Le National Transportation Safety Board (NTSB) a rendu un nouveau rapport le 19 novembre 2019 sur l’accident mortel de mars 2018 impliquant un véhicule autonome Uber et une piétonne, Elaine Herzberg âgée de 49 ans. L’accident s’était produit près de Mill Avenue et Curry Road à Tempe dans l’Etat Arizona, le véhicule Uber se dirigeait vers le nord de la ville lorsqu’une femme traversant la rue a été heurtée. La femme a été emmenée à l’hôpital, où elle est décédée des suites de ses blessures.
Uber confirme que le véhicule roulait en mode autonome avec un conducteur de sécurité au volant pendant l’accident, faisant d’Elaine Herzberg la première victime connue d’un accident impliquant une voiture autonome.
- Les circonstances de l’accident
La voiture était une Volvo XC90 2017 modifiée par Uber. De série, le véhicule est équipé de fonctions avancées d’assistance au conducteur, dont l’évitement des collisions via un freinage d’urgence automatique, la détection de la vigilance du conducteur et la signalisation routière. En plus, le VTC ajoute une dizaine de caméras, des radars, LIDAR ( light detection and ranging), d’autres capteurs et une unité de traitement et de stockage. La voiture dispose de deux modes de fonctionnement : un contrôlé par l’ordinateur, l’autre manuel par le chauffeur. Dans le premier cas, le système d’Uber s’occupe de la navigation (conduite autonome) et les fonctionnalités de série de Volvo sont désactivées, tandis que dans le second c’est le chauffeur qui a la maitrise du véhicule en profitant des options de bases. Le conducteur peut passer du mode autonome à manuel en actionnant le volant, l’une des pédales ou en appuyant sur un bouton dédié.
La conductrice de sécurité était la seule personne à l’intérieur du véhicule au moment de l’accident et n’a subi aucune blessure, a déclaré un porte-parole d’Uber. La société a refusé de divulguer tout détail supplémentaire sur l’identité ou les qualifications du conducteur au moment des faits. Les données des nombreuses caméras et capteurs du véhicule ont été récupérées permettant au NTSB de découvrir les raisons de l’accident causant le décès d’Elaine Herzberg.
Le soir du drame, le conducteur et la voiture sont partis à 21h14 pour un trajet prédéfini. Au moment de l’accident (à 21h58), le véhicule entamait son deuxième tour et était en mode autonome depuis 19 minutes. Selon le rapport préliminaire, « toutes les fonctions de conduite autonome marchaient normalement au moment de l’accident, et il n’y avait aucun défaut ou message de diagnostic ». La voiture avait identifié le piéton : « les données obtenues par le système de pilote automatique montrent que les premières observations du piéton ont été enregistrées par les radars et LIDAR environ six secondes avant l’impact, alors que le véhicule roulait à 69 km/h », sur une route limitée à 75 km/h. Un délai normalement largement suffisant pour que l’opératrice de sécurité ou la voiture (mode autonome) réagisse et effectue un freinage d’urgence.
Cependant, d’après les dires du NTSB un problème persistait car « au fur et à mesure de la convergence du véhicule et du piéton, le logiciel du système de conduite autonome a classé le piéton comme un objet inconnu, puis comme un véhicule et un vélo avec des prévisions variables quant à sa trajectoire ». 1,3 seconde avant l’impact, le système de conduite autonome « a déterminé qu’un freinage d’urgence était nécessaire pour atténuer une collision ». Mais le NTSB explique que, selon Uber « les manœuvres de freinage d’urgence ne sont pas activées lorsque le véhicule est en mode autonome afin de réduire le risque de comportement erratique du véhicule ». La voiture laisse alors la main au chauffeur pour agir si nécessaire, encore faut-il que ce dernier soit concentré sur la route et non sur son smartphone, ce qui était malheureusement le cas lors de l’accident. On peut alors se poser la question de l’utilité du pilotage automatique si celui-ci n’est pas capable d’effectuer lui même sans intervention humaine, un freinage d’urgence.
Dans son rapport du 19 novembre 2019, s’appuyant sur un total de 43 documents pour un total de 493 pages dont le « Vehicle Automation Report » donnant de précieux détails sur la chronologie des faits avant l’impact, le NTSB met en exergue plusieurs éléments qui démontrent que la faute de l’opératrice de sécurité qui se trouvait à bord du véhicule est la cause principale du décès. Néanmoins, le NTSB ne fait pas uniquement peser la responsabilités sur cette opératrice, il retient que sont également responsables la victime, Elaine Herzberg, la société Uber mais aussi l’État d’Arizona. Dans ce rapport, l’agence fédérale émet un série de recommandations visant des entités précises, directement ou indirectement liées à l’accident.
