A des fins de formation et de protection, les surveillants pénitentiaires vont pouvoir, à titre expérimental, utiliser des caméras individuelles, aussi appelées caméras-piétons, et ce en vertu du décret n°2019-1427 du 23 décembre 2019 relatif aux conditions de l’expérimentation de l’usage des caméras individuelles par les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire dans le cadre de leurs missions.
Comment fonctionne cette caméra ? La caméra se présente sous la forme d’un boîtier qui s’accroche sur l’uniforme du surveillant pénitentiaire. Une fois la caméra allumée par l’activation manuelle du surveillant, l’enregistrement se lance et sont également mémorisées les trente secondes auparavant. Un voyant lumineux permet alors de signaler au surveillant mais également à la personne concernée, que la caméra est en train d’enregistrer. Cette caméra est aussi équipée d’un GPS et d’une horloge intégrés permettant de situer et de dater les vidéos automatiquement, de sorte que toutes les données nécessaires soient captées au moment de l’enregistrement. Dès lors, il ne restera plus qu’à effectuer un transfert sur un ordinateur sécurisé après l’intervention, qui sera ensuite le seul moyen de voir les enregistrements. En effet, les images ne peuvent pas être visionnées à distance durant l’enregistrement.
Une expérimentation fortement limitée et conditionnée
Pour ne pas outrepasser les droits de chaque détenu mais aussi par mesure de préservation de la liberté de chacun, le décret de 2019 autorise cette expérimentation durant une durée de trois ans, mais dans de nombreuses limites et conditions. En effet, le texte conditionne chaque captation et utilisation des données collectées. C’est d’ailleurs ce qui est exprimé dès le premier article du décret qui affirme que l’utilisation de ces caméras ne serait pas possible pour tout type de mission. Dès lors, seules les missions « présentant, à raison de leur nature ou du niveau de dangerosité des personnes détenues concernées, un risque particulier d’incident ou d’évasion » pourront permettre l’utilisation des caméras individuelles.
Ensuite, pour pouvoir porter une caméra, il faudra que le surveillant obtienne l’autorisation de son chef d’établissement. Sa caméra ne fonctionnera pas en permanence, pour respecter les droits et libertés des détenus mais également du surveillant lui-même.
Les images captées par ces appareils ne pourront pas être visionnées par l’utilisateur de la caméra, ni transmises en réel à distance. Seul un nombre limité de personnes pourront y avoir accès, ces dernières sont limitativement énumérées à l’article 5 du décret. De plus, les images et sons ne seront conservés que pendant six mois, et l’historique des accès aux images, pendant trente-six mois. Ensuite, ces derniers seront automatiquement effacés.
Cette expérimentation est également limitée et conditionnée quant aux droits des détenus. En effet, ces derniers ont un droit d’information, un droit d’accès, de rectification et d’effacement aux données, tenant au respect de la loi informatique et libertés (LIL) du 6 janvier 1978. Toutefois, ils ne pourront se voir accorder un droit d’opposition.
Enfin, ce dispositif est d’abord destiné aux maisons centrales qui hébergent des détenus condamnés à de longues peines. Toutefois, ce dispositif pourra être aussi utile dans les quartiers disciplinaires ou d’isolement ainsi que dans les unités réservées aux détenus violents ou radicalisés. Ces caméras pourront aussi être distribuées aux équipes régionales d’intervention et de sécurité, chargées d’intervenir, par exemple, en cas de prise d’otages. De même, elles pourront être proposées aux agents pénitentiaires assurant les extractions, c’est-à-dire ceux qui assurent, en cas de procès, le transport d’un détenu de la prison au tribunal.
Une expérimentation déjà mise en œuvre
Cette mise en place du dispositif de caméras-piétons au sein de différentes prisons n’est pas nouvelle. En effet, cela a déjà été utilisé pour d’autres professions, par exemple, pour les policiers, les gendarmes, les agents de la SNCF ou les pompiers. Par exemple, plusieurs services d’incendie et de secours ont eu recours aux caméras-piétons.
