La chaîne LCI a écopé d’une mise en garde de la part du Conseil supérieur de l’audiovisuel pour avoir diffusé un reportage mensonger sur des vidéastes de la plateforme Youtube.
LCI avait diffusé un reportage sur le tourisme noir à Tchernobyl. Il l’avait illustré avec le documentaire d’un collectif de vidéastes, les faisant passer pour des touristes en quête de frissons. Le reportage en question avait été diffusé sur la chaîne le 20 juin 2019. Il portait sur le « tourisme noir » dans la zone contaminée de Tchernobyl. Il est vrai que des touristes se rendent régulièrement sur ce lieu, et c’était particulièrement le cas au moment de la réalisation du reportage, à cause du succès de la série dédiée à la catastrophe nucléaire. Cependant, la chaîne avait illustré ses propos avec des images qui n’avaient pas de lien avec le tourisme : celles d’un documentaire réalisé par le collectif de vidéastes Mamytwink (composé de Mamytwink, Zecharia et François). LCI les faisait passer pour des touristes en mal de sensations fortes, alors qu’ils réalisaient une enquête fouillée sur l’histoire de Prypiat, une ville proche de la centrale nucléaire de Tchernobyl.
Un membre du collectif avait réagi sur Twitter le jour de la diffusion : « Ce qui est de mauvais goût, c’est d’utiliser les images de notre documentaire qui a pour but de parler de l’histoire de la catastrophe et de témoigner de l’état de la zone d’exclusion 33 ans plus tard, avait-il écrit. Vous détournez les propos de notre vidéo, c’est malhonnête ». Il ajoutait ensuite : « Contrairement à ce que vous affirmez, mon documentaire n’a pas pour objectif de donner mes bons plans vacances dans la ville fantôme de Prypiat (…) Quelle honte de partager un tel tissu de mensonges sur une chaîne nationale ! », concluait Mamytwink au nom de son équipe.
Le CSA a été saisi par « de nombreux téléspectateurs » selon le communiqué. Il a rendu son verdict le 28 octobre 2019 en faveur des youtubeurs et LCI a écopé d’une mise en garde pour le reportage diffusé dans l’émission Audrey & Co.
- Une sanction pour non respect des obligations relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes s’y rattachant
Tout d’abord, rappelons que depuis la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, a été confié au Conseil supérieur de l’audiovisuel la mission de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent. Afin de garantir les objectifs fixés par cette loi, le CSA dans une délibération du 18 avril 2018 a exposé certaines obligations étant à la charge des éditeurs d’un service de communication audiovisuelle.
Dans l’article premier de ladite délibération, c’est une obligation d’honnêteté que se voit imposer l’éditeur d’un service de communication audiovisuelle. En réalité, cette obligation recoupe plusieurs comportements que doit adopter l’éditeur : « L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle doit assurer l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent. Il veille à éviter toute confusion entre information et divertissement (…) L’éditeur garantit le bien-fondé et les sources de chaque information. Dans la mesure du possible, l’origine de celle-ci doit être indiquée. L’information incertaine est présentée au conditionnel. Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. Il veille au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne. »
L’article 2 quant à lui, peut être perçu comme un« guide d’application » du premier article. En effet, cet article 2 donne des indications quant à la manière dont doivent être traitées les informations recueillies puis diffusées par l’éditeur de service de communication audiovisuelle : « L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle veille à l’adéquation entre le contexte dans lequel des images, des propos ou des sons ont été recueillis et le sujet qu’ils viennent illustrer (…) Dans les émissions d’information, l’éditeur s’interdit de recourir à des procédés permettant de modifier le sens ou le contenu des images, des propos ou des sons. Dans les programmes qui concourent à l’information, sous réserve de la caricature ou du pastiche clairement présentés comme tels au public, lorsqu’il est fait usage de tels procédés, ceux-ci ne peuvent déformer le sens ou le contenu initial des images, des propos ou des sons recueillis, ni abuser le public. »
LCI relevant de la qualification d’éditeur de service de communication audiovisuelle se doit donc de respecter les diverses obligations figurant dans la délibération. Néanmoins, comme mentionné précédemment, la chaine d’information lors de l’émission s’est servie, pour illustrer son propos, des documentaires sur Tchernobyl et Fukushima des YouTubeurs Mamytwink et Le Grand JD. Détournant complètement la visée initiale de leurs vidéos, LCI a commis plusieurs impairs et imprécisions à leur propos, déclenchant une vague de protestation de la part des fans des YouTubers, mais aussi de manière plus large, de l’ensemble des communautés proches de ces Youtubeurs. Sur Twitter, la page de LCI avait alors rapidement été envahie de messages copié/collés d’un post de Mamytwink en réaction à la diffusion de cette chronique (mentionné ci dessus). A la suite des nombreuses requêtes formées par les internautes, le CSA a rendu le 28 octobre 2019 une décision favorable aux youtubeurs.
