Le 13 janvier dernier, une convention instaurant une mission de préfiguration de la fusion des deux autorités a été signée entre leurs deux présidents : Roch-Olivier Maistre pour le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) et Denis Rapone pour l’Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet), en présence de Franck Riester, ministre de la Culture. Cette mission vise à préparer le CSA et l’Hadopi à leur fusion au sein de l’ARCOM (pour Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), prévue dans le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, qui constitue une réforme du secteur de l’audiovisuel d’importance et qui était attendue depuis plusieurs années. « La mission […] veillera à ce que les compétences et les capacités d’expertise des deux autorités soient pleinement valorisées au sein de l’Arcom, en prenant en compte les nouvelles missions qui pourront être confiées à l’autorité fusionnée par le législateur » a-t-on pu lire dans les communiqués des deux instances, publiés au sujet de la signature de la convention.
Une fusion : comment ?
Entre l’appellation de « nouveau gendarme des contenus audiovisuels et numériques » et celle de « super-régulateur » employées dans les médias, l’ARCOM se voit déjà attribuer un rôle fondamental dans la régulation, qui s’explique par le fait que, née de la fusion des autorités de régulation actuelles que sont le CSA et l’Hadopi, cette nouvelle autorité pourra sévir sur les anciens terrains respectifs de ces deux autorités, c’est-à-dire à la fois l’audiovisuel (dont le « gendarme » était le CSA) et Internet (le « gendarme » en étant cette fois l’Hadopi).
Annoncée par le ministre de la Culture dès le mois de septembre 2019, cette fusion se présente comme l’une des mesures phares du projet de réforme de l’audiovisuel porté par ce dernier, dans son aspect adaptation de la régulation, car le projet comprend d’autres pans comme la modernisation du soutien à la création audiovisuelle et cinématographique ou encore un changement des règles applicables à la publicité (avec l’ajout sous certaines conditions d’une troisième coupure publicitaire notamment).
L’idée d’une fusion entre le CSA, créé en 1989, et l’Hadopi, créé en 2009, concrétisée en 2019 n’est pourtant pas nouvelle. En effet, dès les années 2009/2010, on a l’idée de faire naître une superstructure réunissant les compétences du CSA, de l’Hadopi, mais également à l’époque de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes). En 2010, un rapport parlementaire est élaboré proposant d’intégrer l’Hadopi dans la structure qui remplacera le CSA et l’ARCEP, mais le ministre de la Culture de l’époque juge leurs missions incompatibles. Un peu plus tard, une des mesures de la campagne du futur président François Hollande en 2012 est d’abord d’abroger puis de remplacer l’Hadopi. C’est ainsi que le rapport Lescure en mai 2013 prône une suppression de l’Hadopi et le transfert de ses compétences au CSA, dont le rôle serait donc renforcé, idée qui devait être entérinée dans l’avant-projet de loi création, qui lui faisait suite, porté par le ministre de la Culture et de la communication Aurélie Filippetti mais qui sera implicitement enterré en 2014 par le nouveau ministre Fleur Pellerin qui tournera en tous cas les priorités du ministère ailleurs. La proposition a ensuite été relancée en octobre 2018 lorsqu’est enregistré à l’Assemblée nationale un rapport d’information porté par Aurore Bergé (député LREM). Elle y suggère en effet qu’une fusion serait pertinente du fait du grand nombre de sujets qui réunissent aujourd’hui le numérique et l’audiovisuel (contenus haineux, protection des droits d’auteur, régulation de la publicité, protection des publics…).