De même, l’administration pénitentiaire avait déjà eu l’occasion d’utiliser un tel dispositif, même si cela était beaucoup moins officiel et médiatisé. En effet, dès 2007, certaines équipes régionales d’intervention et de sécurité avaient utilisé des caméscopes à l’occasion d’entraînements et durant les interventions. De même, en 2016, où cette fois-ci, des caméras individuelles de type GoPro avaient été utilisées par ces derniers. Et à la suite de l’agression de deux membres du personnel, le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe dans l’Orne, avait discrètement testé ces caméras dans le cadre de leurs missions quotidiennes, en 2018. Ainsi, seules des expérimentations internes et privatives avaient été mises en œuvre, qui avaient néanmoins pu montrer leur efficacité. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles un décret a finalement été instauré pour l’administration pénitentiaire, permettant de prendre davantage en compte les droits et libertés fondamentaux, et surtout de ne pas outrepasser le cadre du dispositif.
Une expérimentation nécessaire mais critiquable
Dès lors, cette expérimentation des caméras-piétons en prison, et plus largement dans tout domaine d’activité, peut être très nuancée, notamment eu égard aux droits et libertés des détenus, mais également du surveillant pénitentiaire lui-même. En effet, derrière l’objectif d’intérêt général qui en découle, ce dispositif peut être contesté, notamment en cas d’abus de la part des agents qui possèdent la caméra individuelle.
Ce dispositif a pour objectif premier de faire baisser les tensions dans certaines zones sensibles de détention, et donc de réduire les 4000 agressions annuelles. La direction de l’administration pénitentiaire a affirmé que « sans être une solution miracle face au problème de la sécurité en détention, nous pensons que cet outil peut permettre la prévention d’un certain nombre d’incidents ».
Par conséquent, ces caméras-piétons semblent davantage être un effet dissuasif pour les détenus, c’est d’ailleurs ce qu’a indiqué le secrétaire général adjoint du syndicat FO pénitentiaire, Dominique Gombert : « On mise sur un effet dissuasif. Si un détenu sait qu’il est filmé, peut-être modérera-t-il un peu son agressivité en sachant qu’en cas d’incident, l’enregistrement pourra montrer ce qu’il a fait ou dit ».
De plus, la direction de l’administration pénitentiaire a pu affirmer à plusieurs reprises qu’une telle utilisation de ces caméras répondait également à d’autres objectifs, nécessaires au bon fonctionnement du secteur, à savoir « obtenir des éléments de preuve objectifs supplémentaires lors des interventions », permettre « l’analyse des interventions dans le cadre de débriefings », mais également d’assurer une exploitation des images à « fins pédagogiques dans le cadre de formations ».
Donc, dans l’ensemble, ce dispositif semble plus que cohérent et nécessaire. Par ses conditions strictes, le décret de 2019 impose une expérimentation qui semble juste. Toutefois, avec un tel dispositif aux mains des surveillants de prison, une autre question n’a pas été prise en compte, et c’est notamment ce que reproche François Bès, coordinateur du pôle enquête de l’Observatoire international des prisons.
En effet, qu’en est-il des violences commises par les personnels, les surveillants pénitentiaires sur les personnes détenues en prison ? François Bès a pu expliquer que pour le moment, aucun chiffre officiel s’agissant de cette question n’avait pu être communiqué mais que c’était bien une réalité : « Il ne se passe pas une semaine sans qu’on ne reçoive une plainte concernant ce type de violences. Et il serait bon que l’administration s’attache à améliorer les choses ». On peut alors regretter que le dispositif ne puisse intervenir qu’à l’avantage des surveillants pénitentiaires alors qu’aujourd’hui, la surpopulation carcérale est « génératrice de violence des deux côtés », selon François Bès.
Sources :
BERNE X., « Des « caméras-piétons » pour les surveillants pénitentiaires », Nextinpact, 2 janvier 2020
BIENVAULT P., « Des « caméras-piétons » pour les surveillants de prison », La Croix, 27 décembre 2019
LOMBART G., « Comment la caméra-piéton est devenue indispensable aux policiers municipaux », LeParisien, 18 avril 2019
THORIN M., « Des caméras-piétons mises en place pour les surveillants pénitentiaires », Ouest France, 29 décembre 2019
« Caméras-piéton en prison : la question « des violences commises par les personnels sur les personnes détenues » n’est pas abordée regrette l’OIP », Franceinfo, 26 décembre 2019
« Les surveillants de prison autorisés à expérimenter les caméras piéton », Le Parisien, 24 décembre 2019
« Expérimentation de l’usage des caméras-piétons par les sapeurs-pompiers », Ministère de l’intérieur, 5 septembre 2019
« Des caméras-piétons expérimentées en prison », Le Monde, 15 mars 2019
« Caméras-piétons. Pompiers et surveillants de prison pourront les utiliser », Ouest France, 30 juillet 2018