Très critiqué en raison de la facilité avec laquelle circulent les fausses informations sur sa plateforme, Twitter s’apprête à lancer Birdwatch, un système permettant à ses utilisateurs d’ajouter un tweet sur une « liste de surveillance » et de l’annoter s’il considère que celui ci est porteur de fake news. Saura t-il être une véritable arme contre la désinformation ou sera-t-il détourné de son utilisation par les internautes?
TWITTER EN GUERRE CONTRE LA DÉSINFORMATION MASSIVE
D’après une étude menée par le magazine américain Science en 2018, les fausses informations se propageraient plus rapidement que les informations authentiques sur le réseau social: Sur 126 000 informations partagées sur Twitter, les tweets reprenant des informations vérifiées n’ont touché qu’une audience d’un peu de moins de 1000 personnes, alors que les posts relatant des fake news ont quant à eux été vus par une audience comprise entre 1000 et 10 000 personnes.
En 2019, Jack Dorsey, le PDG de la plateforme de microblogging, a même admis que la guerre engagée par l’entreprise contre la désinformation ne connaissait pas encore de véritable victoire: « Nous avons fait des progrès, mais les efforts ont été dispersés et pas assez ressentis »
Il semblerait toutefois que ces efforts aient été poursuivis, puisque récemment, le réseau social a ajouté sur certains tweets polémiques du président américain Donald Trump un message « Obtenez les faits », hyperlien renvoyant à des articles vérifiés par le service de fact-checking de Twitter.
Ce dernier riposte d’ailleurs le 28 mai 2020, en prenant un décret permettant la réforme du Communications Decency Act de 1996, notamment sur sa section 230. En effet, celle ci offre à Facebook, Twitter, Youtube et Google une immunité en cas de poursuite liée à des contenus publiés par des tiers sur leurs plateformes. Le locataire de la Maison Blanche souhaiterait ainsi que les plateformes ayant un pouvoir de modération des contenus ne puissent plus bénéficier de cette protection.
Plus récemment encore, en mai 2020, Twitter a également labellisé de manière claire les messages comportant de fausses informations à propos de l’épidémie de Covid-19, et, lorsque le risque de désinformation était estimé comme trop élevé pour ses utilisateurs, le réseau social a également pu masquer certains contenus par un fond gris afin de décourager le clic sur ceux ci.
LE FONCTIONNEMENT DE BIRDWATCH: UN OUTIL COMMUNAUTAIRE
La plate-forme, qui souhaite toujours s’améliorer dans ce domaine, voudrait implémenter un système de modération publique prochainement.
Jane Manchun Wong, ingénieur informatique à la recherche des nouveautés allant être proposées par les réseaux sociaux, a dévoilé l’été dernier que Twitter travaillait sur un nouvel outil de modération grâce auquel un utilisateur pourrait signaler un tweet comme comportant de fausses informations et laisser une note expliquant les raisons de ce signalement.
C’est ensuite Matt Navara, consultant en réseaux sociaux, qui découvrira la fonctionnalité « Birdwatch » sur son profil Twitter le 30 septembre 2020.
Enfin, le 3 octobre dernier, Jane Manchun Wong dévoile les fonctionnalités de ce système. Le lendemain, le « Product Lead » de Twitter, Kayvon Beykpour, confirme que l’entreprise américaine travaille en effet sur un tel outil. Pour signaler un tweet, l’utilisateur devra dans un premier temps remplir un formulaire auquel il pourra ajouter une note comme expliqué ci dessus. Ensuite, une icône représentant des lunettes apparaîtra sur le tweet signalé, sur laquelle les autres utilisateurs pourront cliquer afin de voir l’annotation en question.
Ce système sonne donc comme un réel changement de cap pour Twitter, qui avait jusque ici exclusivement recours à un système de fact-checking interne. En donnant la parole aux twittos, le très décrié réseau social compte bien attirer de plus en plus d’utilisateurs, hypothétiquement rassérénés par ce nouvel outil.
Il s’inscrit également dans le respect de la recommandation du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel du 15 mai 2019 aux opérateurs de plateforme en ligne dans le cadre du devoir de coopération en matière de lutte contre la diffusion de fausses informations.
En effet, en s’inspirant du Code de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne édité par la Commission Européenne, le CSA encourage les plateformes à mettre en place des dispositifs efficaces contre les fake news.
Nous pouvons citer à cet égard que « Le Conseil considère que la facilité d’accès et la bonne visibilité de ce dispositif peuvent être assurées notamment lorsque les éditeurs de plateformes en ligne concernés (…) affichent le dispositif à proximité immédiate du contenu ou du compte susceptible d’être signalé », ce qui est ici le cas grâce à l’icône des lunettes située directement sur le tweet litigieux.
Cependant, nous pouvons noter que les initiatives coopératives de ce type n’ont pas connu un franc succès jusque alors: Par exemple, en 2016, Microsoft lance « Tay », intelligence artificielle, censée parler aux adolescents en se basant sur les conversations déjà enregistrées. L’expérience est vite stoppée par la firme en raison de propos racistes et haineux que ses utilisateurs lui ont demandé de répéter.
Sources:
- LANGIN (K.), Fake news spread faster than true news on Twitter – Thanks to people, not bots , Science Mag, 8 mars 2018
- PIMENTA (J.), Twitter prépare Birdwatch, un nouvel outil communautaire pour lutter contre la désinformation , Siècle Digital, 5 octobre 2020
- CIMINO (V.), États-Unis : la section 230 du « Communications Decency Act » sur le point d’être modifiée, Siècle Digital, 18 juin 2020
- Tweet de Jane Manchun Wong , 5 août 2020
- Tweet de Jane Manchun Wong , 3 octobre 2020
- HOLLISTER (S.), Twitter’s ‘Birdwatch’ looks like a new attempt to root out propaganda and misinformation , The Verge, 4 octobre 2020
- TUAL (M.), A peine lancée, une intelligence artificielle de Microsoft dérape sur Twitter, Le Monde, 24 mars 2016
- Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, Adoption de la recommandation relative à la lutte contre la manipulation de l’information : un pas de plus vers une nouvelle régulation, 17 mai 2019