Un rapport d’information du Sénat du 24 juin 2020 fait un état des lieux assez alarmant du numérique dans la sphère écologique. Il est notamment mis en lumière que si d’ici 2040, tous les secteurs réalisent des efforts dans la transition écologique sans qu’aucune politique publique numérique n’est engagée, ce secteur aurait une contribution aux émissions de gaz à effet de serre presque deux fois supérieure au secteur du transport aérien en France. Pour autant, le numérique apparait comme la bête noire des politiques publiques qui ont pour ambition d’atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris. L’arrivée imminente de la 5G et la survenance de la crise sanitaire n’ont pas non plus pour effet de restreindre la consommation de données.
Sous l’impératif d’appréhender le numérique sous le prisme écologique, une proposition de loi d’initiative sénatoriale visant à « réduire l’empreinte environnementale du numérique en France » fut déposée le 12 octobre 2020 et adoptée par le Sénat le 12 janvier 2021. Elle comporte cinq chapitres mais nous relevons quatre leviers d’action majeurs « pour faire converger les transitions numérique et écologique ».
La prise de conscience par les utilisateurs des conséquences environnementales du numérique
L’idée est d’envisager toute une série de campagnes et de politiques de sensibilisation et d’éducation des utilisateurs afin de les inciter à adopter des comportements numériques écoresponsables. Un accent est mis sur les nouvelles générations dont les usages numériques sont les plus divers et variés.
Les utilisateurs d’une part, mais les acteurs publics et privés du numérique d’autre part : l’article 1 de la proposition de loi entend ajouter à l’alinéa second de l’article L. 312-9 du code de l’éducation (relatif à la sensibilisation du harcèlement numérique) la mention de sensibilisation de l’impact environnemental du numérique. L’article 2 tend à l’inscription de modules universitaires d’évaluation de l’impact environnemental du numérique et d’éco-conception logicielle chez les étudiants en ingénierie informatique. L’article 5 quant à lui propose par exemple de créer un crédit d’impôt pour les PME et TPE pour l’adoption de mesures « eco friendly », telles que l’acquisition d’équipements numériques reconditionnés. A cet égard, le cinquième et dernier chapitre s’intéresse aux stratégies numériques écoresponsables que doivent présenter les collectivités territoriales.
En définitive, il est question de développer dans les mœurs une génération avertie et consciente de ce nouvel enjeu auquel les considérations écologiques font face.
La limitation du renouvellement des terminaux
C’est bien en amont que l’impact du numérique est le plus important : en effet, la construction et la distribution des terminaux dédiés à l’usage des services numériques correspond en France à 70% de l’empreinte carbone totale du numérique, et 81% des émissions de gaz à effet de serre.
Le Sénat souhaite élaborer une taxe carbone liée à l’importation de ces terminaux, fabriqués pour la majeure partie en Asie, mais aussi lutter contre l’obsolescence programmée en favorisant la réparation et le reconditionnement des appareils. A cet égard s’ajoute la lutte contre l’obsolescence logicielle : certes, acheter un terminal reconditionné est une noble démarche, mais encore faut-il que celui-ci soit fonctionnel avec les applications et logiciels, et non bloqué sur une ancienne version du système d’exploitation laissée à l’abandon par les développeurs.
C’est en ce sens que l’article 8 a été rédigé, ayant vocation à modifier l’article L. 217-22 du Code de la consommation de sorte à ce que soient dissociées les mises à jour de sécurité des autres mises à jour, afin que l’utilisateur puisse obtenir un terminal reconditionné conforme aux normes de sécurité. La ratio legis est ici largement centrée sur le Code de la consommation et le recyclage et la réparation de terminaux.
Le développement d’usages numériques écologiquement vertueux
Il s’agit ici d’appliquer une régulation environnementale au secteur des communications électroniques. Le texte initial du 19 octobre 2020 s’attaquait aux flux de données jugés inutiles ou du moins non nécessaires. Il était question notamment d’interdire le lancement automatique de vidéos ou la pratique du « scroll infini », qui consiste en un chargement continu de contenu sur une même page web, sans recourir à une fonctionnalité de pagination. Le Sénat entendait alors restreindre la consommation de données « involontaire ». Ces audacieuses ambitions ne figurent toutefois pas dans le texte adopté.
Dans la même dynamique, le nouvel article 16 bis obligerait les services de médias audiovisuels à la demande à indiquer aux utilisateurs la quantité de données consommées et de gaz à effet de serre émis selon la connexion et les propriétés du terminal utilisé, de sorte à les informer de l’impact écologique de leur usages numériques.
Les acteurs seraient alors tenus d’éco-concevoir leurs services, notamment par l’optimisation et l’ergonomie de l’affichage des contenus. En outre, les fournisseurs de forfaits mobiles pourraient recourir à une tarification incitant la consommation de données via une connexion filaire ou wifi plutôt qu’en données mobiles.
L’ARCEP sera l’autorité compétente dans l’évaluation des critères d’éco-conception et leur respect, en tant que police des communications électroniques.
L’éco-conception des centres de données et des réseaux
Les opérateurs sont invités à souscrire auprès de l’ARCEP et du ministre chargé des communications électroniques des engagements pluriannuels en vue de réduire la consommation d’énergie et les émissions des réseaux de communication électronique.
On pourrait également inciter l’installation de data centers en France en prévoyant un avantage fiscal corrélé à des critères de performances environnementales nationales, mais aussi promouvoir les énergies renouvelables pour créer un environnement autonome dans le secteur des réseaux et des data centers.
Une corégulation impérieuse par une prise de conscience collective
Nous comprenons bien que certains aspects de cette proposition vont se heurter à quelques principes : en effet, chercher à maîtriser les comportements des usagers reviendrait à établir une « police verte » des usages d’internet, troublant alors de nombreux droits et libertés.
L’essence même de cette proposition de loi se veut plutôt sensibilisatrice et pédagogique. Les personnes physiques comme morales, privées comme publiques, doivent conscientiser les problématiques écologiques liées au numérique et adopter par elles-mêmes une morale et une éthique numérique.
Le texte a été enregistré à l’Assemblée Nationale le 13 janvier 2021. Si celui-ci se présente moins ambitieux que le projet initial, l’esprit de la proposition de loi reste néanmoins intact et nous relevons la sincère prise de conscience d’une nécessaire évolution des mœurs, dans l’espoir qu’il s’agisse des prémices d’une politique écologique numérique concrète.
Sources :
- AFP, « Transition numérique et écologique : le Sénat examine un texte transpartisan », Sciences et Avenir, 12 janvier 2021
- Assemblée Nationale, proposition de loi n°3730, adoptée par le Sénat, visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, 13 janvier 2021
- Collet (P.), « Le Sénat plaide une loi abordant l’ensemble des impacts environnementaux du numérique », Actu-Environnement, 15 janvier 2021
- Sénat, proposition de loi, n° 27 rectifié, visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, 12 octobre 2020
- Sénat, Rapport d’information de MM. Guillaume CHEVROLLIER et Jean-Michel HOULLEGATTE, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, n° 555 (2019-2020), 24 juin 2020