Le 30 novembre 2021, la Competition & Markets Authority (CMA) a constaté que l’acquisition finalisée par Meta de Giphy induit des problèmes de concurrence principalement dans le secteur de la publicité en ligne qui ne peuvent être résolus que par la revente de Giphy. Cette décision par le régulateur du marché britannique d’annuler la fusion entre les deux sociétés intervient après la condamnation de Meta à une amende de 50,5 millions de livres sterling le 20 octobre 2021 dans le cadre de la même enquête. Une telle sanction découle de la méconnaissance par la société de Mark Zuckenberg de l’ordonnance émise par la CMA en juin 2020 qui empêchait Facebook de finaliser son acquisition de Giphy tant que l’autorité n’aurait pas statué sur les potentielles atteintes à la concurrence. Pourtant, au mépris des injonctions des autorités de régulation britannique, Facebook a acquis la société pour la somme de 400 millions de dollars en mai 2020. Depuis, la CMA a engagé une bataille afin d’essayer de défaire cette fusion qui présente de multiples risques pour les utilisateurs et pour l’équilibre du marché de la publicité en ligne en Grande Bretagne.
Les motivations de Meta pour le rachat de la société Giphy
Giphy est une société créée en 2013, dont l’essor a été permis par sa base de données de GIF c’est-à-dire d’images animées en format informatique (abréviation de Graphic Interchange Format). Les GIF ont connu un succès fulgurant sur les réseaux sociaux et les applications de chat permettant aux utilisateurs d’imager au gré des conversations leurs propos sur les réseaux sociaux. Les animations peuvent également être utilisées pour des publicités en ligne. La plateforme de création et de partage de GIF avant son rachat par Facebook était fréquentée quotidiennement par 700 millions d’internautes.
De ce fait, le rachat de Giphy par Facebook, devenue Meta le 28 octobre 2021, découle naturellement d’une volonté d’accroitre les offres pour les utilisateurs sur ses différents réseaux sociaux en offrant un accès pour Instagram ou encore WhatsApp au GIF. Mais la motivation principale semble être son désir de pouvoir utiliser massivement cette ressource dans sa publicité digitale. Ce potentiel au sein de la publicité en ligne a été décelé par Facebook qui a annoncé sa volonté de rachat de Giphy en mai 2020. Depuis cette déclaration, la CMA a décidé d’enquêter sur l’acquisition par Facebook de la société de GIF.
L’enquête menée par la CMA
Le 9 juin 2020, la CMA a émis une première ordonnance d’exécution aux termes de laquelle les entreprises devaient continuer à se faire concurrence, comme si un rapprochement entre les deux sociétés n’existait pas, sous-entendant que celles-ci ne pouvaient poursuivre leur fusion engagée tant que l’enquête était en cours. Cette ordonnance est la base de l’investigation menée par le régulateur du marché britannique contre Facebook qui, multipliant les recours et la rétention d’informations, a conduit la CMA à lui infliger une pénalité de 50,5 millions de livres sterling le 20 octobre 2021. Cette décision, qui vient sanctionner l’acquisition finalisée entre Facebook et Giphy au mépris des exigences relatives à l’enquête sur les risques de concurrence et les injonctions de la CMA, corrobore les intentions anti-concurrentielles de Facebook. Ainsi, la volonté d’asseoir la domination de Meta sur le marché a conduit la CMA à rendre, le 30 novembre 2021, une décision obligeant Facebook à vendre Giphy pour protéger, selon le président du groupe d’enquête indépendant, « des millions d’utilisateurs de réseaux sociaux » et « promouvoir la concurrence et l’innovation dans la publicité numérique ».
Les problèmes de concurrence identifiés par la CMA sur le marché britannique
La CMA a mis en lumière, après une enquête de plus d’un an mené en deux phases, que la fusion aurait deux impacts majeurs sur le marché britannique.