Ainsi, dans sa décision « Reportage sur le “tourisme noir” diffusé le 20 juin 2019 : LCI mise en garde », le CSA a conclu que la chaine d’information LCI avait manqué à ses obligations relatives à l’honnêteté et l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent. En effet, La Haute Autorité a pu retenir que « S’agissant de l’honnêteté et de la rigueur dans la présentation et le traitement de l’information, le CSA a relevé que la chronique comprenait des propos laissant entendre que le collectif Mamytwink était adepte du « tourisme noir » et que l’œuvre faisait la promotion de cette pratique. Or, ni l’extrait diffusé au cours de l’émission, ni le documentaire dans son ensemble ne visaient cet objectif. Par conséquent, il a considéré que l’éditeur avait manqué à ses obligations d’assurer l’honnêteté de l’information, de faire preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information, et de veiller à l’adéquation entre le contexte dans lequel les images ont été recueillies et le sujet qu’elles viennent illustrer. »
A la lecture de cette décision on pourrait se réjouir que le CSA, sur requête des internautes, contraigne les éditeurs de service de communication audiovisuelle à respecter leur obligations quant à l’honnêteté, la rigueur et le traitement de l’information. En effet, constater qu’un mouvement issu des réseaux sociaux, aboutisse à la décision d’une autorité administrative indépendante, démontre le réel impact « de la citoyenneté numérique » sur notre système politique. De plus, l’émission s’est déroulée le 20 juin 2019, et le CSA a rendu sa décision le 28 octobre 2019, seulement 4 mois plus tard, mais au regard de la durée de certains délais de droit commun, de droit de réponse de l’administration ou de toute autre institution étatique, on ne peut qu’être agréablement surpris. Toutefois, cette réjouissance semble être de court durée car le CSA n’a prononcé qu’une sanction symbolique à l’encontre de la chaine télévisée.
- Une sanction (malheureusement) symbolique
Dans ladite décision le CSA se prononce certes en faveur des youtubeurs, mais ne sanctionne pas pour autant LCI, il ne s’agit que d’une mise en garde : « Le CSA a donc mis en garde les responsables de la chaîne contre le renouvellement d’un manquement aux obligations figurant aux articles 1er et 2 de la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 ». C’est donc seulement, et seulement si la chaine télévisée manque une nouvelle fois aux obligations figurants aux articles 1 & 2 de la délibération du 18 avril 2018 qu’elle se verra appliquer une sanction. L’avertissement est en réalité plus une mise en garde pour manquement de rigueur dans le traitement de l’information. Il ne s’agit, donc pas d’une réelle sanction, mais simplement d’un rappel à faire preuve de plus de rigueur lors de leur reportage.
Par ailleurs, même s’il ne s’agit que d’une simple mise en garde, elle n’est pas sans incidence pour LCI puisqu’en cas de nouveau manquement aux obligations des articles 1 & 2 de la délibération, en application de l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 : « Si la personne faisant l’objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l’objet d’une mise en demeure, une des sanctions suivantes : 1° La suspension, pour un mois au plus, de l’édition, de la diffusion ou de la distribution du ou des services, d’une catégorie de programme, d’une partie du programme ou d’une ou plusieurs séquences publicitaires ; 2° La réduction de la durée de l’autorisation ou de la convention dans la limite d’une année ; 3° Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d’une suspension de l’édition ou de la distribution du ou des services ou d’une partie du programme ; 4° Le retrait de l’autorisation ou la résiliation unilatérale de la convention. » On peut donc constater que cette mise à demeure qui de prime abord apparait comme symbolique, peut se transformer en une réelle sanction en cas de renouvellement des manquements. Ainsi, au vu de l’ampleur de certaines des sanctions prononçables par le CSA, on comprend que dans un premier temps, l’éditeur de service de communication audiovisuelle écope seulement d’une mise en demeure.
Toutefois, cet incident, n’est pas le premier, il reflète, en effet la fracture entre les nouveaux moyens de communication, tels que les youtubeurs et les médias dit traditionnels. En effet, les youtubeurs et vidéastes, nouvelle génération ont déjà été mis à mal dans certaines émissions télévisées. Elle a d’autant plus d’impact que la relation entre médias et vidéastes n’est pas toujours rose. La télévision, notamment, s’est illustrée à plusieurs reprises avec des propos méprisants et dégradants envers des youtubeurs et youtubeuses. Natoo et Squeezie, youtubeurs francais à forte popularité, en ont fait les frais, dans des interviews à On n’est pas couché et Salut les terriens, devenues symboliques d’une fracture entre deux mondes. Pour autant, cette décision du CSA se présente comme une victoire significative pour le monde de YouTube, encore trop souvent décrié par les grands médias qui refusent trop souvent à y voir un travail de qualité qui n’aurait rien à leur envier.
Sources :
- Loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, 14 novembre 2016, n° 2016-1524
- Loi relative à la liberté de communication, 30 septembre 1986, n° 86-1067 (Loi Léotard)
- CSA, 18 avril 2018, n° 2018-11 Délibération relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent
- CSA, assemblée plénière, 28 octobre 2019, Reportage sur le “tourisme noir” diffusé le 20 juin 2019 : LCI mise en garde
- Perrine SIGNORET, 29 octobre 2019 « LCI écope d’un avertissement pour un reportage mensonger sur des vidéastes à Tchernobyl » Numerama
- Florian GUADALUPE, 29 octobre 2019 « “Tourisme noir” et Youtube : LCI mise en garde par le CSA », Puremedias