Un Décret-Loi espagnol permettant au gouvernement la fermeture administrative de sites-web

Le nouveau décret-loi du gouvernement par intérim élargit son pouvoir sur Internet et constitue une réponse à la “République numérique catalane” du gouvernement Torra.

Le Gouvernement Espagnol dispose maintenant de l’outil législatif nécessaire au blocage des services de communication électronique et ce sans mandat depuis l’adoption de diverses modifications législatives dans un Décret-Loi 14/2019 visant particulièrement « l’indépendance en ligne » des séparatistes Catalans.

À première vue, le décret-loi 14/2019 publié le 5 Novembre 2019 n’a rien de remarquable. Il se concentre sur différents aspects du transfert de données à caractère personnel, notamment entre administrations; principalement de manière à mettre la loi en accord avec la réglementation européenne.

La véritable controverse se situe particulièrement au chapitre IV du Décret-Loi, qui fait référence aux mesures de sécurité des télécommunications. C’est là que le gouvernement par intérim a réagi à la prétendue “République numérique Catalane”, projet du gouvernement de Quim Torra d’organiser une sorte d’État parallèle à la communauté autonome catalane.

En effet, le but principal de ces modifications législatives mises en œuvre par le gouvernement espagnol est de couper court aux projets des indépendantistes Catalans de « République Numérique du Catalan »

Dans un Tweet du 5 Novembre 2019, l’ancien président du gouvernement Catalan Carles Puidgemont critique ce texte imposé « de force » quelques jours avant les élections nationale du 10 Novembre 2019

Ce dernier avait aussi émis l’idée, à travers son parti politique « Junts per Catalunya », de la création d’une « République Numérique du Catalan » parallèlement à l’indépendance effective de la Catalogne.

Que ce soit une simple propagande pour l’indépendance ou une tentative sérieuse de créer un gouvernement alternatif fait l’objet d’un débat, mais en réponse quasi-immédiate, le décret-loi publié à présent, sans navette parlementaire, est la réponse promise par Pedro Sánchez, qui pourrait avoir des conséquences allant au-delà de la lutte contre l’indépendance. Parce que ce décret parle de pouvoirs qu’un gouvernement démocratique n’a jamais eu en Espagne.

Entres autres raisons invoquées, ces modifications législatives seraient justifiées par « les récents et sérieux évènements ayant eu lieu sur une partie du territoire Espagnol » sans nommer directement la Catalogne.

Ces modifications normatives permettent au gouvernement Espagnol de mettre en œuvre le blocage et la suppression, sans audition ni ordonnance du tribunal et de manière préventive, tout type de communication électronique pour des raisons d’ordre public, de protection civile, d’urgences, de préservation de la vie humaine ou d’interférence avec d’autres réseaux de communication.

Le gouvernement en mesure de fermer des sites-web

Plus précisément, le décret modifie la loi générale sur les télécommunications afin d’ajouter davantage de cas dans lesquels le gouvernement pourrait fermer des pages Web et bloquer des serveurs sans qu’une ordonnance du tribunal soit nécessaire.

Le nouveau décret-loi élargit les situations possibles dans lesquelles le gouvernement pourrait empêcher l’accès à certains services. Les cas les plus frappants sont les cas de menaces graves contre l’ordre public, la sécurité publique et la sécurité nationale ; définitions qui pourraient s’inscrire dans la création d’une éventuelle “république numérique” indépendante.

Mais l’ajout le plus controversé concerne peut-être des cas dans lesquels le service crée des problèmes économiques ou opérationnels pour d’autres fournisseurs ou utilisateurs. Par conséquent, le gouvernement a revendiqué le droit de fermer des pages Web affectant des sociétés privées.

En faisant de la clôture d’un site-web un acte purement administratif, le gouvernement s’arrange afin que le pouvoir judiciaire n’intervienne jamais.

Un juge n’aura pas à approuver la clôture ni à veiller à ce que des droits constitutionnels tels que la liberté d’expression ne soient pas violés.

La région contre l’État

Les nouveaux textes imposent que tout serveur qui utilisent des données issues de l’administration public espagnol doivent se situer à l’intérieur de l’U.E. afin d’éviter les fuites de données et accroitre le contrôle sur ces dernières.

