Le harcèlement au travail est sanctionné pénalement par l’article 222-33-2 du Code Pénal qui dispose que « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende ». Celui-ci est défini également à l’article L1152-1 du Code du travail qui dispose « qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
La jurisprudence a contribué à préciser la notion de harcèlement moral au travail. Par exemple, elle a défini la notion d’harceleur dans un arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 2011, en précisant que celui-ci pouvait ne pas être uniquement un salarié mais également un supérieur hiérarchique, voire une personne tierce exerçant une autorité sur les salariés par le biais d’un contrat de franchise ce qui a été précisé par un autre arrêt de la Cour datant du 1er mars 2011. Elle a également établi une typologie d’agissements caractérisant un harcèlement moral. Elle inclut dans celle-ci : la mise à l’écart et l’exclusion du salarié, le pouvoir de direction abusif, l’intimidation physique ou morale ou le harcèlement managérial.
L’article L. 4121-1 du Code du travail prévoit une obligation de sécurité de l’employeur vis-à-vis de ses salariés qui le rend responsable de la survenance d’un harcèlement moral sur le lieu de travail. Mais à la suite d’un revirement de jurisprudence la Cour de cassation a admis dans un arrêt du 25 novembre 2015 que l’employeur pouvait s’exonérer de sa responsabilité malgré la survenance du dommage s’il démontre qu’il a pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour tenter d’éviter le dommage subi par le salarié.
Le label Great Place To Work a placé l’entreprise française UBISOFT, spécialisée dans le secteur vidéoludique, à la 6ème place des entreprises en France avec le meilleur environnement de travail en 2019. Mais ce label reflète-t-il réellement les conditions de travail dans cette entreprise ? C’est la question que l’on est en droit de se poser lorsque, durant le mois de juillet, de nombreux témoignages d’employés de cette entreprise ont manifesté leur colère sur les réseaux sociaux. La raison de cette colère : des faits de harcèlement touchant de nombreux employés et dont le report aux ressources humaines et à la hiérarchie de l’entreprise n’a pas donné suite.
La conséquence de la médiatisation de ces affaires ne s’est pas fait attendre, plusieurs dirigeants du groupe ont été licenciés dont Stone Chin directeur des relations publiques d’Ubisoft et Ashraf Ismail directeur créatif, pour des motifs de harcèlement sexuel sur le lieu de travail. D’autres ont préféré démissionner comme Maxime Beland, vice-président « Editorial » en poste à Toronto. Durant le mois d’août, le vice-président responsable du service éditorial d’Ubisoft, Tommy François, a également quitté l’entreprise avec un « effet immédiat ». Ce dernier avait été cité dans plusieurs témoignages qui ont fait les titres de la presse, comme responsable de harcèlement et tentative d’agression sexuelle. Les ressources humaines ont principalement été mises en cause car elles avaient connaissance de ces problèmes depuis plusieurs années déjà.
Depuis ces révélations le PDG de la société, Yves Guillemot, a affirmé que des enquêtes internes seraient réalisées en interne pour comprendre comment ces problèmes, pourtant reportés à de nombreuses reprises, ont été ignorés par la structure. Il a également ajouté qu’une restructuration de l’entreprise et plus particulièrement des ressources humaines qui ont laissé s’installer cet environnement toxique de travail était prévue pour cette fin d’année. Les résultats de cette enquête sont parus en octobre de cette année et les chiffres ne trompent pas ; 14 000 employés ont répondu à cette dernière, 35% d’entre eux ont estimé qu’ils n’étaient pas soutenus par la direction lors du report de ces incidents pourtant pénalement répréhensibles. De plus 25% des répondants affirment avoir été témoins ou victimes de comportements inappropriés sur le lieu de travail.
La problématique du harcèlement au travail ne doit être en aucun cas minimisée, les risques psychologiques et physiques liés à de telles pratiques sont réels. Les victimes de ces actes ont longtemps été négligées à tous les niveaux du secteur, de l’entreprise de développement du jeu en passant par la presse spécialisée. Le secteur du jeu vidéo s’est construit sur une image positive, des studios créatifs, comme une opportunité pour tous les employés de s’épanouir dans leur travail. Mais le prix à payer pour conserver cette aura auprès du public a bien trop souvent été l’invisibilisation de ces problématiques et leur étouffement par les acteurs du secteur. On ne peut que se réjouir que la parole se libère enfin notamment grâce à la médiatisation massive sur les réseaux sociaux portant ce mouvement, et que les grands groupes soient obligés de restructurer les environnements de travail pour les rendre plus sains.
Il est d’autant plus appréciable que jouir d’un produit multimédia qui a fait l’objet d’une collaboration pouvant avoir porté préjudice à des individus n’est pas une expérience très gratifiante pour le consommateur ; il devrait au contraire être fier de consommer un produit réalisé dans un environnement sain et respectant la législation en vigueur.
Sources :
-LeParisien.fr : « Harcèlement sexuel : un autre haut dirigeant quitte Ubisoft », publié le 3 août 2020 à 16h30
-LaVoixduNord.fr : « Ubisoft : un quart des employés témoigne de mauvaise conduite au travail », publié le 5 octobre 2020
-20minutes.fr : « Harcèlement sexuel chez Ubisoft : Licenciement du directeur adjoint des relations publiques », publié le 23 juillet à 17h29
-jeuxvidéo.com : « Ubisoft : 25 % des employés témoins ou victimes de comportements inappropriés selon une enquête interne », publié le 5 octobre 2020 à 18h29, rédigé par Tiraxa
-Cass. Soc., 6 avril 2011, n°10-30.284
-Cass. Soc., 1er mars 2011, n°09-69.616
-Cass. Soc., 25 novembre 2015, n°14-24.444