Le « gendarme de l’Audiovisuel » condamné
Le 13 novembre 2019, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) s’est vu être condamné par le Conseil d’État (CE) pour avoir illégitimement sanctionné la société C8 au versement de la somme de 1,1 million d’euros en réparation du préjudice subi par cette dernière, et a vu sa décision de sanction être annulée par le Conseil d’État.
En juin 2017, à la suite d’une séquence diffusée durant un « prime time » de l’émission « Touche pas à mon poste » (aussi connue sous l’acronyme TPMP) en novembre 2016, le CSA avait pris la décision de suspendre durant une semaine la diffusion de séquences publicitaires dans un intervalle de 15 minutes avant et après cette émission.
La séquence « litigieuse » concernait un canular lors d’une caméra cachée dans laquelle l’animateur Cyril Hanouna avait piégé l’un de ses chroniqueurs en lui faisant croire qu’il venait de commettre un crime sous ses yeux et en lui demandant de ne pas le signaler auprès des forces de l’ordre et surtout d’en endosser la responsabilité. Le canular est allé encore plus loin puisque la vérité sur la mise en scène, ayant eu pour but de le piéger, ne fut révélée au chroniqueur que le lendemain en direct dans l’émission « Touche pas à mon poste ».
Le CSA avait alors estimé que durant cette séquence, la chaîne télévisée C8 avait gravement méconnu l’une des obligations contenues dans la convention qu’elle avait signée avec le CSA, qui est celle de respecter la dignité de la personne humaine au sein de ses programmes. Pour le CSA, la chaîne, en diffusant de telles images susceptibles de générer chez le chroniqueur piégé un sentiment d’humiliation, a manqué à son devoir de retenue.
La chaîne s’était conformée à la décision du CSA mais avait tout de même, en parallèle, adressé une requête au Conseil d’État afin d’obtenir un contre-avis, estimant l’ampleur de la sanction injustifiée.
A contrario, le Conseil d’État a, quant à lui, établi que le chroniqueur « n’avait pas été montré sous un jour dégradant, humiliant ou attentatoire à sa dignité ». Eu égard au caractère humoristique du prime et par souci du respect de la liberté d’expression des sociétés éditrices, le CE a décidé d’annuler la sanction rendue par le CSA.
Mais si la chaîne réclamait une indemnité de 4,1 millions d’euros en réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi, correspondant à la perte des recettes publicitaires de la chaîne durant toute la durée de suspension des publicités, le CE a suivi les conclusions du rapporteur public qui avait chiffré le préjudice à hauteur de 1,1 million d’euros.
Une première !
Cette décision est importante puisque c’est la première fois que l’Autorité de régulation se voit être condamnée à réparer le préjudice subi par une chaîne faisant suite au prononcé d’une sanction qualifiée par le Conseil d’État d’illégale. Dans son arrêt, le CE est venu également tracer les contours du pouvoir de sanction du CSA, et principalement, s’agissant du recours à la sanction de privation de publicité. Car si le CSA est doté d’un pouvoir de sanction, il doit veiller à ne pas outrepasser le champ de ses compétences.
En l’espèce, le CE n’avait pas à se prononcer sur la moralité de séquence mais sur la légalité de la sanction infligée par le CSA à C8 et sa décision a été sans appel pour lui, le recours à la sanction de privation de publicité était démesuré compte tenu de la séquence.
Mais cette décision n’a pas pour visée de décrédibiliser le rôle du CSA en tant que « gendarme de l’Audiovisuel » puisque le Conseil d’État a maintenu deux autres sanctions portant sur deux séquences, là encore controversées, diffusées dans le programme TPMP.
Le CE a estimé que les sanctions prononcées par le CSA, à savoir une amende de 3 millions d’euros après la diffusion d’un canular jugé discriminatoire pour les personnes homosexuelles, et une privation de publicité durant deux semaines après la diffusion d’une séquence dans laquelle le présentateur avait eu des gestes déplacés envers une de ses chroniqueuses ternissant ainsi l’image de la femme, étaient légales et proportionnées eu égard à la gravité des fautes commises, déboutant ainsi la chaîne de ses demandes d’annulation à l’encontre de ces sanctions.
Source :
- Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 13 novembre 2019, Société C8 c/ CSA, requête n°415397
- LAMY (C.), « Touche pas à mon poste : le CSA condamné à verser 1,1 million d’euros à la chaîne C8 », Dalloz actualité, le 21 novembre 2019
- RICHAUD (N.) et ALCARAZ (M.), « Dérapages de Hanouna : le Conseil d’Etat condamne le CSA à verser 1,1 million d’euros à C8 », Les Echos, le 13 novembre 2019
- L’Obs, « Sanctions contre Hanouna : le CSA condamné à indemniser C8 », le 13 novembre 2019