L’opinion du premier ministre espagnol est la suivante : les données de l’administration publique ne doivent pas être contrefaites, il ajoutera ensuite que le gouvernement de la Generalitat de Catalogne « utilise ces données pour leur république digitale afin de déstabiliser l’État depuis Internet ».

En pratique, la nouvelle législation sera compliquée à mettre en place ; le souci résidant dans la difficulté inhérente au contrôle et la suppression de contenu en ligne hébergé dans des « paradis numériques » tel que le Belize, la Russie.

Les nouvelles dispositions retirent aussi le droit aux autorités publiques d’implémenter dans leurs fonctionnement des technologies tel que le principe de blockchain, allant une fois encore à l’encontre de la Catalogne qui présenter en septembre son projet d’application « IdentiCAT », sorte de carte d’identité numérique utilisant des technologies blockchain et un registre décentralisé, garantissant le « plus haut niveau de protection de l’identité conformément à la loi espagnole sur la protection des données personnelles

Ainsi, il est maintenant établi que ce dispositif est illégal et que seul le document d’identité nationale pouvait être utilisé « de quelques manières que ce soit »

Vers une application digitale de l’article 155 de la constitution espagnole

D’après le Ministre Catalan du Numérique, le gouvernement espagnol utilise le prétexte de sécurité nationale comme une excuse pour « bloquer tout projet numérique relatif à l’indépendance, au pays Catalan » et ajoutera par la suite « Nous sommes les témoins d’un {article} 155 numérique ».

L’article 155 de la constitution espagnole permet au gouvernement de prendre des mesures exceptionnelles afin de rétablir l’ordre constitutionnel menacé, et ceux dans toutes les régions du pays. Des mesures similaires existent actuellement dans les constitutions d’Allemagne, Suisse, Italie, Portugal…

En octobre 2017, l’ancien gouvernement espagnol (dont l’orientation politique est centre-droite) sous la houppette de Mariano Rajoy ainsi que la minorité socialiste ont invoqués l’article 155 afin de dissoudre le Cabinet Catalan de Mr. Puidgemont.

Le ministre du numérique Catalan, Mr. Puignero, a annoncé, à l’issu de la publication du Décret-Loi, qu’une stratégie offensive sera mise en place par son cabinet et ceux dans les secteurs légaux et politiques afin de défendre les compétences du Gouvernement Catalan sur le sujet du Numérique. Il ajoutera ensuite que les mesures du gouvernement espagnol  « se rapproche de ceux de gouvernement tel que la Chine que de la tradition politique Européenne ».

Cette décision fait partie d’une offensive bien plus lourde des autorités espagnol en matière d’activité en ligne, et notamment les activités entretenues par les séparatistes.

En effet, le mois dernier, « GitHub », une plateforme de développement informatique possédée par Microsoft, a était la cible d’une injonction des tribunaux espagnol afin de retirer le code source d’une application visant à organiser des « rassemblements de protestations politiques ».

Le gouvernement espagnol a aussi fait état de ces inquiétudes concernant les élections nationale à venir, et notamment l’état de l’ordre dans la Generalitat Catalogne.

 

Sources :

https://www.boe.es/boe/dias/2019/11/05/pdfs/BOE-A-2019-15790.pdf Décret-Loi relatif à la sécurité intérieur en matière d’administration numérique – Bulletin officiel de l’état, 5 Novembre 2019

https://www.elespanol.com/omicrono/software/20191106/internet-manos-gobierno-puede-cerrar-cualquier-sin/442455997_0.html Internet, en manos del Gobierno: cómo puede cerrar cualquier web sin un juez, Adrian Raya, 6 novembre 2019

https://cronicaglobal.elespanol.com/pensamiento/zona-franca/republica-digital-catalana-t-mobilitat_195781_102.html La república digital catalana, Cristina Farrès, 31 octobre 2018

https://twitter.com/KRLS/status/1191996860141051904 Carles Puidgemont, 6 Novembre 2019

https://euobserver.com/news/146540 Spain passes law to kill off ‘online’ Catalan republic, Elena Sanchez Nicolas, 6 Novembre 2019