 2020 (n°2272), assemblee-nationale.fr
- Amendement n°II-CF1273, article 57, PLF pour 2020 (n°2272), assemblee-nationale.fr
- Dossier loi de finances 2020, assemblee-nationale.fr
- Décision n°99-424 DC du 29 décembre 1999, conseil-constitutionnel.fr
- Délibération n°2019-114 du 12 septembre 2019 de la CNIL portant avis sur le projet d’article 9 du projet de loi de finances pour 2020, cnil.
- Exposé des motifs de l’article 57 du projet de loi de finances pour 2020, p.220 – 221, assemblee-nationale.fr
- Projet de loi de finances (PLF) : qu’est-ce que c’est ?, gouvernement.fr
- Collecte massive des données des contribuables, la CNIL recadre le Gouvernement, Maximin N., Dalloz actualité, IP/IT et communication, dalloz-actualite-fr
- Le fisc va-t-il collecter les données Facebook de tous les français ?, Januel P., Dalloz actualité, IP/IT et communication, dalloz-actualite.fr
- Impôts : la majorité limite la traque des fraudeurs fiscaux sur les réseaux sociaux, Mediavilla L., Les Echos, lesechos.fr