Ces dernières années, grâce au progrès de la technologie, a été mis au point un nouveau modèle d’entreprise reposant sur ce que l’on appelle l’économie à la demande ou collaborative. Cette économie repose sur des plateformes technologiques d’entrepreneurs indépendants (souvent via une application sur un téléphone ou une tablette informatique) qui connectent les utilisateurs aux biens ou services souhaités. Par conséquent ces plateformes n’assurent qu’une mise en relation de deux personnes, une qui demande un travail et l’autre qui s’offre pour le réaliser.
En effet, en Droit Français, l’article L.111-7 du code de la consommation définit la notion de plateforme comme « toute personne proposant un service de communication au public reposant soit sur le classement ou le référencement de contenus, de biens ou de services, soit sur la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente, de la fourniture ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».
C’est le cas de la société Américaine Uber mettant en relation un utilisateur avec un conducteur professionnel dans le cadre d’un service de transport. Ce dernier est juridiquement indépendant puisqu’il travaille en qualité de professionnel auto-entrepreneur mais se trouve aussi dans une situation de grande dépendance économique, ce qui porte une atteinte caractérisée aux règles du droit du travail.
Le modèle économique reposant tout entier sur l’éviction du droit du travail, se pose la question des alternatives possibles, les travailleurs du numérique sont-ils condamnés à être exploités ou requalifiés en salariés?
L’exemple Californien
Aux États-Unis, seuls les employees peuvent accéder aux législations du travail par opposition aux independent contractors qui en sont exclus ( Fair Labor Standard Act (FLSA), 1938 & National Labor Relations Act (NLRA), 1935). Or en observant les litiges soumis aux juges américains, l’on peut constater que ces derniers ne dégagent pas de solution faisant jurisprudence puisque n’offre qu’un ensemble de décisions fortement marquées par leur casuistique.
En effet dans un premier jugement du 8 février 2018, Lawson v. Grubhub (case n° 15-cv-05128-JSC), le juge californien refusa la requalification à un chauffeur en estimant que “la plateforme n’exerçait en fait qu’un contrôle sur le résultat de la prestation et non pas un contrôle sur la manière dont la prestation était réalisée signifiant ainsi que le rapport de travail en question relevait davantage de l’indépendance que de l’employment”. Alors que dans un second arrêt du 30 avril 2018 Charles LEE v. Dynamex, la cour suprême de Californie estima que les chauffeurs de la société de livraison Dynamex devaient être requalifiés en salariés.
La cour dans ce jugement a dégagé 3 critères pour qu’un travailleur puisse être considéré comme indépendant puisqu’il faut que l’entreprise ne dirige ou ne contrôle pas la manière dont il fait son travail, que celui-ci ne corresponde pas à l’activité habituelle de l’entreprise et que le travail qu’il effectue pour l’entreprise corresponde au métier qu’il exerce par ailleurs.
L’objectif étant de qualifier davantage de travailleurs des plateformes en salariés, leurs procurant alors de multiples avantages sociaux tels que le salaire minimum ou l’assurance-maladie.
Par conséquent l’on constate par ces deux décisions contradictoires l’indécision des juges américains quant à la qualification juridique des travailleurs des plateformes.
Par conséquent en septembre 2019, le législateur Californien a décidé de voter une loi “AB 5 Worker status: employees and independent contractors” précisant le statut des travailleurs de plateformes tels que les conducteurs professionnels “ubérisés”.
Le nouveau statut légal Californien des travailleurs “ubérisés”
Selon le texte californien « AB 5 », « une personne qui fournit un travail ou un service contre rémunération doit être considérée comme un salarié et non pas comme un travailleur indépendant, à moins que l’entreprise démontre que cette personne n’est pas sous le contrôle ou la direction de ce donneur d’ordre lors de l’exécution du travail, qu’elle exécute un travail qui ne fait pas partie de l’activité habituelle du donneur d’ordre, et que la personne est effectivement installée comme indépendant. »
Cette loi prévoit donc une présomption de salariat en faveur du travailleur de la plateforme sauf preuve contraire apportée par cette dernière. Cette preuve reposera sur les 3 critères dégagés par le jugement du 30 avril 2018 précité repris ici par la loi californienne.