Tout d’abord, cette fusion permet à Meta d’accroitre son pouvoir de marché au sein des réseaux sociaux, déjà important en rajoutant du trafic sur les applications de Facebook au détriment des autres. Comme susmentionnées, l’application de création et de partage de Giphy bénéficiait avant la fusion d’une fréquentation quotidienne de 700 millions d’utilisateurs. Même si, nombre d’entre eux possédaient sûrement déjà Facebook, en plus de potentiellement accroitre le nombre d’utilisateurs, il est certain que cette fusion va lui permettre d’augmenter le temps de visite des utilisateurs sur ses plateformes. Une telle hausse de l’activité est inquiétante dans la mesure où les sites internet appartenant à Meta (Facebook, Instagram et WhatsApp) représentent déjà 73% du temps passé par les utilisateurs sur les réseaux sociaux au Royaume-Uni. De plus, Meta va également accentuer sa position déjà largement dominante en contrôlant l’accès aux GIF. Ainsi, Meta est désormais en mesure de modifier les conditions d’accès afin d’exiger de TikTok ou de Twitter par exemple, qui ne font pas partie de la corporation Meta, qu’ils fournissent plus de données d’utilisateurs pour accéder aux GIF de la base de données Giphy. Le réseau social de Mark Zuckerberg possède désormais un réel levier pour capter une nouvelle fois des données personnelles d’utilisateurs. Cette collecte massive va alors permettre de nourrir sa publicité en ligne ciblée qui constitue sa première source de revenu.
Ce premier problème induit alors le second détecté par la CMA à savoir que la fusion va accentuer le pouvoir de marché de Facebook au sein de publicité digitale. En effet, Facebook, par ce rachat, a éliminé un concurrent important sur le marché de la publicité, puisque Giphy disposait de son propre service publicitaire dont le concept marketing sous forme d’image animée connaissait un certain succès. La suppression de ce concurrent est d’autant plus préoccupante pour l’autorité de régulation du marché britannique que Facebook gère près de la moitié du marché de la publicité en ligne au Royaume Uni. Ce marché de publicité représente une valeur de 7 milliards de livres sterling, ce qui en considérant que la moitié revient à Facebook, soit 3,5 milliards de livres sterling correspondant à 4,20 millions d’euros.
Au vu de l’ensemble de ces éléments mis en lumière par le groupe indépendant d’enquête de la CMA, la seule solution pour empêcher l’accroissement du monopole de Facebook au sein du marché britannique est la revente de Giphy. Pourtant, cette opération semble compromise si on s’en réfère au comportement de Meta qui, jusqu’à présent au sein de la procédure, a montré clairement qu’il ne souhaite pas se séparer de sa précieuse acquisition.
Les différents risques pour la concurrence évoqués par la CMA ne semblent pas être propres au Royaume-Uni, ce qui amène à s’interroger sur l’absence de réactivité, à ce stade, des autres autorités de régulation. En effet, si les parts de marché de Facebook au sein de la publicité en ligne peuvent varier de façon plus significative entre les différents États, il demeure que sa position dominante au sein du marché des réseaux sociaux est peu variable. Ainsi, il convient de se demander si cette fusion ne risque pas d’impacter, au-delà de la Grande-Bretagne, le marché de la France, de l’Union européenne ou encore celui des États-Unis : la nouvelle collecte massive de données personnelles que Facebook va pouvoir mettre en œuvre par le biais de l’accès au Giphy, la modification des conditions d’accès au GIF pour les utilisateurs de TikTok ou de Twitter sont autant de sujets de préoccupation. Cette affaire parait donc loin d’être terminée compte tenu des conséquences de la fusion de Meta et Giphy pour l’ensemble des utilisateurs des réseaux sociaux.
Bibliographie :
Balenieri (R), Londres pourrait forcer Facebook à revendre Giphy, Les Echos, 12 août 2021
Facebook, Inc (now Meta Platforms, Inc)/ Giphy, Inc merger inquiry, Competition and Markets Authority cases, GOV. UK, 12 June 2020
Press release, CMA directs Facebook to sell Giphy, Competition and Markets Authority, GOV.UK, 30 November 2021
Press release, CMA fines Facebook over enforcement order breach, Competition and Markets Authority, GOV.UK, 20 October 2021