- Une responsabilité partagée
Selon le rapport du NTSB, la cause immédiate de l’accident reste tout de même l’échec de l’opératrice de sécurité à rester attentive et à surveiller correctement la route. Certes au moment de l’accident la voiture était en mode autonome mais cette autonomie n’exclut en aucun cas « l’obligation de surveillance » du chauffeur du véhicule automatisé. De plus, lors des faits l’opératrice était sur son téléphone même si lors du rapport préliminaire elle indiquait être concentrée sur la route, or les nombreux documents prouvent que cette dernière était en train de visionner l’émission « The Voice » sur son smartphone personnel. Le NTSB lui même énonce dans son rapport que la « cause probable de l’accident […] était le fait que la conductrice du véhicule n’a pas surveillé l’environnement de conduite et le fonctionnement du système automatisé de conduite parce que sa vue était accaparée pendant tout le trajet par son smartphone personnel ».
Concernant la victime, le rapport précise qu’elle a traversé la route dans une zone où des panneaux invitaient les piétons à emprunter un passage situé une centaine de mètres plus loin afin de traverser la route « en toute sécurité ». Elaine Herzberg était habillée avec des vêtements foncés et « les résultats des tests toxicologiques du piéton après l’accident étaient positifs pour la méthamphétamine et la marijuana » indique le rapport. De plus, son vélo n’était pas équipé de réflecteurs latéraux. S’il y en avait sur l’avant et l’arrière, ainsi qu’une lumière sur le devant, tous étaient orientés perpendiculairement à la route donc non visible par le chauffeur. Enfin, « les vidéos montrent que le piéton a traversé sur un tronçon de route non directement éclairé par l’éclairage de la chaussée ».
Toutefois, précise le NTSB, la « culture inadéquate de la sécurité » chez Uber a aussi contribué à cet accident mortel. En effet, si la cause probable de l’accident est l’inattention de la conductrice qui était chargée de surveiller la route et le pilote automatique, le NTSB n’exonère pas Uber de toute responsabilité. Pour l’organe de régulation américain, la société a sa part de responsabilité car elle avait mis en place une « surveillance inefficace des conducteurs » et n’avait développé « aucun mécanisme adéquat afin de prendre en compte le manque de vigilance des opérateurs de conduite ». Aucun répit n’est laissé à la société Uber, le NTSB a même pu retenir que « Si les responsables d’Uber avaient bien la possibilité de contrôler rétroactivement l’attitude des conducteurs de véhicules, ils le faisaient rarement. L’inefficacité de la surveillance exercée par l’entreprise a été exacerbée par sa décision de retirer un deuxième opérateur du véhicule pendant les essais du système de conduite automatisé », or ce deuxième opérateur était en mesure de contrôler le pilote.
Enfin, l’autorité fédérale précise que l’État d’Arizona a aussi sa part de responsabilité dans cet accident mortel. En effet, le rapport reproche au département des Transports de l’Arizona de ne pas avoir suffisamment encadré et surveillé les tests des fabricants de voitures autonomes. Il s’attaque aussi au National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) qui n’a fourni aucun « moyen d’évaluer un système de conduite automatisé » (ADS ou Automated Driving System), malgré la mise en ligne de trois versions de sa politique relative aux véhicules automatisés.
Il reste maintenant une question en suspend : si l’un de ces facteurs était retiré de l’équation, le drame aurait-il pu être évité ? C’est se livrer à une certaine spéculation. Toutefois, le NTSB évoque un cas de figure qui aurait pu éviter un sort funeste à la victime ou, du moins, atténuer les effets de l’accident : si la conductrice avait été attentive, elle aurait eu assez de temps pour réagir. Au regard du résultat du test et du comportement du conducteur, la question de l’introduction de voitures entièrement automatisées sur les routes reste à méditer, même si les tests se poursuivent puisque Uber a déjà signé un accord avec la famille de la victime, s’évitant ainsi le désagrément d’une bataille judiciaire …
Sources :
- NATIONAL TRANSPORTATION SAFETY BOARD Public Meeting of November 19, 2019 « Collision Between Vehicle Controlled by Developmental Automated Driving System and Pedestrian, Tempe, Arizona, March 18, 2018 »
- Léna COROT 21 novembre 2019 « Accident mortel causé par une voiture autonome : Uber accusé de laxisme » L’USINE DIGITALE
- Sebastien GAVOIS 25 mai 2018 « Accident mortel Uber : le rapport préliminaire du NTSB permet d’y voir (un peu) plus clair » et 25 novembre 2019 « Cause probable de l’accident mortel Uber : tout le monde en prend pour son grade » Next Impact
- Julien LAUSSON 20 novembre 2019 « Accident mortel causé par une voiture autonome : Uber est fautif, mais il n’est pas le seul » Numerama
- Alice VITART 7 novembre 2019 « La voiture autonome Uber impliquée dans un accident mortel a confondu la piétonne avec un objet » L’USINE DIGITALE