S’ensuivirent des débats sur le nom à donner à la nouvelle autorité si elle devait être créée. Après « ARCAN » (pour Autorité de régulation des communications audiovisuelles et numériques) jugée trop proche d’Arcane, c’est la dénomination d’« ARCOM » qui est retenue, qui a l’avantage d’être proche de celle d’« ARCEP », suivant ainsi en quelque sorte une idée évoquée dans le rapport Bergé d’avoir un régulateur pour les infrastructures et les réseaux : l’ARCEP et un régulateur pour les contenus : la future ARCOM. Pour celle-ci, le logo reste encore à déterminer, mais le nom de domaine de son site est déjà arrêté : Ar-Com.fr (Arcom.fr ayant déjà été déposé en 2009)
La création de l’ARCOM née de la fusion CSA/Hadopi a donc finalement été intégrée au projet de loi sur la communication audiovisuelle dévoilé fin 2019 et de ce fait transmise au CSA et à l’Hadopi pour avis. La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a également rendu une délibération portant avis sur le projet le 12 novembre 2019 avant le Conseil d’Etat début décembre. Le projet est ensuite passé en Conseil des ministres et a été déposé à l’Assemblée nationale, où le texte a été enregistré le 5 décembre 2019 et pour lequel une procédure accélérée a été engagée par le Gouvernement. La Commission des affaires culturelles et de l’éducation, saisie au fond, s’est vue renvoyer le projet et a procédé aux nominations des différents rapporteurs, au nombre desquels figure Aurore Bergé, nommée rapporteure générale et chargée des articles relatifs à la régulation.
Une fusion : pourquoi ?
La fusion CSA/Hadopi au sein d’une toute nouvelle instance a été imaginée pour tenir compte de l’évolution des médias du fait des bouleversements entraînés par le numérique et se doter donc de moyens supplémentaires, plus sophistiqués, face aux défis que posent la convergence des médias et des contenus entre Internet, la télévision et la radio et l’émergence de nouveaux acteurs. Les pouvoirs publics parlent d’une « meilleure transversalité de la régulation » apportée par cette fusion. Parmi ses compétences, l’ARCOM se verra confier la régulation des plateformes afin de lutter contre les discours haineux et la manipulation de l’information par exemple et sera en outre dotée de pouvoirs renforcés en ce qui concerne la lutte contre le piratage et les sites web illicites.
Le bilan qui peut être dressé du travail du CSA et de l’Hadopi ces dernières années montre en effet une régulation en perte d’efficacité, ceci s’expliquant par des attributions plus suffisamment adaptées à ce contexte, mais que d’aucuns expliquent également par la survie même d’une division des compétences entre deux autorités, dont ils considèrent la justification dépassée pour les raisons exposées au paragraphe précédent, ce à quoi le Gouvernement a visiblement acquiescé. En ce qui concerne l’Hadopi, le constat après plus de 10 ans est celui d’une action dépassée par la complexification du piratage et qui a visé essentiellement à avertir plus qu’à punir les contrevenants (près de 3000 avertissements envoyés pour une centaine de condamnations seulement). Le CSA de son côté avait peine à se satisfaire de son champ de compétences n’outrepassant pas les limites de la télévision et de la radio alors que les contenus audiovisuels diffusés sur Internet, terrain sur lequel il ne pouvait donc intervenir, se multipliaient.
C’est ainsi que réunir CSA et Hadopi sous une même bannière ne revient pas à une simple addition des compétences des deux autorités regroupées, mais devient synonyme de nouvelles attributions.
Parmi ces nouvelles attributions, l’ARCOM va d’abord se voir dotée de compétences renforcées pour lutter contre le piratage en ligne, qui répondent à un impératif de modernisation du dispositif du fait du changements des pratiques. En effet, en plus de reprendre les anciennes cibles de l’Hadopi, à savoir les téléchargements torrent ou peer to peer, l’Autorité s’attaquera aux sites Internet de streaming, de téléchargement direct (http) ou de référencement de liens pirates. Elle traquera de surcroît les sites miroirs pour empêcher la réapparition des précédents sites, mais également le piratage des retransmissions sportives grâce notamment à l’IPTV illégal (IPTV pour Internet Protocol TeleVision), une technologie de diffusion de la télévision par Internet qui est très utilisée dans le domaine du fait de la répartition des droits de diffusion des évènements sportifs entre plusieurs chaînes. Celle-ci récupérera par ailleurs les pouvoirs de sanction de l’Hadopi dans le sens où elle devrait conserver la première étape actuelle de la riposte graduée, soit l’envoi de mails d’avertissement aux utilisateurs pris en flagrant délit de piratage de films, séries, etc., mais l’email pourra notamment dorénavant arriver sur l’adresse électronique principale, soit celle utilisée le plus souvent par le pirate, qui pourra être obtenue avec l’aide des FAI (fournisseurs d’accès à Internet). De plus, les pouvoirs d’enquête en la matière seront étendus car il est prévu que les agents de l’ARCOM puissent à l’avenir participer sous pseudonyme à des échanges électroniques susceptibles de concerner des infractions de téléchargement illégal sur les forums de discussions et chats, qui sont souvent le lieu privilégié d’échange de liens, et ceux-ci auront la possibilité d’acquérir et d’étudier le matériel technique et les logiciels pouvant faciliter la commission d’infractions (VPN ou tout moyen destiné à dissimuler son identité sur Internet).
