La fin d’un vide juridique concernant les kids influenceurs

Une part grandissante de nos vies, et notamment celles des plus jeunes générations, se joue désormais sur les écrans. Développement de l’internet, émergence de plateformes de partage de contenus ou floraisons des réseaux sociaux, ce qui peut se passer en ligne attire, et il y en a pour tous les âges. Or, la sphère enfantine demande une attention particulière dans le prolongement du fameux « contrôle parental », car si les enfants et jeunes adolescents se cantonnaient à une époque au rôle de spectateur, ils sont aujourd’hui et sans doute possible des acteurs du numérique. 

Les réseaux sociaux, un nouveau family business 

Youtube comme Instagram ont permis à leurs utilisateurs de favoriser les interactions sociales au travers du partage de contenus dont les sujets sont divers et variés et ont fait naître des nouvelles techniques à l’instar de l’influence. Des parents ont saisi l’opportunité de « créer leur business » amenant à voir dès lors des comptes « familles » et « kids » de plus en plus nombreux. Ce phénomène porte d’ailleurs un nom, le « sharenting », qui désigne le fait de « partager sa vie de parent » ainsi que la vie de son ou de ses enfants. Si leur apparition se fait par le biais des blogs ou des réseaux des parents, il n’est pas rare d’en voir à la tête de leur propre compte. De plus en plus de kids utilisent ces plateformes pour promouvoir des marques et/ou produits. C’est le cas du youtubeur le mieux payé du monde en 2018 selon Forbes, un jeune Américain de 8 ans qui avait accumulé des millions de dollars en testant des jouets devant sa caméra. 

Une exposition aux enjeux alarmants 

Cependant, cette « nouvelle forme d’entreprenariat et d’expression artistique » soulève des problématiques à la fois juridiques et éthiques. Le marché des médias numériques autour des enfants explose d’une année sur l’autre. Même si en apparence ils ne sont peut-être que des enfants, cette activité en ligne fait d’eux des travailleurs acharnés avec une expérience et des compétences liées au community managing, à la création de contenus ou encore à la lecture de statistiques vers le succès. Malgré cela, ils restent des enfants et ne disposent pas nécessairement des capacités pour saisir dans l’immédiat les conséquences que pourraient avoir leur mise en scène : l’impact de la célébrité sur leur développement psychologique, les risques de cyber-harcèlement ou encore de pédopornographie. Le fait que leurs activités ne soient pas encadrées par le droit du travail pose également problème. La volonté de faire émerger une protection légale fait indirectement écho à ce qui a pu se passer outre-Atlantique. En effet, certains faits divers ont ajouté beaucoup de méfiance. Pour ne citer que ces exemples, Youtube a été contraint de fermer plusieurs chaines où il apparaissait sans aucun doute possible de la mise en danger des enfants. Tout d’abord Toy Freaks, suite à de nombreuses accusations de maltraitance où il avait été jugé que le père qui animait la chaîne allait parfois trop loin avec ses filles pour épater la galerie. Ou encore « Fantastic Adventures », pour laquelle des cas extrêmes d’abus avaient été dénoncés. Des enfants adoptés étaient affamés, battus et aspergés de spray au poivre lorsqu’ils ne suivaient pas les instructions de leur mère pour les vidéos. 

L’adoption d’une protection légale dans l’intérêt de l’enfant

C’est en se basant sur le principe « qu’internet n’est pas un espace de non droit » et que le « travail des enfants est toujours interdit sauf dérogation » que le Parlement a définitivement adopté, le 6 octobre dernier, par un ultime vote unanime de l’Assemblée nationale, une loi afin de protéger ces « enfants influenceurs » sur les plateformes de vidéos en ligne et encadrer les activités rémunératrices des mineurs sur le net. Par cette loi, la France affirme sa volonté de réguler cette zone grise située entre entrepreneuriat et exploitation, grâce à laquelle des parents et des agents génèrent des milliers, voire des millions d’euros, grâce à leurs progénitures. 

