Le 31 octobre dernier, France Inter révélait que le projet de création d’un logiciel de rédaction des plaintes adapté aux besoins de la police française, dénommé Scribe, était abandonné. Cet échec, au coût estimé à 11,7 millions d’euros, semble être révélateur d’un véritable manque d’adaptation aux évolutions numériques dans les services de la police. Comment expliquer cet échec, et que peut-on en tirer ?
Un projet d’envergure enclenché il y a plusieurs années
Le développement du programme Scribe a débuté en 2016 avec la gendarmerie nationale. En 2018, la société Capgemini remporte un appel d’offre pour développer ce programme. L’optimisme des agents de police, encombrés par leurs systèmes informatiques vieillissants, sera progressivement atténué, et ne peut laisser place aujourd’hui qu’à la déception.
Le 10 octobre 2019, le directeur interministériel du numérique et du système d’information de communication de l’Etat, Nadi Bou Hanna, donne un avis sur l’avancement du programme, à la demande du Ministère de l’Intérieur. Son rapport est inquiétant, et bien qu’il donne un avis conforme, il le fait avec réserves.
Il souligne notamment le manque d’avancement du projet, en particulier par rapport au budget avancé, et prévient de risques importants de décalages, à la fois budgétaires et calendaires. De manière générale, il critique le manque de stratégie et de direction que prend le projet. Le logiciel, vendu comme une manière de simplifier la procédure pour les policiers, n’a plus cette idée comme objectif principal. De plus, les retours des utilisateurs sur le produit sont peu pris en compte.
Il n’est pas défaitiste pour autant, et propose des recommandations, dans le but d’encadrer le projet.
Le départ du chef de projet de Capgemini fin 2019 ne fait que finaliser les craintes du directeur interministériel du numérique. Le projet est aujourd’hui abandonné.
Les conséquences de l’abandon du projet Scribe
Il convient premièrement de s’intéresser à ce que l’on va garder de ce projet. La réponse est aussi simple que décevante. Le programme n’est pas en état d’être utilisé, et le processus n’aura donc abouti à rien.
Le coût de près de 12 millions d’euros aurait pu être anecdotique, car on peut bien imaginer qu’un prestataire n’ayant pas délivrer de produit fini après des années de contrat se verrait contraindre à rembourser les frais débloqués pour la réalisation de ce programme.
Pourtant, France Inter indique que le Ministère de l’Intérieur n’envisage pas de poursuivre Capgemini, aucun recours n’étant possible, notamment par l’existence de torts partagés. Les 12 millions d’euros auront bien donc été dépensés entièrement et sans contrepartie tangible.
On peut évidemment relativiser la somme, d’autant plus lorsqu’on la compare à d’autres dépenses publiques. Le mal est plus symbolique. L’échec de modernisation est d’autant plus inquiétant dans un univers technologique ultra-rapide, dans lequel une décennie peut complètement changer le paysage numérique et les pratiques. Ces années perdues sont très frustrantes pour les agents de police utilisant les logiciels de rédaction des plaintes de manière récurrente.
Le ministère de l’intérieur envisage un nouvel appel d’offre dans les prochains mois, dans le but d’avoir un nouveau logiciel aux alentours de 2024.
Un échec contradictoire aux annonces du Président de la République
En septembre 2021, Emmanuel Macron annonçait plusieurs mesures liées à l’avancement technologique de la police. La plus marquante était l’annonce de la mise en place de la possibilité de déposer plainte en ligne dès 2023.
Aujourd’hui, il est possible de déposer une « pré-plainte » en ligne. Ce système permet de faciliter le dépôt de plainte en permettant à l’individu de remplir les informations concernant sa plainte sur internet. Ce régime est encadré par une section du Code de procédure pénale, par les articles D8-2-1 à D8-2-10.
Néanmoins, l’individu doit tout de même se rendre dans un bureau de police pour réellement porter plainte. L’annonce du Président de la République a suscité la curiosité du public, s’imaginant une hausse anormale du nombre de plaintes déposées. Si le dépôt de plainte n’est pas sans conséquence, on a pu constater ces dernières années la facilité qu’ont les individus à réaliser des actes lorsqu’ils n’ont pas à sortir de chez eux.
Cette annonce peut donc laisser perplexe, quand les logiciels pour rédiger les plaintes sont déjà dépassés dans les commissariats. On peut alors se poser la question sur la difficulté que sera l’implantation d’un système complètement en ligne, d’autant plus que la vision du Président est assez large. Il a parlé d’un système de suivi en ligne d’un ensemble d’application numérique dédiées.
Il faudra espérer une efficacité bien meilleure, la tâche étant bien plus importante qu’un simple logiciel de rédaction des plaintes.
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