Ensuite, toujours dans le cadre de la mission de défense des droits d’auteur qui fait partie de la régulation, le projet prévoit notamment que pourra être établie, après une procédure contradictoire, et rendue publique une liste noire des sites portant atteinte de façon grave et répétée au droit d’auteur et aux droits voisins, afin d’en informer les personnes intéressées, mais également de faire pression, entre autres, sur les hébergeurs et les annonceurs dans une approche « follow the money » et ainsi encourager les accords entre les ayants droit et les intermédiaires de paiement ou de publicité. Les plateformes de partage de contenus comme YouTube par exemple (ici donc plus spécifiquement de vidéos) devront également contribuer à cette mission en prenant des mesures, sous peine d’engagement de leur responsabilité au titre de la contrefaçon, à l’égard desquelles l’ARCOM pourra livrer des recommandations sur leur niveau d’efficacité et il est même envisagé que celle-ci puisse exiger un rapport annuel sur ces mesures prises pour lutter contre le piratage, leur bilan et les détails de la collaboration développée avec les titulaires de droits, le cas échéant, qui est donc là aussi préconisée. Le dispositif prévoit par ailleurs d’être corroboré par une plus grande facilité de saisine puisque l’Autorité devrait pouvoir à l’avenir être alertée par constat d’huissier, dans le but de permettre une plus grande réactivité des actions et, enfin, il est envisagé qu’un cas litigieux puisse être transmis non plus dans un délai de six mois mais d’un an.
Pour avoir la suite et la fin de cette fusion, que certains (dont l’Hadopi elle-même) qualifient plutôt d’absorption de l’Hadopi par le CSA, et connaître les attributions définitives de la nouvelle entité ainsi créée, il faudra suivre l’examen du texte au Parlement planifié pour le mois d’avril. Quant à la date effective de création de l’ARCOM, elle est pour le moment fixée par le projet au 25 janvier 2021.
Sources :
Projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, N°2488, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 décembre 2019 : www.assemblee-nationale.fr
Rapport d’information déposé par la commission des affaires culturelles et de l’éducation en conclusion des travaux de la mission d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique, N°1292, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 octobre 2018 : www.assemblee-nationale.fr
CSA, « CSA/Hadopi : signature de la convention sur la préfiguration de la fusion des deux autorités » (communiqué de presse), 13 janvier 2020 : www.csa.fr
Hadopi, « CSA/Hadopi : signature de la convention sur la préfiguration de la fusion des deux autorités » (actualités de l’Hadopi), 13 janvier 2020 : www.hadopi.fr
Rees M., « Une convention Hadopi et CSA pour préparer leur « fusion » », Nextinpact, 14 janvier 2020 : www.nextinpact.com
« Le CSA et l’Hadopi lancent les préparatifs de leur mariage », Le Figaro avec AFP, rubrique Economie, 13 janvier 2020 : www.lefigaro.fr
Bechade C., « Piratage : la Hadopi se saborde pour mieux laisser le gouvernail à l’Arcom », Les Numériques, 09 octobre 2019 : www.lesnumeriques.com
Lausson J., « La fusion CSA-Hadopi se précise : en ligne de mire, la régulation des contenus sur le net », Numerama, rubrique Société, 20 juin 2019 : www.numerama.com