Rappelons que les législateurs ne sont pas partis de zéro. Ils sont venus étendre la législation en vigueur concernant les enfants dans le monde du spectacle vivant aux activités rémunératrices. Dès lors, la présence d’un enfant, et par définition d’un mineur, sur un contenu rémunéré qui présente au public un produit, un service ou une marque lui donne le statut de mannequin conformément à l’article L7123-2, 1° du code du travail. L’enfant doit être inscrit dans une agence de mannequins pour toute promotion qu’il serait amené à faire, et ce même si le contenu photo ou vidéo est réalisé par les parents, dans un cadre familial. L’agence est ainsi habilitée à créer le contrat de travail, celui-ci, indispensable, étant prévu par l’article L7123-3 du code du travail. Dans le cas où la relation de travail n’est pas clairement établie, il est prévu une obligation de déclaration au-delà d’un certain seuil de durée de contenu ou de revenus. Enfin, le même régime s’applique concernant les rémunérations perçues. Elles seront placées à la Caisse des dépôts et consignations et bloquées jusqu’à ce que l’enfant concerné aura atteint sa majorité. Une mesure préventive afin que les parents ne soient pas tenté d’utiliser les sommes touchées en contrepartie d’une prestation et de les utiliser pour leurs propres besoins comme cela à pu être le cas par le passé.

L’appel à la responsabilisation des plateformes  

Les pouvoirs publics ont fortement sollicité les plateformes pour qu’elles soutiennent les mesures votées. Pour cela, elles joueront tout d’abord un rôle de prévention. Les plateformes seront incitées à adopter des chartes dont le contenu vise à améliorer la lutte contre l’exploitation commerciale illégale de l’image d’enfants de moins de 16 ans, favoriser l’information des utilisateurs sur la législation en vigueur et signaler les éléments qui porteraient atteinte à la dignité, à l’intégrité physique ou morale des kids. À l’initiative d’Hasbro France, la Fédération française des industries Jouet Puériculture (FJP) a par ailleurs lancé une charte de bonnes pratiques en collaboration avec les influenceurs mineurs. Avant chaque collaboration, qu’elle soit financière, en nature, ou gratuite, les signataires de celle-ci devront s’assurer que l’enfant sélectionné respecte chaque critère listé. Une démarche qui restera sous l’œil vigilant du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui, en plus de promouvoir la signature de telles chartes, publiera un bilan de leur application et de leur effectivité. De plus, la loi introduit un droit à l’effacement ou droit à l’oubli prévu par la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978. Parce qu’en réalité, les enfants sont-ils réellement conscients de ce qu’ils font ? En plus de devoir détecter les contenus audiovisuels problématiques en amont, sur demande des enfants concernés, les plateformes de vidéos se verront obligées de retirer leurs contenus sans que le consentement des parents ne soit exigé. Ce droit pourra être exercé que l’enfant soit mineur ou majeur. Car, oui, il a été reconnu que même un mineur pouvait être suffisamment averti pour procéder à une telle demande. L’article 8 du RGPD et 45 de la loi informatique et liberté ont imposé le principe d’un âge minimum à partir duquel un mineur peut consentir seul à un traitement de données le concernant. Si à cette époque le phénomène des réseaux sociaux n’existait pas encore pour que cette formulation assez large s’y intéresse explicitement, elle a eu pour effet, en temps voulu, de fournir un premier cadre quant à l’exploitation des données fournies par des mineurs, par les réseaux sociaux et les plateformes. C’est par ces biais que les plateformes joueront leur rôle de protecteur des kids influenceurs.  

Le travail des enfants est un sujet au cœur des préoccupations sociétales et la France s’est montrée ferme et regardante à ce sujet. Avant-gardiste en la matière, il faut espérer qu’elle sera un modèle pour les pays où un vide juridique sur les conditions de travail des enfants en ligne persiste.

Sources :