Cette loi vise à apporter de meilleures conditions sociales aux VTC. En effet le statut de salariés offrent des avantages tels que le salaire minimum, les congés payés ou l’assurance maladie.
Néanmoins dans une décision Thomas COLOPY v. Uber technologies du 16 décembre 2019 , la Cour américaine du district nord de la Californie est venu contredire la loi (AB5) adoptée le 10 septembre 2019 en refusant la requalification à un chauffeur. Cependant la loi n’étant entrée en vigueur que le 1 janvier 2020, la requalification potentielle du lien qui unit le chauffeur à Uber pourra désormais être réétudié.
Face à la création d’un tel statut, se pose la question de la réaction des plateformes.
Uber porte plainte contre la Californie en justice
Le 30 décembre 2019, le leader des véhicules de transport à la demande a attaqué la Californie en justice. Deux conducteurs du numéro 1 des VTC et Postmates, le numéro 3 des services de livraison de plats aux Etats-Unis, se sont joints à la poursuite déposée lundi auprès de la cour fédérale de Los Angeles.
La loi Californienne a prévu des exemptions pour certains professionnels travaillant à leur compte comme les représentants de commerce, les conducteurs de camions de construction et les pêcheurs.
La plainte repose sur cette différence de traitement, les plaignants estimant que la loi « cible et réprime les travailleurs et les sociétés de l’économie à la demande » et viole ainsi la clause de protection égale de la Constitution américaine (section 1 du XIV ème amendement). Alors que pour les concepteurs de la loi, les exemptions précités remplissent généralement les trois conditions prévues par le texte.
Enfin Uber a décidé de mettre en place en coalition avec d’autres entreprises du secteur tel que Lyft, une campagne visant à l’organisation d’un référendum populaire en novembre 2020 qui devrait pour Uber et ses alliés aboutir à un compromis offrant aux travailleurs des plateformes une meilleure rémunération et davantage de droits, sans aller jusqu’à les requalifier en salariés.
Sources:
- Distr. N.D California, Thomas Colopy v. Uber Technologies Inc., Case n°3:19-cv-06462-EMC, 16 décembre 2019
- Supreme Court Of California, Charles LEE v. Dynamex Inc., case n° BC332016, 30 avril 2018
- Distr. N.D California, Lawson v. Grubhub Inc., case n° 15-cv-05128-JSC, 8 février 2018
- FATAH F., « La souveraineté à l’ère du numérique : enjeux stratégiques pour l’Etat français et les institutions européennes », Revue de l’Union Européenne, 2020, P.26
- VAN DEN BERGH K., « Plateformes numériques de mise au travail : mettre en perspective le particularisme français », Revue de droit du travail, 1 février 2019, PP. 101-107
- FABRION M., « Uber attaque en justice la Californie et sa loi requalifiant les chauffeurs », frenchweb, 3 janvier 2020
- RUSSO J., « Uber dépose plainte contre la Californie », Iphonesoft, 1 janvier 2020
- MOUTOT A., « Uber attaque la Californie en Justice », LesEchos, 31 décembre 2019
- BOERO A., « Uber : les juges hésitent encore à requalifier les chauffeurs en salariés en Californie », Clubic, 17 décembre 2019
- Le Monde avec AFP, « La Californie ratifie la loi faisant des chauffeurs Uber et Lyft des salariés », Le Monde, 19 septembre 2019
- Le Monde avec AFP, « La Californie veut obliger Uber à salarier ses conducteurs », Le Monde, 11 septembre 2019
- BRANCO A., « Une décision de justice pourrait mener Uber à quitter les Etats-Unis », 01net, 3 Mai 2018