Le 17 décembre dernier, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a annoncé que les plateformes de vidéo à la demande devront contribuer chaque année au financement de l’audiovisuel français et seront soumises à l’exception culturelle française.
Comment en est-on arrivé là ?
Ces dernières années, on a assisté à une explosion des plateformes de vidéos en ligne (Netflix, Amazon Prime Video, Apple TV+, etc.). L’année 2020 a été marquée par l’arrivée en France de nouvelles plateformes de streaming (Disney+ et Salto notamment) et d’autres devraient encore émerger. HBO Max, disponible aux États-Unis et déjà au cœur de polémiques, pourrait sortir dans l’Hexagone en 2022. Pour plus de détails à ce sujet, je vous invite à lire l’article de Sandra Jaffres intitulé « coup de colère des exploitants de salle de cinéma contre la décision des studios Warner Bros ».
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, alors que les salles de cinéma subissent la crise de plein fouet avec des fermetures prolongées, les plateformes en ont grandement bénéficié. Il y a eu un changement incontestable dans les modèles de consommation de services de streaming. Prenons les chiffres impressionnants de Netflix cette année avec plus de 28 millions de nouveaux abonnements de janvier à septembre, portant le nombre d’abonnés dans le monde à 195 millions (au 21 octobre 2020).
De nombreuses critiques se sont élevées contre ces services qui, jusqu’à présent, ne contribuaient pas à la création audiovisuelle et cinématographique française. Ils se sont mis à tourner certains contenus en France. Par exemple, la série Emily in Paris qui a cartonné sur Netflix, sortie le 2 octobre dernier, a été filmée majoritairement à Paris. Mais c’était insuffisant… et face à cette situation, une « riposte » était à prévoir !
Qu’est-ce que l’exception culturelle française ?
En ce qui concerne le secteur cinématographique, l’exception culturelle vise à la préservation des spécificités culturelles françaises de certains effets du libre-échange. Il s’agit d’éviter notamment une trop grande hégémonie des productions des États-Unis. Cette exception a été matérialisée juridiquement dans un décret du 17 janvier 1990 pris pour l’application de la loi Léotard du 30 septembre 1986.
Chaque année, le budget du fonds de soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) est principalement constitué de deux aides :
- La taxe sur les éditeurs et distributeurs audiovisuels ;
- La taxe spéciale additionnelle sur les tickets de cinéma.
Mais seules les œuvres d’expression originale française peuvent bénéficier de cette aide, souvent mal accueillie par les pays étrangers qui la considère comme inégalitaire. Or, sans cette contribution financière, de nombreux films français dits d’« auteurs » ne verraient pas le jour.
Netflix devra payer « entre 150 et 200 millions d’euros tous les ans »
Invitée de l’émission de Léa Salamé sur France Inter, Roselyne Bachelot a officialisé qu’un accord avait été trouvé avec les principales plateformes de vidéo en ligne. « Nous allons obliger les plateformes à financer la création française […] Une part substantielle de cette contribution devra par ailleurs être dédiée à des œuvres patrimoniales d’expression originale française et à la production indépendante », a-t-elle déclaré.
Le taux d’investissement des plateformes de streaming a été évalué entre 20 à 25% de leur chiffre d’affaires réalisé en France. La ministre de la Culture l’avait déjà annoncé dès le mois d’octobre dernier lors d’un entretien aux Échos mais les chiffres dévoilés au micro de France Inter sont conséquents !
Elle a ajouté que Netflix devra payer « entre 150 et 200 millions tous les ans ». Selon des estimations, Amazon Prime Video et Disney+ devront verser respectivement 15 et 10 millions d’euros. Inférieures à la contribution de Netflix, ces sommes restent tout de même considérables !
Comme vu précédemment, les chaînes de télévision historiques (TF1, France Télévisions, M6, etc.) contribuaient déjà au financement de la création française et réclamaient une participation des plateformes pour plus d’équité. Le monde du 7ème art et les acteurs de la télévision ont donc salué ces annonces, tout en restant vigilants. Selon Thomas Valentin (vice-président du Groupe M6), « on n’est qu’à la moitié de la révolution ». Et Philippe Denery (directeur financier de TF1) a commenté que c’est « une première étape ». Quant au groupe Canal+, il menace de retirer la chaîne cryptée de la TNT s’il n’obtient pas des assouplissements réglementaires et fiscaux.
Le décret SMAD
Le décret dit « SMAD », pour Service de médias audiovisuels à la demande, fixera cette obligation d’investissement des plateformes. C’était une des mesures phares de la réforme de l’audiovisuel présentée fin 2019 par Franck Riester (ancien ministre de la Culture) mais suspendue suite à la crise sanitaire.
Ainsi, la France sera le premier pays à transposer la directive européenne sur les services de médias audiovisuels du 14 novembre 2018. « Nous avons abouti parce que nous avons négocié à la fois avec les producteurs, avec le monde du cinéma et le monde des plateformes », se félicite Roselyne Bachelot.
Ce décret a donc été transmis au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et à la Commission européenne. Il devrait être promulgué au printemps 2021. Alors que certaines personnes saluent cette avancée, d’autres évoquent leur crainte de voir les abonnements augmenter. Mais une autre contrepartie a été annoncée !
Des négociations en cours pour l’assouplissement de la chronologie des médias
En échange de cette obligation d’investissement, les géants du streaming vont pouvoir bénéficier d’un assouplissement de la chronologie des médias. Ce principe est prévu dans la directive dite « Télévision sans frontières » du 3 octobre 1989 et fixe un délai pour diffuser les œuvres après leur sortie au cinéma. Actuellement, les chaînes de télévision doivent attendre 22 mois après la sortie en salle. Ce délai est de 36 mois pour les services de streaming et devrait être raccourci.
« Plus l’investissement sera élevé, plus les diffuseurs pourront diffuser tôt leurs films après la sortie en salle », a annoncé Roselyne Bachelot. Sans communiquer de chiffre définitif et tout en précisant que les négociations étaient ouvertes, la ministre a déjà évoqué une durée ramenée à 15 mois. Ce serait un avantage significatif pour les plateformes avec des films disponibles bien avant les chaînes de télévision françaises.
La « guerre » entre les différents acteurs du monde de l’audiovisuel n’est donc pas terminée ! Affaire à suivre…
Sources
- BOERO (A.), « Netflix, Amazon et Disney devront verser annuellement “20 à 25 % de leur chiffre d’affaires” pour participer à la création cinématographique », clubic, 17 décembre 2020
- ISAR (H.), Droit de la communication audiovisuelle, Cours du Mater 1 Droit du numérique, Aix-en-Provence, 2019-2020
- MARCILLAT (M.), « Netflix va devoir investir 150 à 200 millions d’euros par an dans la création française », Konbini, 18 décembre 2020
- TELLIER (M.), « Exception culturelle : Netflix & co vont devoir financer la création française », france culture, 17 décembre 2020
- France Inter, « Nous allons obliger les plateformes à financer la création française. Netflix va payer entre 150 et 200 millions d’euros tous les ans », dailymotion, 2 min. 03 s., 17 décembre 2020
- « Netflix devra investir 150 à 200 millions d’euros par an dans la création française », HuffPost, 17 décembre 2020
- « Netflix et Amazon devront investir 20 à 25 % de leur chiffre d’affaires dans la création française », 20 minutes, 22 décembre 2020